Cinéma / VIOLETTE de Martin Provost

VIOLETTE de Martin Provost.

Le long combat de la reconnaissance d’une écrivaine libre, Violette Leduc qui défie les tabous moraux, soutenue et portée presque malgré elle, par une consoeur – elle- reconnue et respectée, Simone de Beauvoir. De leurs relations intimes à leur rapports avec le monde littéraire et des éditeurs, à celui de la créativité. La vie et l’oeuvre intimement liées dans le rapport au monde et aux autres. C’est tout l’enjeu d’un parcours douloureux dont le cinéaste avait déjà initié le décryptage avec la peintre Séraphine ( 2008) , et dont il poursuit , ici , l’exploration de la marche douloureuse de la créativité confrontée au rejet.

VIOLETTE  1 (  Emmanuelle Devos /  Violette Leduc )

Violette Leduc ( 1907-1972) dont le reconnaissance tardive de l’oeuvre autobiographique ne s’est manifestée que très tardivement avec le succès de son  livre sulfureux La Bâtarde en 1964 , au bout d’un long parcours semé de doutes et d’épreuves douloureuses marquées par le rejet et les ciseaux de la censure sur ses œuvres dont l’aspect cru et autobiographique avait le tort d’aborder des thèmes de la sexualité libre et de la sensualité de la chair, comme le désamour ressenti ( maternel et des autres ) et les épreuves traversée par cette bâtarde qui avait fini par en ressentir aussi , le désamour d’elle-même. Un désamour pour la vie dont le crime de lèse majesté de l’époque se concrétisa par la description de tous ses tourments dans ses œuvres ( L’asphyxie/ 1946) , l’Affamée / 1948 ) dont le rejet dans l’oubli fut la conséquence de la frilosité des éditeurs face aux sujets sur  lesquels  elle levait le voile des tabous qui les enfermait dans le silence , comme en témoignera le couperet de la censure qui tombera sur son livre Ravages ( 1955) où , entre ‘autres, elle abordait , frontalement la question de l’avortement.

VIOLETTE  4( Sandrine Kiberlain : Simone  De Beauvoir )

Violette Leduc ( Emmanuelle Devos , parfaite ),  dont la sensibilité de l’écriture et des mots qui la traduisent , en avance sur son temps , n’a pas échappé à celle qui en bousculait déjà certains , Simone de Beauvoir ( Sandrine Kiberlain, encore étonnante) très attachée à ce qui traitait de la féminité et du combat de ce Deuxième Sexe, alors en gestation,  lorsque Violette viendra lui présenter  l’ébauche de son premier essai.  Simone qui décèle à la fois l’originalité de l’écriture et d’un liberté rare dans l’expression de l’intimité douloureuse d’un vécu et d’un ressenti féminin, va  la  conseiller ,  la prendre sous sa protection et lui ouvrir les portes du monde de l’édition qui détient les clés de la diffusion, et donc, de la possible reconnaissance. C’est donc ce nouveau parcours dont Violette va découvrir les méandres, qui est au cœur du film. Refusant la traditionnelle « biopic », comme c’était déjà le cas dans Sérafine , Martin Provost s’attache avant tout à suivre ses personnages dans leur cadre quotidien et en cherchant à le resserrer dans l’espace cinématographique d’une reconstitution d’époque ( décors …) minimaliste, afin qu’elle accompagne esthétiquement ce qui est au cœur et au centre du film : la créativité intimement liée au vécu.  Scruter au plus près ce « lien » intime entre l’oeuvre et la vie, et tenter d’en percer le secret.

VIOLETTE   2  ( Jacques Bonnafé/ Jean Genêt, Emmanuelle Devos ( au centre) , Olivier  Gourmet / Jacques Guérin)

Et c’est dans cette démarche que le film devient au fil des séquences,  passionnant , doublement servi par ses interprètes en tous points remarquables ( et superbement entourées) , et par un choix stylistique et esthétique de mise en scène qui refuse ,  à l’image de son héroïne , les compromis  afin de rester au plus près de cette authenticité dont elle incarne à la fois la fragilité et la détermination , et dont elle subit de plein fouet les multiples rejets qui ne font qu’alimenter sa douleur, jusqu’à la plonger au bord de la folie ( la séquence de son hospitalisation ), avant de trouver une sorte de paix et de sérénité dans les paysages de sa demeure dans la Drôme , à Faucon  en Vaucluse  , où elle s’installe à la fin de sa vie . Alors en spectateur, on se laisse entraîner par Martin Provost dans le sillage de Violette et de ses tourments, et on sort de là avec l’envie de lire ( ou relire ) ses œuvres , comme on sortait de la Projection de Séraphine , sous le choc de la découverte de l’oeuvre d’une artiste singulière. Ce n’est pas le moindre des mérites- ici encore -du film et de son cinéaste que de donner cette envie de (re) découvrir une écrivaine dont l’oeuvre reste , encore  un peu,  dans l’ombre aujourd’hui . Et dont pourtant la modernité des thèmes est on ne peut plus actuelle.

VIOLETTE  3 (  Olivier  Py, Emmanuelle Devos )

A l’image de son combat pour sa quête d’amour et la difficulté à vivre son homosexualité dans un environnement hostile . A l’image, encore, de son combat de femme exprimant sans fards «  à vif » , ses ressentis intimes, comme son désarroi social ( sa place dans  la société)  dû  à cette bâtardise de naissance dont elle porte le poids , désarroi affectif et psychologique , en héritage ( les séquences avec sa mère / Catherine Hiegel ) douloureux dont chacun peut ressentir , à des degrés différents, les échos qu’il nous renvoie, en miroir.  Et que son combat pour la liberté créatrice contre l’establishment ( qui égratigne Gallimard , et le monde de l’édition d’hier) au bout du compte , a aussi , quelque chose à voir avec une certaine « normalisation » économico-politique , dans laquelle baigne ( est soumise) , la création littéraire ( mais pas que..), d’aujourd’hui . Les figures croisées dans son parcours par Violette Leduc ( Jean Genêt / Jacques Bonnafé, épatant – ou – le collectionneur-parfumeur , Jacques Guérin / Olivier Gourmet , en soutien financier … ou encore de Maurice Sachs / Olivier Py, l’écrivain homosexuel dont elle tombe amoureuse ) , sont là aussi pour témoigner de la nécessité de ne pas baisser les bras. Comme l’a fait Simone de Beauvoir en se substituant comme soutien moral et aussi financier, à la frilosité des éditeurs , et en défendant contre vents et marées,  jusqu’au bout ( La belle scène de l’émission radio où elle fustige ceux qui hier l’ont rejetée et se rallient hypocritement à la célébration du succès …) , celle à qui la reconnaissance avait été si longtemps refusée …
(Etienne Ballérini )

VIOLETTE de Martin Provost ( 2013 )
avec : Sandine Kiberlain , Emmanuelle Devos , Olivier Gormet, Jacques Bonnafé , Olivier
Py, Nathalie Richard, Stanley Weber …

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