Noël Dolla est à la Villa Arson, un joyeux bordel, dixit l’artiste

Noël Dolla, Lou Che, 2013.
Visuel / photo : Arnaud Maguet / Stéphane Accarie
Le titre de l’exposition de Noël Dolla, claque au vent et retentit par la force de ce NON démesurément grand. Il a fait pour moi tout de suite écho à cette phrase de Duras qui dit « Le dressage à l’approbation est tel qu’une fois lâchée la liberté d’abord REFUSE »…
Le refus chez Noël Dolla a pris de multiples aspects tout au long de sa vie, à commencer par le refus de la toile ou de la verticalité de l’œuvre qui est sans doute à l’origine de l’aventure de « Supports/Surfaces ».
Ici, le refus d’une expo conventionnelle, bien balisée où il suffirait de suivre le parcours fléché. D’abord, l’entrée est barrée et dès le départ, nous sommes obligés de lever le nez. La première pièce qui nous accueille « Lou Che » est située au plus haut de la terrasse du haut. Barque rouge et noire échouée dans le ciel, elle pointe vers le Sud et nous dit les illusions perdues tout autant que l’inextinguible besoin de rêver. Lou Che, c’est bien le nom du Che en niçois qui se découpe en néon rouge sur le ciel de la colline. Mais comment naviguer en de telles circonstances et vers où ? C’est une œuvre qui à elle seule nous dit l’impossible/indispensable utopie.
Impossible d’entrer dans le hall donc, mais, de toutes façons, pas d’inquiétude, c’est une expo à l’envers : l’entrée est ailleurs… Dolla a l’ambition de casser les moules et de sortir des sentiers battus, il commence donc par le commencement, le parcours même de l’expo et la disposition des œuvres. Nous contournons par conséquent la Villa par la gauche ( faut-il y voir un premier clin d’œil?), et nous sommes d’emblée arrêtés par un mobilier hors norme, réalisé par Stéphane Magnin et ses étudiants à la Villa Arson à partir du projet de Enzo Mari « Proposta per Autoprogettazione » de 1974. Détournement du design. Retournement du rapport marchand. Détournement de la récup elle- même… Et vraie réflexion sur l’utile, le beau, la matière et surtout le rapport de chacun à sa propre créativité. Ces meubles à monter soi-même à partir de différents bois bruts ( fauteuils, tables, chaises longues, banquettes) vont ponctuer l’expo comme autant de variations sur un thème et d’invitations a s’asseoir, prendre le temps, réfléchir. Ce n’est de toutes façons pas une expo qui se visite au pas de course.
Toujours dans l’idée de l’expo à l’envers, Noël Dolla a conçu avec les jardiniers de la Villa Arson des arrangements de plantes tête en bas. Là aussi, c’est nous qui sommes obligés de lever les yeux, interpellés par ces bottes de paille fixées au plafond sur des étais (d’été nous dit Dolla, titre de l’œuvre) recouverts de plumes blanches. Paille, plumes, plantes, serions-nous a la campagne, dans le poulailler d’une ferme pas très modèle, comme du temps de Monsieur Arson? Et surtout, autre clin d’oeil pas forcément si cocasse, la Villa menace-t-elle à ce point de s’écrouler qu’elle ait besoin d’autant de points de soutènement. Et puis n’oublions pas la fidélité de Dolla à ses premières passes d’armes sur les chantiers du bâtiment que nous retrouverons dans bon nombre d’oeuvres que ce soit avec la tarlatane (« Carnets de voyage » ou le blanc d’Espagne…( « Étant donné les vacances, eau et gaz à tous les étages » qui est en même temps un hommage léger et malicieux à Duchamp).
Le dialogue avec les autres artistes (qui pour la plupart ont été ses étudiants dans ce même lieu) joue un rôle-clé dans ce contre – exemple d’ exposition monographique. Mais, encore plus radical dans cette démarche, les étudiants de dernière année sont eux aussi présents, et au cœur même de l’expo. Un geste qui clame haut et fort l’engagement de Noël Dolla, sa haute idée de la transmission et du rôle de passeur qui l’a animé pendant toutes ses années d’enseignement.

