UN METIER IDEAL de John Berger et Jean Mohr.
La pièce a été présentée ces jours derniers au Théâtre de Nice avec succès . Nous avons rencontré le Comédien Nicolas Bouchaud et son metteur en scène Eric Didry , qui nous ont parlé de leur travail….
Il y a des comédiens qu’on est heureux de retrouver. Ainsi en est-il de Nicolas Bouchaud. Je l’ai vu 4 fois dans des mises en scène de Jean François Sivadier : La vie de Galilée, La mort de Danton, Lear et Noli me tangere, un texte jubilatoire de Sivadier. C’est pour moi un grand comédien – non seulement par la taille- mais par son dit et son actorialité. Je l’ai revu au TNN dans Un métier idéal, adapté du livre de John Berger*, l’histoire du docteur Sassal, médecin de campagne en Angleterre dans les années 60.
Et ce qui m’intéresse dans ce projet théâtral c’est qu’il s’agit de la rencontre de plusieurs histoires. Il y a plusieurs « couches de la lasagne », plusieurs voix mais aussi plusieurs voies : celle du docteur Sassal, celle de John Berger et du photographe Jean Mohr qui racontent, à l’aide de l’écrit et de la photo, le parcours de John Sassal, médecin de campagne, la votre, Nicolas Bouchaud, non seulement pas votre dit, mais aussi la manière dont vous intervenez. Il s’agit un « work in progress » .
Nicolas Bouchaud : Le livre en lui-même, sa forme, est une forme hybride, il se compose de texte et de photos. Le texte de John Berger donne à la fois la parole au docteur, mais aussi il prend régulièrement la parole dans le livre. Cette pluralité est déjà dans le livre. Et on pourrait parler aussi de la voix des patients car le livre est composé de nouvelles. Ce que nous avons ajouté dans le spectacle, c’est qu’on a essayé de fabriquer un parallèle « poétique » entre un médecin et un acteur. Donc on s’est permis par deux fois de faire des incursions vers des choses qui sont plus biographique et qui me concerne
J.B : Le spectacle est présenté comme un « projet »
N.B : C’est un projet que j’avais, comme le spectacle précédent que l’on a fait avec Eric**, qui parlait de cinéma et qui était autour de la figure du critique de cinéma Serge Daney. On avait mis « projet de Nicolas Bouchaud . On a donc affaire à un matériau, un livre, qui n’est pas du tout destiné à la scène, et tout notre travail c’est le de rendre le plus possible et le mieux possible théâtral.
( la Photographie de Jean Mohr )
J.B Eric Didry, quelle a été votre intervention dans ce projet ?
E.D : Dans un premier temps j’essaie de comprendre, de sentir, pourquoi il a envie de cela. Une partie de mon travail serait de traduire ce désir qu’il a. Une fois qu’il est formulé, il y a des forces en lui qu’il faut faire surgir. Quel est ce désir de jouer ce docteur, de s’identifier d’une certaine mesure, c’est quoi cette équivalence de passions entre ce docteur et Nicolas en tant qu’acteur. En lisant le livre, en regardant les photos, il se demandait quelle place allions-nous donner au public, quelle expérience il va faire avec nous. On sent que ce docteur, John Sassal, continue à vivre et à exercer contre vents et marées : quand il découvre quelque chose, il est obligé de ne pas faire comme s’il n’avait pas découvert.
JB : Justement, il y a un moment que je trouve très émouvant, c’est lorsque vous faites venir quelqu’un du public. Vous l’auscultez, comme le docteur Sassal que vous êtes, mais après c’est la parole de l’acteur Nicolas Bouchaud. Vous lui faites lire quelques vers du Roi Lear, puis reprendre ces vers : d’abord il y a le sens que cette personne donne, puis l’intervention de la versification, repris une fois. Et c’est là où l’on voit le « projet » Bouchaud
N.B La question c’est de se demander, que l’on monte une pièce ou que l’on adapte une pièce comme on l’a adapté, c’est toujours de se demander quelle expérience on va faire vivre, qu’on a envie de vivre comme acteur et qu’on a envie de partager avec le spectateur. Et là il y avait ce parallèle poétique avec l’acteur qui est à la fois un malade puisque confronté à des personnages du répertoire théâtral qui sont complètements fous, souvent – tous les grands personnages de la littérature théâtrale ont un problème, quand même, ce sont des cas. L’acteur est confronté à des cas. Et parfois il est obligé de devenir un malade, parfois il est médecin parce qu’il a un regard sur son personnage
J.B Sur la mise en scène, et plus spécifiquement quant à la scénographie, vous mettez en fond de scène un agrandissement géant d’une photo de John Mohr, dont le spectateur n’arrive pas à préciser la netteté.
( Nicolas Bouchaud , une scène du spectacle )
E.D : En fait il y a deux photos, l’une qui est recto et l’autre verso. Au début on voit la face, puis de différentes façons, on voit apparaître l’envers, d’abord en partie puis complètement. C’est une chose qui nous paraît fixe mais qui n’arrête pas de bouger. On a chois parmi les photos de Jean Mohr des photos de paysages. Comme il y a beaucoup de questions dans le spectacle : notre contribution a été de faire surgir un questionnaire
J.B : En effet au cours du spectacle Nicolas Bouchaud pose aux spectateurs une série de questions qui semblent extérieur au propos ( comme celle-ci qui m’a empêcher de dormir la nuit après avoir vu la pièce : de quel coté du lit dormons nous le mieux ?) et pourtant, au fond, ces questions pourraient être posées par un médecin.
E.D : Et ce qui est étonnant, c’est que Sassal fait partie d’un monde qui nous apparaît disparu et en même temps c’est un médecin qui avait beaucoup d’avance. Sa façon de pratiquer est enseignée actuellement à l’université : on commence à comprendre un peu mieux comment soigner les gens, en essayant de comprendre ce qu’il exprime à travers leur maladie. Le généraliste reçoit la société, pas seulement les humains, comment le travail peut agir sur les corps
( Eric Didry et Nicolas Bouchaud )
Un métier idéal est, vous l’aurez compris, autre chose qu’un peu de théâtre, c’est une expérimentation, une manière de chercher ensemble quelles sont les voies de la création, comment chacun s’écoute l’autre. Jean Rostand disait « Aller à l’idéal et comprendre le réel » C’est peut-être cela, le chemin de John Sassal.
Propos recueillis par Jacques Barbarin
*Un métier idéal, John Berger et Jean Mohr (photos), Editions de l’Olivier
** Éric Didry, metteur en scène
Un métier idéal, du 21 novembre 2013 au 4 janvier 2014, 21h, dimanche 15h30, relâche les lundis et les 24 novembre, 25 et 31 décembre, 1er janvier
Théâtre du Rond Point, 2bis avenue Franklin Roosvelt, 75008 PARIS 0 820 811 111
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