image Expo / Matisse, un joli coup de pub pour Nice

un-ete-pour-matisseL’été à Nice est matissien et dure jusqu’au 23 septembre. En effet, la ville avait mis le paquet pour célébrer les 50 ans de la création du musée Matisse sur la colline de Cimiez. Rarement, cette ville n’avait semblé se donner autant de moyens sur un projet culturel. Cela fit même la Une de Télérama et des spots publicitaires étaient diffusés à la télévision nationale. C’est vous dire.

Durant ce grand raout estival culturel niçois qui s’inaugura fin juin, avec Christian Estrosi en tête accompagné de Jean-Jacques Alliagon, commissaire de l’événement, Matisse était devenu un signe ostentatoire de richesse culturelle pour une ville où la culture est souvent le parent pauvre. Il suffit de voir l’ascenseur souffreteux et si sale que l’on ose à peine appuyer sur le bouton qui permet d’accéder au musée d’art moderne (Mamac) ou au Théâtre National de Nice, pour se rendre compte de l’importance à l’année que l’on donne à ces deux étendards de la culture de la ville. Et c’est sans vous parler de toutes les petites associations culturelles et artistes qui se battent pour survivre, trouver des lieux de création* et continuer de proposer une culture ouverte au plus grand nombre.  On pourrait en écrire des pages. C’est un combat quotidien depuis des dizaines d’années.  Pendant ce temps, un grand stade de foot très cher s’est construit et le tram va se faire en souterrain pour ne pas déranger quelques commerçants – qui seront quand même dérangés – et pour plusieurs centaines de millions d’euros en plus. Sans commentaire.

Cependant, revenons-en à nos Matisse. Pour cette exposition majeure, tous les musées de la ville, soit huit lieux au total, étaient réquisitionnés pour rendre hommage à un des peintres les plus marquants du XXème siècle et de la peinture moderne. Une bonne idée qui permet de redécouvrir ce peintre, chef de fil du fauvisme et précurseur de l’art moderne, du travail sur la couleur avec ses gouaches et ses papiers découpés, dont avait oublié un peu l’importance tant cela était devenu évident.

Et c’est tout naturellement au musée Matisse et au Mamac de Nice que les principales expositions se situaient.

WP_20130802_004Musée Matisse. Au musée Matisse, c’est la relation entre sa peinture et la musique qui était étudiée : « Matisse, la Musique à l’œuvre ». Au travers de son pinceau, Matisse a toujours cherché à retranscrire le rythme et l’émotion musicale, jouant des couleurs comme le musicien se joue des accords. Ses aplats de couleurs sont autant de notes qui explosent aux yeux et dans les tripes. Il y a bien sept notes sur une partition pourquoi ne pourrait-on pas faire pareil dans l’art plastique pensait Matisse. C’est la sonorité de la couleur.

L’exposition débute par une de ses œuvres les plus fortes « Le Tristesse du Roi » (1952). Malheureusement, sa taille gigantesque n’a pas permis de le mettre très en valeur, en contre-jour dans le hall d’accueil entre deux colonnes. Il perd un peu de sa puissance ainsi à l’étroit et dans l’ombre mais reste quand même un chef d’œuvre de modernité et de poésie que l’on ait heureux de voir.

Le joueur de flûte
Faune chantant la nymphe endormie

Dans les différentes pièces du Musée, des dessins préparatoires pour ses merveilleuses et si simples danseuses, un corps à corps très sensuel au son d’un Faune chantant la nymphe endormie, semblant être rythmé par les courbes et les couleurs. Là une boite à musique face à la mer se joue des perspectives et des couleurs. Au fil des tableaux et de dessins, l’œuvre de Matisse s’écoute comme un poème, une dédicace aussi à la Méditerranée.

Il y a aussi une merveilleuse démonstration de toute la modernité apportée par Henri Matisse. D’après la nature morte de Jan Davidz de Heem « Le Dessert » datant du XVIIème, Matisse réalisa deux tableaux à 22 ans d’intervalle. Le premier, somme toute classique, date de 1893. Celui peint quelques années plus tard est directement passée au siècle suivant, cassant les codes de couleurs, de perspectives et de représentations. Jouant sur les aplats de couleurs, les formes géométriques et leur abstraction, Matisse aborde la peinture comme un sujet d’exploration sans fin. Elle n’est plus qu’une question de représentation, elle est vivante et se réfléchit en tant que telle. On comprend donc bien cette émulation qu’il y a eu avec Picasso autour de la modernité picturale. Cependant, Matisse avait une vision plus poétique et bourgeoise que Picasso et sans aucun jugement de valeur, il était plus délicat.

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Une même nature porte pour deux tableaux. Le classicisme et le modernité.
Une même nature morte pour deux tableaux. Le classicisme et la modernité.

Le Mamac. Au Mamac, où l’exposition « Bonjour Monsieur Matisse ! Rencontre(s) » s’interroge sur « la survivance de l’iconographie matissienne des années 1960 à aujourd’hui » explique Gilbert Perlein le conservateur du Mamac et Rebecca François attachée de conservation. Et c’est plutôt réussi. Au fil de la déambulation, apparaissent à la fois l’influence très importante que Matisse a pu avoir sur des peintres comme Claude Viallat avec son travail sur la couleur et les formes et des clins d’œil des artistes comme celui du peintre de rue new-yorkais, Jean-Michel Basquiat qui dans un ses dessins place un petit poisson rouge, référence-hommage à une des peintures du Maître. Les œuvres sont donc nombreuses et très variées, du tableau en relief de Larry Rivers à des collages sur les murs, d’une oeuvre torturée de Robert Combas à celle plus poétique de Nikki de St Phale en passant par un délire d’Erro. Chacun à leur manière ont intégré dans leur toile un élément matissien que ce soit une femme alanguie, la célèbre danse ou des nues matissiens dans une ambiance à la Fernand Léger pour ce dernier. Et intelligemment, la scénographie à placer dans chaque pièce un petit écran diffusant les différentes œuvres de Matisse en rapport avec celles présentées ici.

