Après Vaclav Havel, un autre auteur de l’Est (mais vous savez, à l’Ouest, rien de nouveau) : Tchekhov et une très belle adaptation de sa nouvelle la plus étrange, la plus sombre, La Salle no 6, écrite en 1892
La salle no 6 est le pavillon des fous. Il y a là cinq hommes. Moïsseïka, le plus ancien, inoffensif, est le seul qui a l’autorisation de sortir en ville. Gromov, qui a eu beaucoup de malheur dans sa jeunesse, de santé fragile, avait trouvé une place d’huissier, mais en proie à des délires de persécution, on avait ordonné son internement.
Le directeur de l’hôpital est le docteur Raguine. En poste depuis plusieurs années, il avait essayé à son arrivée de lutter contre la saleté, le vol des malades par le personnel, la corruption, mais devant l’ampleur de la tâche, son manque d’autorité et sa faible volonté, il a renoncé. Depuis, il n’assure que quelques visites par jour, passe ses journées à lire chez lui, tout en déplorant avec son ami Mikhaïl Avérianytch d’être coincé dans un trou perdu, sans personne d’intelligent à qui parler.
La mise en scène de Gérard Thébaut nous met tout de suite en situation, les rapports de force y sont bien dessinés. La Salle no 6 est un diagnostic précis, clair et limpide de ce qu’est toute société : c’est surveiller et punir, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Foucault. Il y a bien sûr dans cette nouvelle une préfiguration de ce que sera le goulag, mais aussi un appel désespéré à ne pas baisser les bras, malgré les contingences : c’est cela qui va être fatal à Raguine.
La force de l’écriturede Tchekhov est qu’il présente des archétypes mais, si je puis dire, écrit avec de la chair. L’auteur se nourrit de la littérature russe : ainsi, l’un des aliénés prétend être décoré de l’ordre de Stanislas et vouloir la couronne de Suède, rappelant Le journal d’un fou.
Pour en revenir à la mise en scène, la scénographie, simplifiée, axe immédiatement sur les relations entre personnages, fait exister leur relations, leur conflits, ne les alourdit pas par un naturalisme de mauvais aloi. Un tel lieu de cauchemar ne peut qu’engendrer une scène de cauchemar… Je ne vous dis que ça…
La traduction est de Golchmann & Jaubert (1898), l’adaptation et la mise en scène sont de Gérard Thébault, avec Jean Claude Villette, Xavier Legat (charismatique Gromov), Gérard Thébault, Benoît Chazal et Michel Pallota (inquiétant Nikita, infirmier garde-chiourme)
20h30, Théâtre de l’Essaïon, 33 rue de la Carreterie Avignon 04 90 25 63 48
Jacques Barbarin