Amis Lecteurs, les Franciscains, ancien ordre religieux mendiant font parler d’eux à Nice en ce moment à cause de l’ouverture dans leur ancienne église et couvent d’une partie du nouveau Théâtre de Nice suite à la déconstruction, controversée d’ailleurs, de son ancien bâtiment implanté sur l’actuelle «Coulée Verte» si chère à notre maire Christian Estrosi.
La vénérable église de la Place Saint-François a vu ses religieux chassés en 1793 par la Révolution. Les bâtiments vont être très vite désacralisés, transformés au fil du temps en écuries, hôtel, dancing, salle de cinéma, permanence de syndicat, fabrique de glace vive et, pour finir en beauté en local des bennes à ordures du Vieux-Nice, triste fin ! Pourtant, une belle entreprise de réhabilitation engagée depuis quelques années par la Mairie avait conduit à réhabiliter cette ancienne cathédrale gothique, au moins en partie, dans son état primitif, un gros travail depuis 2012 avec la volonté affichée de conserver le site «dans son jus». En 2020, une très belle exposition avait attiré un nombreux public venu la visiter dont votre serviteur. Mais voilà, le projet pharaonique de prolongation de la promenade du Paillon est venu tout remettre en cause avec la démolition programmée du bâtiment du Théâtre National de Nice (TNN), qui a à peine trente ans d’existence mais qui n’a pas l’heur de plaire à nos édiles locaux et cela ne s’arrêtera pas là, le palais des Congrès Acropolis faisant aussi partie des sites à éliminer, bon courage !
Exit donc le TNN, mais comment le remplacer ? La tentation était évidemment grande de se tourner vers une structure toute proche, suffisamment vaste pour remplacer au pied levé l’ancien édifice en attendant mieux : l’église et le couvent des Franciscains qui, depuis 2020 a été mis aux normes réglementaires pour accueillir du public.
Depuis quelques jours (26-04-2022) la première représentation publique a eu lieu en présence de la directrice du TNN, des élus locaux et d’un nombreux public.
C’est peut-être l’occasion de rappeler la genèse à Nice de la congrégation des Frères Mineurs Franciscains fondée par François Bernardone dit François d’Assise (1181/1182-1226) qui fonda avec quelques camarades l’Ordre des Frères Mineurs en 1210 basé sur la pauvreté évangélique, la chasteté et l’obéissance. La corde de leur habit traditionnel comporte d’ail- leurs trois nœuds rappelant ces vœux. Signalons que François n’était pas prêtre et vivait avec ses compagnons une vie ascétique proche des humains et de la nature. Il appréciait les ani- maux qu’il considérait comme des créatures de Dieu à part entière, en particulier les oiseaux avec qui il conversait. L’Ordre des Frères Mineurs s’installa à Nice un peu avant 1250 et son modeste couvent se situait alors dans la lagune de Lympia* à proximité d’une chapelle dite Saint-Recoubré ou Saint-Recupérat située à l’est du port actuel. L’endroit était malsain à l’époque et aussi peu sécure, en conséquence nos moines vont essayer de s’établir en ville même. En 1250/ 1251, l’occasion se présente avec la donation d’un terrain de 6000m2 en-viron par un pieux niçois Augier Badat, parcelle située au pied du Château, entre le Paillon, la rue Pairolière et la Place Garibaldi actuelle. Les moines vont alors se mettre au travail et bâtir leur premier établissement urbain avec l’aide financière de pieux donateurs. On dispose, grâce aux anciens plans de Nice, d’images assez précises de l’aspect primitif de l’église et du couvent (Photo 1) qui ne prendront leur forme définitive qu’au début du XVIIeme siècle.
Le sanctuaire est placé sous le vocable de la Sainte-Croix. Dès 1251, l’église se construit ainsi qu’un cimetière et un jardin avec puits attenant, la future Place Saint-François prends forme.Au XVeme s l’église est agrandie et surélevée. Des transformations initiées et réalisées par le professeur Ludovico Terrini conduisent ainsi à la création d’une croix séraphique (1477),** d’une bibliothèque (1480) et à la réfection des voûtes sommitales de la nef et de la toiture(1483) dans un style gothique tardif. Des caveaux sont construits ou agrandis et, dans une période récente , on a découvert la dalle du tombeau du chanoine florentin De Bardis décédé ici en 1331. Heureusement préservé, cet élément se voit au Palais Lascaris en entrant à gauche.
De même, deux clefs de voûte ont été sauvées vers 1930 par le Dr Bona propriétaire des lieux. L’église franciscaine niçoise peut être considérée comme appartenant du point de vue architectural à deux époques : début du XVème s pour les parties basses et fin de ce même siècle pour les parties supérieures de l’ensemble du bâtiment , c’est dire son intérêt histori- que exceptionnel, et tout çà pour finir en théâtre profane, vous avez dit gâchis?
Au XVIIIeme s le couvent est terminé et on s’attaque à la construction d’un clocher digne de ce nom. Le clocher-mur primitif d’ailleurs vétuste et menaçant ruine est remplacé. On s’ori-ente vers une véritable tour-clocher en 1722. En 1837, l’architecte Vernier présente un projet de transformation de cet édifice en tour-horloge. De nos jours il est possible d’accéder à la plateforme sommitale sous réserve de ne pas avoir peur de gravir les quelques 288 marches de l’escalier en colimaçon qui la dessert à 50m de hauteur. Le visiteur est récompensé de ses efforts par une vue à couper le souffle !
La tour, éclairée la nuit, est surmontée en permanence du drapeau niçois.
La conversion actuelle de cet ensemble en théâtre de secours n’est qu’un pis aller. On peut espérer que la structure modulable de cette nouvelle salle de spectacle improvisée dans l’urgence permettra, le cas échéant, de rendre à ce lieu historique, fierté de notre patrimoine niçois, une destination plus glorieuse. Il le mérite bien !
Sources :
– Luc Thévenon in «Cahiers de la Méditerranée»,1976, pp. 55-72.
– Mgr Denis Ghiraldi : «L’implantation des Franciscains à Nice» in « Recherches Régionales», 2008, pp.1-19.
– Nice Historique, Georges Véran, Avril-Juin 1991. pp. 47-62
* L’anse de Lympia était une lagune au pied du Château, à l’est, alimentée par deux ruisseaux, la Lympia et le Sourgentin. C’est ici qu’en 1748 on entreprit la construction du nouveau port de Nice, celui de l’anse Saint-Lambert s’ensablant et devenant inadapté au trafic des marchandises déjà en pleine expansion à l’époque..
** : Cette croix élevée au centre du cimetière des moines sera vandalisée par les révolutionnaires à leur arrivée à Nice. Ses débris seront récupérés par un riverain qui les dissimulera dans une grange jusqu’en juillet 1804 où, les tensions s’étant apaisées, la croix sera réparée et dressée sur l’esplanade du couvent de Cimiez, en face du cimetière.
En 1979, une nouvelle dégradation a lieu qui conduira les autorités, après réparation, à la mettre en place à l’abri dans l’église (1ère chapelle latérale gauche). Une réplique fidèle de ce monument remplace l’original au même endroit.
Yann Duvivier, juin 2022
Je connais bien cette place où j’ai grandi