SUZANNE de Katell Killévéré .
Après le remarqué Un Poison Violent , la cinéaste confirme ses promesses dans son nouveau film , Suzanne, tout en nuances et en finesse qui parcourt vingt années de la vie mouvementée de son héroïne portée par une irrésistible passion ravageuse. Un récit qui inscrit son originalité par le refus des clichés et des passages obligés relégués en hors-champ , et trouve sa force dans l’exploration des conséquences que les choix de Suzanne ont , sur elle-même et ses proches …

D’emblée dès les premières images de son nouveau film on retrouve ce regard et cette immersion dans le quotidien d’une jeune fille confrontée à une situation familiale qui va déterminer un futur parcours dont la quête et la recherche d’amour , reflète le besoin de compenser un manque . Comme la jeune Anna du Poison Violent ( 2010 ) dont le père a quitté la maison familiale et qui va se raccrocher à l’amour éperdu pour un garçon libre et solaire. Suzanne ( Sara Forestier , formidable ) dont la jeunesse a été marquée par l’absence d’une mère trop tôt disparue dans un accident de la route , élevée pourtant par un père aimant et vivant un rapport fusionnel avec une sœur aînée protectrice, va traverser une adolescence difficile où la liberté , le désir et la passion semblent traduire une quête éperdue d’amour et de vie , dont elle ne maîtrise pas les conséquences . Suzanne confrontée à une destinée dont la logique des choix va se confronter à l’incompréhension de ses proches , va être rattrapée par la réalité des régles sociales auxquelles sa passion la rendait indifférente , aveugle et rebelle .

C’est ce parcours que la cinéaste propose à notre regard avec le parti-pris en forme de défi d’un récit qui propose de nous mettre en situation de spectateur dans la même situation que vivent ses proches , qui subissent impuissants, les contrecoups des choix de Suzanne. Et la cinéaste élude les explications sur les événements qui pourraient venir alourdir le point de vue d’un récit dont le choix est d’analyser les conséquences qu’ils génèrent sur les individus . D’une certaine manière le récit est, en ce sens , fidèle à un vécu qui en traduit – à la fois – la double perception intérieure et extérieure . Ainsi la disparition en forme de « cavale » de Suzanne avec le séduisant Julien ( Paul Hamy ) est décrite comme une sorte de fuite guidée par le désir et la passion
qui tout à coup vous coupe des autres , et vous emporte dans son tourbillon .

Celui de l’aventure et ses conséquences et dont le vécu fait partie d’un parcours intime dont les autres sont exclus … et n’en découvriront que les conséquences ( heureuses et , ou ,dramatiques , selon ) , que lorsqu’ils y seront confrontés , comme nous spectateurs exclus aussi de cette intimité, trop suvent donnée au cinéma en pâture et en clichés faciles …. Habilement la cinéaste fuit cette accroche dont l’exploitation du spectaculaire en ferait perdre le secret qui se glisse au cœur des motivations intimes dont on ne peut mesurer les raisons . Comment comprendre , en effet, de l’extérieur les choix de Suzanne ( fuite et abandon de son enfant , immersion dans une passion dévastatrice qui la fait dériver dans la violence … ) , dont même sa sœur ainée et confidente , M aria ( Adéle Haenel ) reste impuissante et désarmée envers une passion qui a fait perdre la raison à cette sœur aimée qui finit par lui échapper ( superbe séquence rêvée ) , devenue un fantôme lointain qui se perdrait dans les sonorités et l’obscurité d’une boite de nuit enfumée .
- Sara Forestier et Paul Hamy en cavale avec leur fils …
Et c’est , cette Suzanne que l’on retrouve au retour de ses dérives dont il lui faudra affronter l’impact des conséquences , comme un coup de fouet en retour , dont le choc la mettra KO debout . Magnifiques séquences toutes en retenue et en non-dits , que la cinéaste distille avec une justesse et une délicatesse qui ne verse jamais dans la complaisance , à l’image de cette superbe scène où Suzanne retrouve l’enfant de ses 17 ans devenu grand et placé en foyer d’accueil après sa disparition , et pour lequel elle est devenue une étrangère !. La manière ont Katell Killévéré filme cette rencontre, les silences et la souffrance retenue de Suzanne qui éclatera après les retrouvailles , est d’une intensité incroyable qui se fait, tout à coup , l’écho révélateur de la douleur et la souffrance dans laquelle elle a abandonné ses proches dont les vies ont été dévastées par les conséquences de ses actes .

C’est dans cette correspondance d’éclats de ravages , de douleurs et d’amour que le film trouve sa véritable dimension , scrutant au plus profond le ressenti et le vécu des conséquences des comportements qui conditionnent les rapports familiaux. Des rêves, des uns et des autres, qui se fracassent au réel et aux contradictions qui habitent chacun, et dont la cinéaste ne juge jamais les choix. Mais dont , à l’image de ceux de Suzanne, elle décline en filigrane tout ce qui s’y attache comme raisons qui finissent par faire percevoir cet indicible , qui finit par en dire beaucoup sur la raison qui peut parfois faire basculer tout un chacun hors de soi, pour aller jusqu’au bout d’un élan et d’une trajectoire incertaine . La cinéaste inscrit dans le récit des séquences de son film, ce romanesque des destinées dont est porteur son portrait de famille , par les élans du cœur qui s’y inscrivent au cœur des tremblements des petites ou grands tragédies de la vie . C’est aussi dans cette capacité à renaître à la vie après les plus douloureuses des épreuves que Katell Killévéré arrive à traduire avec une évidence qui en dit long – sur – ce quelque chose, dont les épreuves sont porteuses pour traverser ce long chemin de la vie … et rester, encore , debout . C’est la leçon que révèle , et relève avec sensibilité le film, en un final aussi poignant que bouleversant …
(Etienne Ballérini )