image Le port de Nice: de l’anse Saint-Lambert au port Lympia

Sa première étape nous avait conduit vers un quartier du nord de Nice à travers son épine dorsale, l’avenue Borriglione. Sa deuxième nous avait amené vers ce lieu emblématique qu’est la place Garibaldi.

Retrouvons la plume généreuse de Yann Duvivier pour un autre endroit historique de Nice :

le PortPort de Nice 1 

Le 28 septembre 1388, notre bonne ville de Nice et sa région se donne au prince de Savoie Amédée VII dit « le comte rouge »(1)par un acte signé sur les marches de Saint-Pons. Cet évènement est resté dans l’histoire régionale sous le nom de la Dédition de Nice.

Le Comté de Nice, jusque là sous la domination  du duc d’Anjou  maître de la Provence se détachaitde celle-ci pour devenir savoyarde. La reine de Provence et de Naples, Jeanne, laissait après sa mort tragique en 1382 une succession difficile. En 1383, le père d’Amédée VII, Amédée VI dit «le comte vert » était mort de la peste sous les murs de Naples suite à son aide militaire au duc Charles d’Anjou, mais, avant de mourir, il lui avait fait signer une reconnaissance de dette de guerre d’un montant de 164000florins d’or et son fils était au courant de cette tractation! Amédée VI, voulait à tout prix offrir à son petit royaume un débouché sur la mer, un port donc et il pensait déjà que Nice ferait très bien l’affaire. La régente de Naples aux prises à de multiples difficultés tant sur le plan militaire que financier se désintéressa du Comté de Nice en l’invitant à « se donner à tel seigneur qui lui plairait ». A partir de là, et avec l’appui (et la complicité) de la puissante famille Grimaldi de Beuil avide de biens et d’honneurs, menée par Jean gouverneur de Nice , le nouveau destin de notre région s’écrivait inexorablement.

Le Port de Nice aujourd'hui (photo J. Camy)
Le Port de Nice aujourd’hui (photo J. Camy)

Amédée VII se montra toutefois conciliant et consentit à n’entrer en possession de son nouveau territoire que dans un délai de trois ans feignant de donner ainsi le temps à Ladislas de Provence de rembourser la fameuse dette ce qui bien entendu ne se fera pas. Nice et sa région seront donc désormais définitivement rattachées au royaume de Savoie sous le nom de «Terres neuves de Provence ».

Soit dit en passant, le bon peuple niçois n’aura pas eu son mot à dire dans cette affaire!

Amédée VII va alors à son tour lorgner sur le rivage niçois tout à fait propice à y installer un port, une nécessité vitale pour pouvoir acheminer vers l’intérieur donc la Savoie toutes sortes de denrées et en particulier le sel  indispensable pour l’alimentation et pour l’industrie en ce temps.

Un port à Nice? Pourquoi pas, mais où donc? Au pied du Château, une large anse échancre le rivage. Nous sommes là aux Ponchettes (de « ponchettas » ou «petites pointes »). Il faut se dire qu’à l’époque elle était bien plus évasée que de nos jours, s’étendant un peu au-delà de la chapelle du St Suaire, rue Jules Gilly. Les fouilles effectuées récemment dans l’ex-asile de nuit voisin, dans le bâtiment de l’ancien sénat ( anciennement gabelle du sel) ont permis de mettre à jour de magnifiques voûtes, un bout de rempart médiéval mais aussi le sol primitif c’est-à-dire l’ancienne grève.

Ce site n’était sans doute pas le meilleur, mais en attendant il fallait s’en contenter faute de mieux. L’inconvénient majeur était qu’il était impossible d’accueillir ici des navires de haute mer. Ils devaient rester au large et faire appel à des navettes de bateaux plus légers pour acheminer les marchandises sur  le rivage. On tentera bien sous le règne d’Emmanuel-Phillibert d’aménager un môle mais sans succès. Les moyens techniques manquaient à l’époque pour faire un ouvrage suffisamment solide et pérenne. On en a retrouvé récemment des vestiges sous forme de gros blocs effondrés, au cours de recherches archéologiques sous-marines en baie des Anges.

Les décennies passent et vers le début du 18ème siècle cette « marina » montre ses limites d’exploitation. Trop petite elle n’arrive plus à écouler un trafic devenu de plus en plus important au fil du temps et, ce qui n’arrange pas les choses, elle s’ensable inexorablement. Il faut un nouvel équipement, un bassin en eau profonde où les navires puissent accoster sur de véritables quais, sans transbordement. On aurait pu penser à Villefranche toute voisine, mais sa belle rade, était réservée aux galères de la flotte de guerre de Sa Majesté et, de plus, sa liaison terrestre avec Nice était réduite à de mauvais chemins escarpés.

Port de Nice 2

Il y eut un projet un peu fou et ambitieux qui faillit se concrétiser : détourner le Paillon vers le vallon de Lympia et utiliser tout l’espace récupéré pour urbaniser la ville vers l’ouest et créer le nouveau port! On ressortait l’idée matérialisée sur le plan « Nicéa ad Varum » de Tomaso Borgogno (1675). Bien vite on abandonnera ce projet utopique. Les regards se tournent alors vers le vallon lagunaire de Lympia, au pied de la colline du Château, à l’est. On se trouvait là en présence d’un très ancien bras du Paillon qui était devenu une zone de maré- cages qu’il fallait toutefois complètement aménager.

