GARE DU NORD de Claire Simon.
Une gare, celle du Nord, à Paris . Un immense lieu de flux humain, de croisements et de possibles, belles -ou mauvaises- rencontres. Un monde en raccourci à lui tout seul. Un film choral où, documentaire et fiction, se mêlent avec une échappée belle vers la poésie et le fantastique, pièces d’un puzzle emblématique des solitudes et violences du monde contemporain.
( Mathilde/ Nicole Garcia, en errance dans la gare )
Dans la chanson Orly Jacques Brel avait fait de l’aéroport Parisien et de son lieu d’attente un espace au cœur de la multitude duquel ( « ils sont plus de deux mille, et je ne vois qu’eux deux » ), il isolait du monde , la destinée d’un couple « à qui le vie n’a pas fait de cadeau ». Comme chez Jacques Brel qui s’y faisait observateur « ces deux déchirés superbes de chagrin, abandonnent aux chiens l’exploit de le juger » . Il y à , chez la cinéaste , ce même regard plein de tendresse sur les individus en souffrance, noyés dans la masse « ces deux là sont trop maigres pour être malhonnêtes » chantait encore jacques Brel . Et perdus au milieu de la multitude de la gare du Nord, les personnages de la femme souffrante et du jeune étudiant fils d’immigré, font penser à ceux du chanteur, car Il y a aussi , chez Claire Simon , la volonté de faire ce « focus » sur ces êtres fragiles et désemparés , en quête d’amour et ( ou ) de rencontres qui leur permettraient d’échapper à l’angoisse des lendemains dont on ne sait pas de quoi ils sont faits. Au cœur de l’isolement d’une multitude , le hasard peut se glisser et faire naître tous les espoirs, la quête pouvant se parer des habits de l’anonymat. Ce sont quelques-uns de ces individus noyés dans la masse que la cinéaste a décidé de suivre, faisant le choix de la fiction au cœur d’une approche documentaire. Deux éléments de récit dont elle a souvent -habilement – marié les conjugaisons dans ses films. Comme dans Les Bureaux de Dieu (2008) où elle faisait pénétrer dans le lieu de réception et de gestion d’un planning familial, la diversité du monde extérieur allant y chercher l’écoute de leurs problèmes, et ce « lien » social nécessaire leur permettant d’y faire face . Elle y parlait aussi d’urgence .
( La rencontre – Nicole Garcia, Reda Kateb )
Et cette même urgence, on la retrouve ici dans cette gare du Nord dont la dimension et l’ampleur des milliers de personnes ( 700 000 ) qui la fréquentent chaque jour, fait dire à un des personnages, l’étudiant en sociologie, Ismaël ( Reda Kateb, émouvant ) qui y travaille, qu’elle est « une sorte d’immense place d’un village global , le monde ». Un monde souffrant, reflétant en son cœur toutes les problématiques ( personnelles et sociétales : solitude,maladie, peurs , sécurité, violence…) du microcosme, emblématique, que constitue cet immense vaisseau humain avec ses figurants. Et ce microcosme, la cinéaste le scrute à la fois avec un regard curieux , réaliste , et inquiet parfois. La curiosité faisant place à la tendresse sur les personnages et à l’imaginaire que ce lieu de transit peut déclencher , et l’inquiétude c’est celle que fait sourdre le fantôme de cette violence souterraine ( indifférence …), ou plus visible, qui s’y manifeste aussi , comme l’illustre la scène de l’agression dans le magasin de lingerie. Mais ce sont aussi tous les aspects quotidiens liés à la gestion et au fonctionnement ( entretien , contrôles de billetterie, surveillance sécuritaire humaine ou par caméras…) d’une immense machinerie dont on décèle, et pointe aussi , les ( possibles) dysfonctionnements, dus au zèle ( les contrôles au faciès…) ou reflétant le simple constat de l’impossibilité de faire face à tout, comme le relève une employée chargée de la surveillance de quais interpellée sur les suicides des individus se jetant sur les voies à l’arrivée du train, exprimant l’impuissance à prévenir et éviter ce type tragédie . On soulignera, par ailleurs l’ époustouflante performance – et le travail qui s’y rattache – du film qui nous plonge dans le quotidien de la gare, comme si on y était, images , sons , et lumières ….
Mais c’est surtout chez la cinéaste , sa manière de faire sourdre le documentaire au cœur de la fiction ( ou l’inverse ) et ses personnages qui s’y frottent, pour l’enrichir et en faire percevoir un autre éclairage, qui constitue la performance du récit et de sa mise en scène. On en mesure et découvre les aspects multiples par le biais, des errances de ceux dont elle nous les fait suivre dans la gare , tentant de trouver solutions à leurs problèmes . Comme c’est le cas de la jeune agent immobilier ( Monia Chokri) en souffrance de rupture sentimentale , ou de l’animateur TV ( François Damiens) à la recherche de sa fille fugueuse , et de la petite vendeuse de la boutique de lingerie inquiète pour son travail et contrainte de supporter les exigences de son patron, ou encore, de la rencontre entre la femme souffrante , Mathilde ( tiens !, jacques Brel l’a chantée aussi ) , incarnée par Nicole Garcia ( impeccable) et l’étudiant en sociologie qui , en complément de sa thèse , travaille sur un sondage dans la gare , et nous entraine avec lui, à la découverte de l’envers du décor.
Et au cœur de celui-ci , la cinéaste y invite , dans le sillage de ses personnages, silhouettes anonymes qui peuplent la gare, la dimension de l’imaginaire et de la poésie qui s’envole vers le fantastique, parfois lui aussi, empreint de gravité à l’image de cette scène où un monsieur dans la foule disparaît soudain, ou encore de cet autre qui hurle comme un fou « je ne suis pas comme vous ! » , tandis qu’une jeune fille sortie d’on ne sait où avec son drôle d’instrument ( une sorte de cor ) se met à jouer les notes d’une mélodie qui s’envole vers le ciel , tandis que, plus loin, des voyageurs mal dirigés (?) se retrouvent bloqués dans une impasse !. Dégagés de cette masse humaine par la cinéaste, ses personnages y compris les plus fugaces, sont le reflet d’un regard sur le monde , comme ceux dont Jacques Brel dans
sa chanson Orly, mettait en relief pour ce qu’ils reflétaient d’humanité . Et dans le film , en miroir, il y a d’ailleurs un beau personnage de compagnon de l’homme , un chien , perdu lui aussi dans cette foule et qui, en attente de retrouver son maître, choisi d’y substituer celui , dont il a décelé la bonté du cœur…
(Etienne ballérini)
GARE DU NORD de Claire Simon ( 2013 ) – Avec : Nicole Garcia , Reda Kated, François Damiens, Monia Chokri…
Un lieu étrange et forcément porteur d’histoires – de départ et d’arrivées, de retours perdus et/ou en grâce, cette gare du Nord.
Belle idée que ce film, avec un casting solide.
Dommage que cette gare charrie aujourd’hui plus de militaires (CRS armés) que de couples singuliers … là aussi ils sont des milliers mais je ne vois qu’eux deux … mais c’est une autre histoire, du possible ou non.
[…] carrière de comédienne, entre Paris et Montréal (elle a tourné notamment sous la direction de Claire Simon, Katell Quillévéré et Claire Devers), elle entreprend la réalisation de son 1er long métrage, […]