Robert Combas
Robert Combas
Francesco Vezzoli et Nikki de Saint Phale aiment la danse de Matisse
Francesco Vezzoli et Nikki de Saint Phale aiment la danse de Matisse

L’exposition est donc réjouissante tant par sa qualité, que par la vitalité que détiennent ses tableaux et par extrapolation toute la modernité encore détenue par l’œuvre de Matisse.

Thierry Lagalla dans la brousse matissienne
Thierry Lagalla dans la brousse matissienne

La nouvelle génération n’est pas non plus en reste et continue de dialoguer avec le Maître. Ainsi des œuvres ont été spécialement réalisées pour cette exposition. Parmi les artistes niçois, il y a le drôlatique Thierry Lagalla qui propose une pochette de disque reprenant un paysage matissien en plus du clin d’œil à la musique ou encore la reconstitution d’une photo montrant la cheminée de Matisse surplombée par un tableau de Picasso, et intitulée : « Ce que je préfère chez Matisse, c’est son Picasso » ; Gérald Panighi propose un patchwork de dessins/découpages mettant en relation des pin-ups avec une phrase énigmatique et décalée. Matisse s’introduit dans son univers étrange et fascinant un peu par hasard mais cela lui colle bien si on peut dire. Un peu comme Loïc Le Pivert qui a réalisé jusqu’au vernissage des dessins-chroniques très drôles pour la plupart.

Gérald Panighi
Gérald Panighi

Ailleurs. Le musée d’archéologie présente une représentation des piscines de l’âge antique jusqu’à aujourd’hui en clin d’œil à la céramique monumentale « La Piscine » de Matissse. Malheureusement, entre photographies peu pertinentes et art vidéo ringard, cette exposition est une vrai fausse-bonne idée qui n’explore rien du tout et reste bloqué dans le pédiluve.

De l'art vidéo...
De l’art vidéo…

Au musée de la photographie et de l’image, on retrouve le thème des femmes et des muses à la fois dans la collection d’Amedeo M. Turullo et dans l’œuvre de Matisse. Le Palais Lascaris présente les années Jazz de Matisse qui réalisa le fabuleux livre Jazz aux fameuses éditions Tériade. Au Musée Masséna, ce sont les « palmiers, palmes et palmettes » chers à Matisse qui sont étudiés au travers de ses œuvres et de celles d’autres peintres. Au musée des Beaux-Arts, Matisse est vu au travers de l’œuvre de son maitre, Gustave Moreau.

Attrape touristes. « Un été pour Matisse » est donc plutôt réussie et bien ficelée mais on reste quand même sur notre faim de ne pas avoir eu cet uppercut de couleurs et de formes, ce choc visuel. Pourtant avec Matisse, il y avait la matière de faire. Les expos sont sages, trop sans doute, pas assez ambitieuses aussi dans le domaine artistique.  Car, il ne faut pas se le cacher, ce fut un gros coup de pub pour la ville de Nice et une attraction touristique très importante de l’été. D’ailleurs, dans les éditos du Maire de Nice Christian Estrosi ou de Jean-Jacques Ailliagon, Nice a presque plus de place que Matisse lui-même. Pour le premier, il souhaite « que les touristes et les Niçois redécouvrent à travers cette manifestation la diversité et la richesse de notre offre muséale », le second ce programme « constitue ainsi une invitation à découvrir Nice des musées de la colline de Cimiez jusqu’au quai des Etats-Unis. » On se demande même si il n’aurait pas fallu re-titrer « Un été pour Nice et aussi Matisse. »

Niçois oubliés. A tel point que les Niçois furent même un peu oubliés dans la tarification des visites. En effet, pour pouvoir voir une exposition, il faut s’acquitter d’un pass à 10 euros donnant le droit à toutes les expos mais valable uniquement 7 jours consécutifs. Sachant que les musées municipaux ferment à 18h, il fallait que les Niçois qui voulaient tout voir, visitent tout en un week-end. Au pas de charge donc. Plus d’un ont été découragés.

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Claude Viallat

Mais pourquoi ne pas avoir étalé ces abonnements sur la longueur  ? Cela avait d’ailleurs été demandé par Patrick Allemand, conseiller municipal socialiste (lire ici). Pourquoi ne pas avoir proposé des entrées à l’unité pour chaque musée  ?  Aux Rencontres de de la photographie d’Arles tout est possible : un jour, une semaine, toute la durée, à l’unité et c’est même gratuit pour les Arlésiens. Alors pourquoi ne pas avoir offert la gratuité à ces niçois et niçoises que Christian Estrosi aime tant ? Cela aurait été un beau geste pour amener la culture à tous ses administrés.  Mais il était question de culture ou de faire parler de Nice et de soi ? En voilà une bonne question.

R.C.

*Rappelons que le très nébuleux projet culturel Sang neuf devant se situer dans les anciens abattoirs et dont s’occupe depuis 2008 (déjà ?) Sophie Duez, dépend maintenant du service de l’urbanisme. Tout le monde attend que ça avance mais rien ne bouge vraiment pour l’instant. Et l’attente commence à être longue.

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