image Cinéma / Grigris de Mahamat-Saleh Haroun

Sur les pistes de danse de N’Djaména il virevolte et oublie son handicap d’une jambe atrophiée , mais la réalité de la vie va le rattraper et briser son rêve. Portrait sensible et quête de liberté au cœur de la misère africaine , de la violence et ses dérives…

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La séquence d’ouverture qui nous montre Grigris (Souleymane Deme) exécutant sa chorégraphie , est d’autant plus époustouflante qu’elle nous prend au piège , nous faisant découvrir un jeune homme faisant littéralement éclater la liberté de son corps sur la piste de danse et y exprime sa joie . Il est si habile dans sa gestuelle qu’on en oublie l’handicap de cette jambe gauche folle et fait croire qu’il peut rivaliser avec les meilleurs danseurs valides . Et d’ailleurs, les habitués des boîtes de nuit de N’Djamena l’ont adopté, comme leur star. Mais pour Grigris les lumières de la nuit vont laisser place à celles du jour, et très vite avoir un goût amer .

La maladie de son beau -père et l’argent qu’il faut trouver pour le soigner dignement après d’infructueuses recherches d’aides auprès de proches ou des petits boulots , le conduit à trouver des solutions parallèles de l’illégalité et accepter momentanément de travailler pour des trafiquants d’essence qui sévissent dans le pays .Une route parsemée de compromis, de paroles données et non tenues Grigris s’enferre et se met en danger. Sur sa route, il va croiser une jolie fée métisse , Mimi ( Anais Monory ), autre victime de l’exclusion et de la misère qui , elle , a fini par choisir le chemin de la prostitution.

Le cinéaste Tchadien né à Abéché qui s’est formé au journalisme à Bordeaux et au cinéma au conservatoire de Paris , s’il vit désormais en France sa filmographie, est , depuis Bye Bye Africa (1999) son premier film essentiellement consacrée à son pays. puis  avec Abouna ( 2002 ) , Daratt, saison sêche ( 2007) ou Un homme qui crie (2011) , il impose dans les Festivals internationaux son regard sensible sur les individus et son exploration aigüe des problèmes de la société Tchadienne , et plus largement , Africaine

C’est ce travail qu’il poursuit ici avec l’évocation de ces trafics parallèles qui la gangrènent et la violence que le poids de cette économie parallèle génère. Mais au delà c’est surtout ce qu’elle reflète , et révèle , des maux d’une société où persistent aussi les tabous ancestraux ou religieux, qui ne font qu’amplifier l’engrenage des rapports de soumission et de dépendance. Grigris et Mimi en sont les symboles dans une société , où, au delà de la misère , l’exclusion est aussi celle du regard communautaire et des rapports de forces et de soumission. Le cercle vicieux de la dépendance s’inscrit dans la vie quotidienne et finit par bouleverser les destinées.

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Celles de Grigris et de Mimi qui s’y exposent en bravant les interdits pour tenter de gagner leur liberté, constituent le ferment d’un récit qui, lui aussi, les brave en abordant – au delà de ceux déjà cités – au travers du portrait de Mimi, le thème de la sexualité, de la prostitution et d’un cheminement féministe qui trouvera un écho étonnant dans la scène finale du village des femmes vivant en communauté autarcique .
« mon rôle c’est de d’aborder les sujets tabous publiquement pour permettre aux gens d’en parler ouvertement et d’assumer cette réalité, de la questionner( … ) en tant que cinéaste Tchadien il faut que j’ouvre des brèches dans cette société», dit-il dans le dossier de presse

Et il le fait au travers d’un récit qui distille habilement sa petite musique personnelle où le réalisme documentaire sert de moteur à la fiction afin de la visiter sans avoir recours aux stéréotypes et autres clichés suscitant compassion ou pitié. Sa mise en scène s’inscrit en petites touches et contrastes d’atmosphères , ou de clin d’oeil au genre ( polar) ouvrant le miroir de l’imaginaire où les silences et la contemplation viennent s’inscrire en opposition à la brutalité quotidienne , comme une offrande d’espoir à ce supplément d’âme d’une dignité à laquelle Grigris et Mimi s’accrochent comme à une bouée de sauvetage. Et leur quête est bouleversante…
(Etienne Ballérini )

GRIGRIS   de  Mahamat-Saleh Haroun-   avec  Souleymane  Deme ,  Anaïs Monory, Cyril Guei , Marius  Yelolo

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