LE MEDECIN DE FAMILLE de Lucia Puenzo .
Dans l’Argentine et la Patagonie des Années 1960 , une famille rencontre un Docteur qui va partager leur quotidien et soigner leurs enfants et notamment leur petite fille Lilith … sans savoir qu’il s’agit d’un des plus grands criminels de tous les temps : Joseph Mengele !. Pour son troisième film la romancière -cinéaste adapte son roman, insufflant habilement le malaise et pointant en filigrane, les complicités et le « laisser faire » dont les criminels nazis ont bénéficié dans son pays . Fascinante exploration sur le pouvoir, la manipulation et l’emprise …
( l’Affiche Française du Film )
Eva ( Natalia Oreiro ) et Enzo (Diego Perretti ), les parents de Lilith ( Florencia Bado ) et de ses deux frères ont décidé de quitter Buenos Aires la capitale Argentine pour aller s’installer à Bariloche une petite ville proche de la Patagonie où il ont décidé d’aller reprendre et exploiter la petite Auberge tenue jusque là par les parents d’Eva. Sur leur chemin , lors d’une alte , ils rencontrent un médecin Allemand Hector Gregor ( Alex Brendemülh, remarquable ) avec lequel ils sympathisent. Il est installé depuis un certain temps dans la ville de Bariloche où il doit se rendre et où vit , par ailleurs, une petite communauté Allemande attirée par un paysage et un climat qui ressemble à celui de la Bavière . Hector va faire le reste du chemin avec eux…et pourra -connaissant le chemin – leur servir de guide pour traverser ces terres désertiques qui conduisent au lac Hanuel Huapi et ses beaux paysages. Et, il va finir par s’installer ( s’imposer ) dans leur auberge, avec une idée bien précise en tête…
( Alex Brendemülh , le médecin de Famille )
La cinéaste qui adapte son roman Wakolda (2011) également titre original de son film qui est , aussi , le nom de la poupée de Lilith , dont l’origine renvoie à une tribu ( celle des Mapuches) du Sud du Pays. Et dès le début du film elle installe au travers du personnage du Docteur et de Lilith une sorte de rapport étrange par indices qui entretiennent le mystère , et en même temps, finissent par installer l’inquiétude . Un regard inquisiteur et la tonalité d’un voix douce en opposition, d’un docteur qui joue la séduction sur cette petite fille objet de son intérêt parce qu’elle lui semble plus frêle que son âge ( 12 ans ) et pour laquelle ses expérimentations obsessionnelles point de mire , il va proposer- gentiment – à la famille un traitement aux hormones pour accélérer le retard de croissance de leur fille . Si la mère y consent, le père qui se montre plus réticent sera « amadoué » par la proposition d’un soutien financier pour la fabrication de ses poupées Wakolda … dont le médecin évite habilement de lui dire le fond de sa pensée et qu’il envisage une autre version… Aryenne, qu’il espère exploiter sous la forme industrielle !. Tandis qu’ Eva, enceinte de jumeaux, va voir elle aussi , l’intérêt du docteur monter d’un cran à son sujet qui espère bien pouvoir en faire la cobaye d’autres expérimentations génétiques sur ces futurs bébés …petit à petit les masques tombent .
C’est ce mécanisme là que la cinéaste traduit par une mise en scène dont le classicisme assumé cherche à éviter les effets appuyés afin de traduire cette sorte de » banalité » du quotidien et d’un rapport de soumission ( d’emprise ) et de manipulation qui s’installe . Traduisant un contexte complexe auquel cette famille va se retrouver confrontée en découvrant , petit à petit , le visage du monstre se révéler à elle … et son obstination monstrueuse ( on l’a surnommé l’ange du mal) dont le carnet sur lequel il écrit ses notes illustrées par les dessins de projets et d’expériences futures, se fait l’écho. A l’ image de la découverte de celui-ci ( qui va ouvrir les yeux de Lilith …), le récit adopte celui d’un cheminement dont la découverte des indices va faire éclater au grand jour l’identité du « diabolique Docteur », et de ses expériences dont il continue à vouloir poursuivre la mise en œuvre, après les avoir expérimentées jadis sous son vrai nom de Joseph Mengele, le médecin du camps d’extermination d’Auschwitz !.
( Florencia Bado, la petite Lilith)
L’évocation, ici , de son projet de « poupées version Aryenne » , fait d’ailleurs penser à ces « clones de Hitler » résultats de manipulations génétique et destinés à créer le futur 4 ème Reich ! auquel fait référence le film de science – fiction Ces garçons venus du Brésil de Franklin J Schaffner d’après le roman d’Ira Levin , avec Grégory Peck .
Par ailleurs , curiosité du calendrier des sorties des films en salles , après le film de Claude Lanzmann Le Dernier des Injustes ( critique dans notre blog ) , et le témoignage du Doyen Murmelstein sur la réalité des Ghettos, voilà que le film de Lucia Puenzo , vient apporter un autre éclairage et sur la période de l’après-guerre qui vit ces hommes en exil , dont le but ultime était la folie de porter à terme le projet de « pureté de la race », vouloir poursuivre à tout prix leur oeuvre folle !.
Au delà du climat ( fascination , puis , répulsion) que la cinéaste installe dans les relation entre la famille et le Médecin, il y a l’enrichissement du récit par des éléments qui viennent apporter le témoignage sur la réalité extérieure et le contexte dans lequel il se déroule . Il y a ce personnage ( agent du Mossad?) enquêtant sur le Joseh Mengele qui reflète la réalité historique sur la traque des chasseurs de nazis qui eut lieu en Amérique Latine et dont il fut l’objet et qui n’a jamais abouti ( ce dernier après y avoir vécu 35 ans sous de nombreux pseudonymes , a été enterré au Brésil en 1979 )
( Les « poupées » en question )
Et puis , Il y a aussi , cette réalité signalée plus haut d’une ville , Bariloche , dans laquelle dès avant la guerre la communauté Allemande qui y habitait avait adopté les idées pro-nazies , et qui fut le lieu de refuge idéal des criminels après la guerre, comme l’illustrent les scènes de Flash-Back où l’on voit Eva jeune fille à l’école Allemande. Et puis sa fille Lilith qui aujourd’hui se retrouve dans cette école dont le directeur qui officia après-guerre était un ancien nazi ! . Protection complice de la communauté Allemande, et silences de la population Argentine confinée ( ou laissée ) dans l’ignorance … la fantôme du mal a continué a rôder . Joseph Mengele a pu séjourner en Argentine durant cinq années en toute impunité , et de ce séjour on sait peu de choses …la fiction de Lucia Puenzo qui en construit un épisode est constamment portée par les références à une réalité , qui la rend… épouvantablement crédible .
Etienne Ballérini
LE MEDECIN DE FAMILLE ( Walkodia) de Lucia Puenzo- 2013- Sélection Un Certain Regard , Cannes 2013-
avec : Alex Beendemülh, Florencia Bado, Natalia Oreiro , DiegoPerretti…
Continuez dans cette direction, c’est un plaisir de vous lire.
Merci beaucoup …