Au fond : Noël Dolla, My Mother II, 2007, peinture et collage sur toile
Dans l’espace : Philippe Ramette, Sans titre (le funambule ), 2013
A droite : Noël Dolla, A pied, 2010, peinture et collage sur toile, 100 x 100 cm
Photo François Fernandez
C’est un aspect fort de l’exposition rythmée par toutes ces énergies qui s’entrechoquent sans jamais virer à l’affrontement. Au contraire, l’ensemble trouve d’emblée une belle cohérence. Le dialogue entre les œuvres a été pensé et fonctionne au quart de tour. Philippe Ramette et son « Plongeoir » dans le voisinage de « Lou Che« par exemple et sans doute plus encore « Le kiosque » de Pascal Pinaud qui accueille en son centre un énorme leurre de Dolla exposé comme un lion en cage. Il fallait oser. Si l’on peut souvent trouver des échos ou des correspondances dans l’œuvre de certains artistes, il est très rare que deux œuvres réunies en forment une troisième sans pour autant se neutraliser ou se phagocyter mutuellement. Or c’est exactement ce qui se passe ici. À aucun moment nous n’oublions ni « Le kiosque » de Pinaud ni « Le grand leurre » de Dolla. Au contraire, les deux pièces se potentialisent et se renforcent sous nos yeux en multipliant les questionnements et les perspectives. Place de l’artiste, place de l’œuvre, place du regardeur. Comment ne pas se demander qui regarde qui, d’un côté ou de l’autre de la grille et de quelle représentation/leurre de la réalité il s’agit. Belle réussite.
Mais ce qui fait que cette expo est bien, avant tout, une exposition Noël Dolla, c’est que l’artiste relève le défi de se montrer dans tous les aspects de sa vie : s’exposer au sens premier du terme, ce qui signifie d’abord prendre des risques.
C’est ainsi que Dolla expose par exemple sa bibliothèque, une bibliothèque de révolte et de réflexion critique qui montre clairement que la prise de risque de l’artiste correspond nécessairement à l’engagement de l’homme et du citoyen .
C’était également le propos du vernissage conçu comme un dialogue entre Tristan Trémeau, critique d’art, professeur d’histoire de l’art et commissaire d’exposition et Ignacio Ramonet du Monde Diplomatique. Car qui dit art contemporain aujourd’hui dit presque obligatoirement marché de l’art avec ses valeurs sûres, ses placements plus ou moins à risque, ses fluctuations spéculatives et ses dérives autistes. Exactement au même titre que n’importe quel autre produit nécessaire au fonctionnement du capitalisme financier du XXIième siècle.

L’appartement du joyeux bordel, 2013
Photo François Fernandez
Sur un mode plus personnel encore, Noël Dolla a demandé à son ancienne femme, l’artiste Sandra Lecoq, de reconstituer l’appartement dans lequel ils ont vécu pendant 10 ans, belle manière de montrer la collection privée de l’artiste. Là aussi, l’entrée est à l’envers puisque nous pénétrons directement par la pièce la plus intime, la chambre à coucher ( avec par exemple un magnifique auto-portrait de Gasiorovsky).

L’appartement du joyeux bordel, 2013
Photo François Fernandez
Et c’est un autre aspect très fort de cette exposition qui nous permet une telle proximité avec les œuvres et les artiste qui comptent pour Dolla lui-même ( un portrait de Marcel Duchamp, autre exemple, etc…).
L’exposition dans sa totalité va suivre ce fil rouge mêlant,le quotidien et l’intime (les mouchoirs de « Ne pleure pas Jeannette des larmes de sang », qui traverse l’expo de part en part, les serpillières, les gants de toilette gorgés de peinture ou encore « L’étendoir » à linge qui occupe tout l’espace au dessus de l’escalier monumental de la Villa Arson) à l’engagement de l’artiste vis à vis de son temps et de la société à laquelle il appartient.

