Alors que dans notre région et partout en France, les paroles sont plus que troubles sur la question de l’accueil des Rroms et des gens du voyage, cela fait du bien de voir une œuvre non pas politique car cela serait trop réducteur mais d’avoir une création qui affirme la part politique détenue en chaque œuvre d’art et sur ce sujet plus particulièrement. Si l’art n’est donc pas forcément politique, il fait de la politique inévitablement en étant une composante importante et influente de la société, exprimant ou pas une émotion, une idée, un concept, une vision et encore plus quand celle-ci est avant-gardiste.
Ainsi, l’artiste Jean-Baptiste Ganne expose en ce moment au Musée de la guerre de la paix, Pablo Picasso à Vallauris une création autour du peuple rrom. Une œuvre d’une apparente très grande simplicité mais qui fut très complexe dans sa mise en espace comme dans l’imaginaire et l’évocation qu’elle procure au spectateur.
En pénétrant dans cette chapelle, celui-ci aperçoit un fichu qui vole au centre de la nef, comme poussé par des vents, poussé par les chants tziganes, les discussions en rromani enregistrés çà et là sur la route de ce peuple nomade et qui résonnent entre les murs. Soudainement, ce foulard fascine et emporte le regard bien au-delà du musée, sur les traces et les chemins parcourues par les Rroms. Le mouvement et les sons ne forment qu’un, symbolisant cette culture, sa liberté et sa beauté La poésie de ce bout de tissu est fulgurante par cette force invisible qui se dégage alors de cette légèreté. Ce fichu, l’artiste l’avait glané auprès d’une femme tzigane dans le Vieux Nice et ici, son absence la rend encore plus présente chez le spectateur. Jamais les Tziganes n’auront aussi bien porté leur surnom de fils du vent.
Le peuple rrom, c’est aussi un peuple qui n’a jamais fait la guerre et c’est un beau symbole que de lui rendre hommage dans le musée de la Guerre et de la Paix. Pour Jean-Baptiste Ganne l’idée de cette œuvre est venue assez vite quand Maurice Fréchuret, directeur des musées nationaux de la Côte d’Azur lui a demandé une création dans ce lieu. L’artiste avait déjà fait une création au musée Chagall en 2010 dans le cadre de la grande manifestation « L’Art contemporain et la Côte d’Azur – Un territoire pour l’expérimentation, 1951-2011 ». M. Fréchuret avait dû apprécier son travail pour lui demander à nouveau en 2013 d’investir cette fois le musée de Vallauris.
Jean-Baptiste Ganne touche à beaucoup de pratiques artistiques, de la photo à la performance, en passant par les installations les graffitis etc… Guidé par une volonté d’inscrire l’art dans un débat de société ou du moins d’affirmer sa place dans celle-ci, usant souvent de l’écriture ou du son, il interpelle très souvent les spectateurs sur des questions politiques au sens premier du terme. En avril 2012, il expliquait dans le Patriote*, qu’il était « un imbroglio » entre l’avant-garde artistique et l’avant-garde politique : « Je suis là pour produire une activité qui va donner une signification et faire relier des choses. Un artiste modifie et enrichit la perception du monde. Poser des actes par l’intermédiaire d’un objet par exemple, poser des signaux modifie la perception et le regard des gens sur le monde qui les entourent. »
A Vallauris, il rend un merveilleux hommage à la culture rrom dans une période difficile pour cette population stigmatisée et montrée du doigt. L’œuvre ici présentée ouvre le regard sur toute la richesse et la beauté d’une culture que la droitisation du discours politique et la course à l’électeur cherche à « mater » pour reprendre les termes du maire de Nice, Christian Estrosi. Or, chaque culture fait partie du patrimoine mondiale et de fait se doit d’être protégée. Ganne va dans ce sens en faisant un joli contre-pied au populisme politique. C’est donc une très belle et forte création artistique. Bravo.
Du 8 juin-7 octobre 2013
Tous les jours du 1er juillet au 31 août de 10h à 19h
Tous les jours sauf le mardi 1er au 15 septembre 2013 : 10h à 12h15 et de 14h à 18h
Tous les jours sauf le mardi à partir du 16 septembre, de 10h à 12h15 et de 14h à 17h
Musée national Pablo Picasso, la Guerre et la Paix
Place de la Libération
06220 Vallauris
04 93 64 71 83
NB : Il faut bien demander au gardien de mettre en marche l’installation quand vous pénétrez dans la chapelle.
NB2 : A lire l’intéressant entretien entre Jean-Baptiste Ganne et Maurice Fréchuret : http://www.musees-nationaux-alpesmaritimes.fr/library/entretien.pdf
*Le Patriote était un hebdomadaire progressiste de la Côte d’Azur depuis près de 70 ans qui a disparu le 30 mai dernier.