ALL IS LOST de J.C Chandor
Après la révélation de son premier film Marging Call, le cinéaste nous offre un second film en forme de performance et de défi d’un homme seul face aux éléments de la mer déchaînés … le navigateur solitaire à la dérive , Robert Redford sublime, y relève face aux éléments, au danger, à la souffrance et la peur, le défi de la survie. Un film intense , palpitant de bout en bout dont le défi de l’homme en question a quelque chose d’emblématique sur l’état du cinéma et du monde …

Le cinéaste indépendant Américain qui a fait un long apprentissage dans la profession avec des courts métrages et des documentaires et qui a dû batailler longtemps – au point d’envisager de renoncer face aux difficultés – avant de trouver le casting et l’appui nécessaire pour passer à la réalisation avec Marging Call (2012 ) un huis clos choral au cœur de wall street et des loups ( traders ) de la finance avant le krach boursier de 2008. Succès au rendez-vous, et surtout, dès son premier film montrant un vrai tempérament de cinéaste portant un regard aigu sur la complexité d’un monde à la dérive , victime et prisonnier des ravages du capitalisme. D’emblée il s’est révélé comme un de ces jeunes cinéastes Américains dont le choix artistiques sont un acte de foi et d’engagement dans une forme de cinéma dont l’indépendance constitue est un combat de survie contre le danger de la « formatisation » hollywoodienne .

En ce sens la radicalisation dans le minimalisme et l’épure de All is Lost, est aussi une forme de réponse artistique de diversité d’écriture et de processus créatif qui fait écho et miroir à la forme quasiment chorale de son regard sur Wall Street . Mais dont au final le questionnement est le même « comment survivre ? » dans un monde à la dérive . Car qu’il s’agisse des éléments déchaînés de la mer , ou des ravages de la crise boursière , c’est la même confrontation à laquelle les hommes sont confrontés dans un combat inégal . Et celui du navigateur solitaire « the man » ( Robert Redford ; Prodigieux ) dont le nom reste mystérieux et donc – anonymement et symboliquement emblématique – d’une immersion du spectateur , avec lui , dans ce tourbillon de dangers qui le menacent. Et celui qui menace « the man » au cours de son voyage en solitaire à travers l’océan Indien avec son voilier de 12 mètres dont il va découvrir l’avarie causée par la collision avec un container à la dérive qui le laisse démuni face à l’immensité et une tempête qui va venir , à affronter : en réparer les dommages , privé de radio et avec carte marine et sextant, pour se situer et faire front face aux dangers et un matériel de survie qui s’amenuise au fil des jours , la peur et le spectre de la mort possible. Confronté à l’inévitable c’est au cœur de l’introspection d’un individu en sursis face à son destin dans lequel le récit nous plonge.

Et le choix de Robert Redford se révèle d’autant plus efficace , que la familiarité du comédien , via sa filmographie et ses engagements fait écho aux spectateurs . All is Lost prolonge le regard et le questionnement sur la nature et l’environnement dans lequel il est engagé et dont sa filmographie témoigne notamment avec le superbe Jerémiah Johnson (1971 ) de Sydney Pollack auquel All is lost fait à l’évidence écho, dans cette confrontation entre l’homme et les forces de la nature .Et un choix de cinéma différent , engagé et indépendant, dans lequel le comédien s’est investi depuis trente ans , via son Festival de Sundance. Dès lors la rencontre entre le réalisateur de Marging Call ( dont le film fut présenté justement au Festival de Sundance) , avec le comédien -réalisateur Robert Redford , ne pouvait que se concrétiser au travers d’un projet de cinéma qui, par ses défis , puisse constituer la fois une réponse artistique et créatrice. Et le défi est magistralement relevé . ..

Par des choix radicaux : un récit linéaire qui nous plonge directement dans l’action sans explications sur son héros dont on ignore à la fois les motivations et le passé . Seul l’individu confronté d’emblée aux éléments déchaînés . Les sons ou le silence inquiétant , et les bruits ( superbe bande de sons et de bruitages , comme de la bande sonore musicale signée , Alex Ebert ) comme éléments de dramaturgie . Et, épure réaliste d’une réalisation volontairement minimaliste avec ses refus d’effets ( de projections de pensées philosophiques et autres…) narratifs . Seul l’homme et les réactions physiques de son corps en lutte et ses gestes de survie ( les réparations de l’avarie , face à la tempête, dans le canot de sauvetage ) et son visage exprimant ses espoirs et ( ou) sa détresse , et l’affirmation de la lutte nécessaire contre le renoncement. La force du film réside dans l’absence de dialogues qui viendraient surligner l’action , juste une voix off au début du film qui explique brièvement la situation, et au final un « fuck » qui s’échappe des lèvres de Robert Redford . Le reste c’est le silence et la mer …

La mise en scène de JC Chandor habille tout cela, comme une odyssée épique, un voyage au bout de l’enfer d’un combat inégal dans la tempête, porté par des images au réalisme époustouflant qui font une sorte de pied de nez aux effets spéciaux des superproductions, en offrant au spectateur -cette humanité qui colle au récit – comme elle colle à la peau de Robert Redford dont le regard et le visage de la légende qui s’y attache, offre au film cette part de rêve et d’aventure qui est tout simplement celui d’une vie exposée aux dangers d’une mer dont la tempête symbolique finit par résumer toutes les « tempêtes » que les spectateurs vont devoir affronter dans leurs vies . C’est dans cette dimension que le film propose son voyage en forme d’écho vers le cœur des spectateur dont le cinéaste et son comédien font partager le voyage, mouvementé .
Un voyage auquel, si vous vous y joignez, vous aurez du mal à vous détacher …et dont le souvenir restera gravé longtemps dans vos mémoires …
(Etienne Ballérini)
ALL IS LOST de J.C Chandor – 2013-
Avec : Robert Redford .
Sélection Hors compétition Festival de cannes 2013
Tres bien
Instructif