Photo : François Fernandez
C’est dans cette veine aussi qu’on peut lire la série de portraits photographiques des marins malgaches avec lesquels Dolla part régulièrement pêcher au gros depuis des années ou encore l’installation faite avec les boîtes de conserve de tomate utilisées par le restaurant de la cantine de la Villa Arson dont les étiquettes jaunes et rouges symbolisent le danger nucléaire ou chimique (« La larme militaire ou la balade à dos d’âne »).

Parmi les œuvres en extérieur , la sculpture « Tous les mots du monde »(8 mètres de haut) installée en haut du mastaba est sans doute pour moi la plus poétique. De simples plaques en laiton avec les 26 lettres de l’alphabet surmontées par un paratonnerre dont Dolla espère qu’il attirera effectivement la foudre avant la fin de l’expo. À la fois simple et fort comme le sont les grandes œuvres
Le parcours suit les grands axes de travail de Dolla : la série des « Œillets », minimaliste, provocatrice et rigoureuse ou celle des « Silences de la fumée » qui renverse une fois de plus le rapport physique entre l’artiste et l’œuvre. Enfin, le retour à la peinture avec les formats carrés et très colorés de May 5 ou les tableaux monumentaux des « My mother » et notamment « Les dents de ma mère pour un million de dollars » exposé à l’horizontale, très bas dans la pièce, en dialogue une fois de plus avec Philippe Ramette et son Funambule qui déambule à mi-distance entre sol et plafond où se trouve une reproduction photo en noir et blanc de ce même tableau. Véritable mise en scène qui nous oblige à nous déplacer et à changer constamment de perspective.
On le voit, l’expo est foisonnante et il est impossible de citer toutes les œuvres ni tous les artistes. Noël Dolla a investi tout l’espace de la Villa Arson, l’intérieur, l’extérieur, les différents niveaux, les terrasses, les passages, les recoins où l’on ne va jamais, en tirant à chaque fois partie de la configuration du lieu pour faire sens. La pièce singulière de Florian Pugnaire par exemple qui préfigure une sorte de chantier abandonné de fin du monde installé dans la pénombre d’une impasse qui n’avait sans doute jamais été utilisée jusqu’ici. Il faut encore citer l’œuvre sonore « Mémoires du désordre » de Pascal Broccholichi en collaboration avec le compositeur François Paris qui accompagne le visiteur dans les jardins suspendus et qui associe musique contemporaine et chants révolutionnaires revisités.

Peinture sur toile, 200 x 200 cm
Photo François Fernandez (ADAGP)
Une exposition, qui est en elle-même une œuvre totale. Peinture, Dessin, Sculpture, Installation, Photographie, Vidéo, Musique, mais aussi affiches et livres, et bientôt Cinéma (puisqu’un film est prévu pour la fin de l’expo) toutes les techniques, les formes d’expression sont au rendez-vous d’un projet à la fois généreux et ambitieux, ouvert sur le monde et les autres. Une incitation à la découverte et à la réflexion. Ou pour le dire autrement une expérience dans laquelle on se lance comme on se lance à l’aventure, loin de l’aridité qui caractérise trop souvent les expositions d’art contemporain.

Noël Dolla, Les trottoirs (poussière d’escalier de bordel), 1991
Photo François Fernandez
Alors, n’hésitez pas, allez vous perdre et vous retrouver dans ce joyeux bordel détonnant, débordant d’une énergie qui se transmet à qui mieux mieux. Nous en avons grand besoin par les temps qui courent et qui risquent de courirencore longtemps… L’art, ça sert à ça aussi . À trouver la force de résister.
Chapeau Monsieur Dolla et un grand merci,
Josiane Scoleri
Jusqu’au 21 octobre 2013 / Villa Arson, 20 av. Stephen Liégeard à Nice / 04 92 07 73 73
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