A TOUCH OF SIN de Jia Zhang-Ke.
Le réalisateur de Still Life ( 2006 , Lion d’or au Festival de Venise ) et de 24 City (2009 ) , qui a reçu avec A Touch of Sin , le prix du scénario au Festival de Cannes 2013 , porte un regard sans concessions et sans complaisance, et dresse un portrait implacable d’une société Chinoise moderne dont la violence exprime le délitement sociétal dans une inhumanité inquiétante . Le film qui n’a pas été du goût des autorités est interdit à ce jour dans son pays . Un film coup de poing , à ne pas manquer…

Le cinéaste ( né en 1970 ) a fait ses débuts aux alentours des années 2000 s’est ausitôt fait remarquer dans les festivals internationaux , et notamment à celui de Venise où déjà son Platform (2000), alliant beauté plastique et réalisme brut, portait un regard cru sur les transformations d’une société chinoise dont les mutations sociales provoquent des bouleversements dont les effets psychologiques sur la population sont parfois ravageurs. « je souhaite être un artisan de proximité » , ainsi se définissait le cinéaste dans un article que lui consacrait la revue Les Cahiers du Cinéma en 2001 .
Dès sa sortie de l’école de cinéma de Beijin , il se consacre en effet à la production expérimentale et marque son indépendance de regard en trouvant les sujets et thèmes de ses films dans la vie quotidienne des petites gens, comme l’illustre son premier long métrage qui suit le quotidien d’un pickpocket de Fenjang : Xiao Wu , Artisan Pickpocket (1999).
Le regard documentaire de l’artiste de proximité n’empêche pas celui-ci, d’explorer les éléments de la fiction dont les quatre récits tirés de faits divers qui suivent les destinées de personnages emblématiques d’une chine moderne où la violence et la corruption , se fait le reflet-miroir d’une révolution économique et sociale dont les individus subissent de plein fouet les conséquences, au travers d’ un choix narratif visant à traduire, le délitement sociétal dans l’inhumanité de la violence .

Ils sont donc quatre à en subir quelques-unes des forme sous lesquelles elle se manifeste . Comme par exemple celle que subi Dahai ( Jiang Wu ) victime de la corruption des dirigeants de son village , ou celle du jeune Xiao Hui ( Luo Lanshan ) contraint de passer d’un emploi à un autre et subir des conditions de plus en plus dégradantes , ou celle de l’ouvrier migrant victime du rejet , et enfin de la jeune hôtesse d’accueil Xiao Yu ( Zhao Tao ) , harcelée par un riche client . Ils viennent tous les quatre de provinces différentes ( dont les dialogues utilisent les dialectes ) , et tous les quatre subissent le choc d’une violence quotidienne qui s’est répandue en accompagnement d’une métamorphose sociale et économique qui a brutalement modifié les rapports de classes et exacerbé les violences. Comme le souligne le cinéaste expliquant dans le dossier de presse du film, les raisons qui l’ont poussé a traiter le sujet « lorsque je parcours sur le Weibo ( l’équivalent de Twitter en chine) le compte-rendu d’événements violents – plus précisément d’événements au cours desquels la violence n’aurait pas dû être utilisée – ils me mettent mal à l’aise ( …) La transformation rapide de la chine s’est faite au profit de certaines régions et au détriment d’autres . L’écart entre les riches et les pauvres se creuse de plus en plus (…) pour les plus faibles, qui n’ont pas l’habitude de communiquer , la violence peut devenir le moyen le plus rapide et le plus efficace de conserver leur dignité . Face à autant d’incidents violents j’ai senti qu’il fallait que je parle de ce problème dans un film ».

Jia Zhang-Ke avec ses quatre personnages emblématiques de l’ensemble de la société chinoise en mutation , confrontés à la gangrène qui s’y répand encore plus vite avec la vitesse des transports , dont il filme la multiplicité des moyens de communication qui tissent la toile qui abrège les distances des quatre coins d’un pays où les provinces finissent par devenir proches. Et ses quatre héros dont les destinées parallèles sont propulsées dans ce mouvement éffreiné et confrontés a des humiliations dont il subissent les coups et les blessures . Car le « choc » des cultures provoque – aussi – parfois celui du ressentiment envers l’autre , l’étranger d’une autre province . Comme le souligne le parcours du travailleur migrant ou la scène de l ‘argent jeté à la figure d’une hôtesse par un riche client . Alors contre cette humiliation subies , la révolte trop longtemps retenue éclate … avec ses fulgurances dignes d’un film de combats martiaux auxquels Jia Zhang-ke fait d’ailleurs référence explicite ( au film Touch Of Zen de King Hu ) , mais aussi aux œuvres de la littérature épique et aux opéras populaires , dont la magnifique scène finale de la représentation du théâtre itinérant à laquelle assiste Xiao Yu , reprend un « classique » : l’interrogatoire de Su San , racontant le destin d’une femme injustement accusée de meurtre dans les temps anciens, dont King Hu a d’ailleurs fait une transposition cinématographique , YutangChun en 1964 .

Habilement Jia Zhang-ke élargit son propos et sa réflexion autour de l’idée que l’histoire des violences au long des siècles, trouve des écho dans les injustices , l’arbitraire et l’humiliation . Le motard solitaire qui voit surgir sur sa route des bandits de grand chemin moderne , n’est pas, par hasard l’ouverture symbolique du film. Ni la sanction qu’il leur fera subir . Sur leur chemin les héros de Jia Zhang-Ke vont devoir passer à l’action pour changer leurs vies , comme le faisaient les héros des romans épiques ou des opéras populaires d’hier , en lutte contre l’oppression dans un environnement hostile . Habilement les quatre personnages s’en font l’écho, dans la chine moderne d’aujourd’hui avec leurs habits quotidien des délaissés d’une mondialisation qui se lèvent contre la corruption des puissants ( Dahai le mineur excédé par l’homme d’affaire du village et ses pots de vins ), les injustices et les humiliations ( le travailleur migrant et le précaire ), le pouvoir de l’argent ( l’hôtesse ) .

Victimes de ces petites et grandes injustices dont le cinéaste brosse habilement le mécanisme d’une machine qui génère la monstruosité dont le double visage ( celui des valets ou des lâches soumis) sera la cible du justicier Dahai . A Touch of Sin , explore donc cette violence justicière individuelle qui répond à l’absence d’une justice sociale dont les transformations espérées devaient ouvrir le chemin . Et c’est dans ce rêve brisé , que Jia Zhang-Ke cherche à explorer les raisons de l’origine de la violence , et la part de responsabilité collective et individuelle qui s’y inscrit …
A Touch a Sin est un film important par son témoignage en forme d’ état des lieux sur une société et un pays , mais aussi par la force et la beauté d’une mise en scène qui distille , à la fois , les élans du cœur et l’émotion du spectacle …..
(Etienne Ballérini)
A TOUCH OF SIN de Jia Zhang-Ke – 2013- Prix du scénario au Festival de Cannes 2013. Avec : Jiang Wu ( Dahai ) , Wang Baoqiang ( Zhou San ) Zhao Tao ( Xiao Yu ), Luo Lanshan ( Xiao Hui ), Li meng ( Lianrong ) …..
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