Ce gros projet va être confié par le duc de Savoie Charles-Emmanuel III aux ingénieurs De Vincenti, Borra, Nicolis de Robilante, Michaud  qui se succèderont à cette tâche pendant un demi-siècle. Le quartier  va se trouver complètement bouleversé par les travaux d’aménagement qui vont s’étaler sur  un siècle en comptant seulement la période sarde jusqu’en 1860. Une carrière va être ouverte dans la colline du Château pour approvisionner le chantier en pierres de construction.

Le port va devenir très vite actif (1752). Bien vite va se poser le problème de sa liaison avec la ville, en particulier avec le Chemin Royal qui va devenir bientôt la Route Royale sous le règne du duc Victor Amédée III en 1780. Cette voie partant de la place Pairolière alors encore vaste terrain vague rejoignait Turin par les cols de Nice, de Braus, de Brouis, de Tende. C’était l’antique route du sel (1612).

La liaison par un chemin entre les Ponchettes et l’actuelle Place Guynemer sera envisagée mais, vite jugée insuffisante à desservir correctement  le nouveau port. Elle sera dévolue à la circulation urbaine et, plus tard, à la promenade des riches hivernants oisifs de la Belle Epoque.  Rapidement, le quartier du port va se transformer et y seront tracés des axes de circulation permettant de le relier à la future place Victor que nous connaissons maintenant sous le nom de Place Garibaldi.

(Photo J. Camy)
(Photo J. Camy)

En rapport avec la nouvelle activité portuaire, de nouveaux immeubles vont se construire comme la maison Sue dite « maison aux colonnes » (rue Cassini actuelle), la maison Astraudo (Place Ile de Beauté). Toutes ces maisons de rapport et d’entrepôts à l’architecture inspirée des bâtisses turinoises vont apparaître dans la première moitié du 19ème siècle sur ces artères vouées au négoce car reliées directement avec le port.

La place Victor, en construction à partir de 1780 va, elle aussi, être bordée d’immeubles à  vocation commerciale, équipés de caves permettant de stocker des denrées comme l’huile niçoise destinée à l’exportation vers le Piémont. Cette huile était d’ailleurs réputée bien meilleure que celle de Grasse.

La parenthèse de la Révolution et de l’Empire passée, le Comté de Nice retourne en 1815 au roi de Piémont-Sardaigne, en l’occurrence Victor-Emmanuel 1er qui décrète que tout va redevenir comme avant, sous entendu comme avant septembre 1792. A cette époque, le port de Nice devait bénéficier d’aménagements plus vastes puisqu’on parlait même de le creuser jusque dans la plaine de Riquier!

Le Congrès de Vienne, premier grand congrès européen, va non seulement rendre son Comté de Nice au maître de Turin, mais va lui donner en prime la République de Gênes …avec son port, clés en main. Dès lors, Nice passe au second plan et notre suzerain va temporiser sur ce sujet.

En 1821, Charles-Félix, succédant à Victor-Emmanuel 1er, conserve l’avantage du port franc pour les commerçants niçois. La population apprécie beaucoup ce monarque et lui élève une statue sur le port. Il meurt en 1831 et c’est Charles-Albert qui lui succède, un souverain qui oriente sa politique intérieure vers le libéralisme mais dont l’obsession est de chasser les envahisseurs autrichiens au plus vite. Les défaites de Custozza en 1848 et Novare en 1849 seront fatales au régime. L’armée piémontaise est sévèrement battue, le roi abdique et trouve asile au Portugal où il mourra désespéré peu après.

Avec son successeur Victor-Emmanuel II et son 1er ministre Cavour, rien n’est plus comme avant. Non seulement on ne parle plus de l’extension du port mais le privilège très apprécié du port franc est aboli (1853), ce qui déclenche une émeute locale dont les doigts de la main gauche de la statue du bon roi feront les frais!

En 1860, c’est le Rattachement à la France, il fallait s’y attendre. Napoléon III va faire trois promesses aux niçois, dont deux ne seront pas tenues. Il promet l’arrivée du train: tenu (1864), par contre le maintien de la  cour d’appel et l’extension du port vont passer aux oubliettes. Promesses de politiques…comme toujours! Avec l’arrivée de la IIIème République, le port sera toutefois entretenu, réaménagé, la digue va être rallongée en 1872 et en 1908. On améliore l’existant dans le but d’accueillir des navires de plus en plus grands.

Une activité commerciale fébrile s’ouvrit alors jusqu’à la Grande Guerre avec l’huile, les arachides, le ciment, le bois. On voyait les tonneaux d’huile alignés sous les arcades de la Place Ile de Beauté ou sur les quais, prêts à être embarqués. Ce fut l’âge d’or du port. La 2ème Guerre mondiale, l’Occupation et son cortège de destructions, la décolonisation vont changer la donne. L’activité portuaire va décliner et peu à peu et on va voir s’installer la plaisance avec des yachts de luxe, le tourisme ( ferries, NGV de la Corse), des écoles de plongée et …

(photo J. Camy)
(photo J. Camy)

des antiquaires! Des restaurants huppés ont remplacés les sympathiques bistrots fumeux d’antan fréquentés  par les dockers nissart au verbe haut et les pittoresques marchands de socca  et de « gratà keka » ont quasi- ment disparu. Une nouvelle page est tournée, «lou vieil pouort» a bien changé!

 

Yann Duvivier

Décembre 2013

 

(1): Surnommé ainsi car il s’habillait habituellement en rouge, son père Amédée VI s’habillant quant à lui en vert!

 

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