Comme chaque année, le collectif d’artistes No-Made donne rendez-vous dans le jardin de la villa privée du Roc Fleuri à Cap d’Ail. Les propriétaires de celles-ci se doivent, en contre-partie d’une participation publique à la rénovation de leur splendide maison de bord de mer, accueillir un mois par an un événement artistique. No-made a donc pris encore une fois ses quartiers et propose une trentaine d’œuvres autour du thème « On déménage ». Un thème parfait pour ce collectif qui peut aussi se lire « nomade » sans lieu à lui mais qui investit régulièrement cette villa, arboretum du Roure ou des lieux voués à la destruction (la voie déferrée à Cap d’ail, un appartement à Monaco, le gymnase à Cannes).

En 2010, leur exposition « Si le Printemps revenait », particulièrement réussie à la faculté de Saint Jean d’Angely –il y avait eu une première édition dans le jardin de la faculté de Valrose, permettait aux artistes de se plonger dans l’urbanité et dans l’architecture du lieu. Ce fut aussi formidable.
Denis Gibelin, artiste et moteur du collectif se bat chaque année pour fédérer cette trentaine d’artistes aux univers éclectiques mais avec tous, la même modestie devant l’art et la pratique artistique. No-made cherche, trouve, propose mais n’impose jamais. En se baladant dans le jardin du Roc Fleuri, on découvre ainsi au détour d’un chemin, accroché sur un arbre des œuvres en suspens, enfouies, posées sur le sol, dissimulées ou accrochées à une branche, autour d’un tronc. L’espace joue donc un rôle vitale et c’est en ça où l’œuvre se doit d’être tolérante. Elle affirme par cette connexion au monde sa nécessité de vivre au travers de celui-ci et du spectateur. Il faut donc être ouvert et généreux. No-made tente « au fil des années de favoriser la rencontre de sensibilités et de talents artistiques. [C’est] une aventure artistique mais, surtout et avant tout, une aventure humaine » est-il expliqué dans le catalogue de l’exposition « Si le Printemps revenait ».

C’est donc un champ libre d’inspirations et d’expérimentions, les courants artistiques contemporains se percutent du dadaïsme à l’arte povera en passant par du Land art ou une référence à Duchamp.
2013 et son « On déménage » propose ainsi une palette assez réjouissante et très éclectique dans les styles comme dans l’intérêt aussi parfois, soyons francs. Oui soyons francs certaines œuvres sont plus faibles dans leur proposition artistiques et leurs discours mais dans un collectif regroupant autant d’artistes, rien de plus normal. L’ensemble reste très enthousiasmant.
Et comme à chaque fois, Paul Stappleton a une idée géniale. En 2011 autour du thème « Passe-ports méditerranéens », ses amphores alignées dans l’allée centrale symbolisaient ses hommes et ses femmes qui ont traversé cette mer située quelques mètres en contre-bas. En 2013, ce sont des seaux remplis d’eau de mer qui sont alignés à la même place pour une œuvre intitulée 180kg d’eau de mer. Puis au fond du jardin, c’est 1 tonne d’eau de mer qu’il déménage. Veut-il symboliser par ces deux œuvres l’emprise de l’homme sur la nature ? Dans une même veine, Anne-Sophie Viallon a tendu entre trois arbres deux grandes sangles semblant sanctuariser l’espace… à protéger ?

Les questions sont posées mais les réponses sont à trouver ailleurs, peut-être dans ce rêve proposé par Helena Krajewicz. L’artiste a suspendu dans l’allée devant la maison des oreillers en papier durci rouges, jaunes, blancs, à motifs pour une œuvre « I Had a Dream » hommage sans doute au discours de Martin Luther King dont on a fêté l’anniversaire il y a quelques semaines.

Rob Rowlands a aussi proposé une œuvre à visée politique mais d’une poésie plus Rock’n Roll. A une croisement d’allées, on tombe sur une baignoire surmontée d’un pommeau de douche en marche et un souffle d’air repoussant l’eau déversée pendant que The Star Sprangled Banner de Jimmy Hendrix, version Woodstock, résonne à tue-tête. Cette installation éclabousse tout le monde et veut dénoncer ainsi l’utilisation du gaz de Schiste aux Etats-Unis et que certains voudraient voir produire en France.
Il y a ses chaises démembrées, formant là un cadavre au sol ou ici un pendu à un arbuste de Christian Fulcheri, aussi ce manifeste pour sauver les abeilles de Sally Ducrow dont une série de bocaux forment des alvéoles géantes, cette très forte photo de Robert Matthey montrant une sculpture de lionne enveloppée de plastique attendant son déménagement dans un musée. Une rage animale contenue prend vit ainsi enfermée.

Denis Gibelin a quant à lui réaliser une œuvre assez drôle où une Mona Lisa rabougrie dans son cadre tente de s’échapper au milieu d’un pare-terre de Mona Lisa ! On parle bien sûr de pomme de terre. Il a aussi installé une grande œuvre face à la mer. Deux grandes planches formant un angle et reconstituant un coin de pièce en plein jardin donnent ainsi une perspective et une profondeur à qui dévoile par une brisure encadrée la mer s’étendant au loin. Derrière ces murs abandonnés et troués, il y a l’horizon qui se dessine. C’est le plus important et c’est pour cela qu’on l’encadre.
Difficile de parler de chaque œuvre sans réaliser une liste fastidieuse et dénaturant – c’est le cas de le dire – le travail de no-made qui se découvre au fil de la déambulation. Car cette marche fait partie intégrante du plaisir que le spectateur reçoit en visitant les jardins du Roc Fleuri. Alors bonne marche.

Julien Camy
Ouverture tous les jours du 7 au 30 septembre, de 13h à 19h. Entrée 2€
23 avenue Docteur Onimus, Cap d’Ail
Sympa. Ca me fait penser à « site en Ligne » (+/-) qui se déroule près de Bruxelles, avec des expos en forêt d’artistes contemporain
[…] *Lire le compte-rendu de l’année dernière https://ciaovivalaculture.com/2013/09/10/expo-no-made-demenage-au-roc-fleuri/ […]