Second long métrage de fiction du cinéaste iranien Saeed Roustaee, La Loi de Téhéran nous emmène au cœur de la lutte anti-drogue dans la capitale iranienne. Un film de genre doublement primé au Festival du film policier de Reims. Etonnant, captivant, éprouvant. A voir.

Du cinéma iranien distribué en France, on connaît surtout un cinéma d’auteur celui d’Asghar Farhadi, d’Abbas Kiarostami, de Jafar Panahi, ou encore, de Mohammad Rasoulof. Pour son second long métrage de fiction (le 1er Life and a Day, de 2016, présenté et primé dans de nombreux festivals internationaux, demeure inédit en France) Saeed Roustaee signe un film de genre spectaculaire, un thriller social.
Just 6,5, la traduction internationale du titre, trouve son explication à la fin du film, peu avant le générique : 6,5 millions d’Iraniens (pour 83 millions d’habitants) sont toxicomanes. Mais dans sa version originale, il fait aussi référence à cette réplique de l’un des protagonistes, Nasser :« Quand mon père est mort, on a acheté du drap mortuaire à 6,5 tomans le mètre. Ma mère, elle, a acheté pour 4 de tissu noir afin de se faire une robe.” Le tissu pour un linceul est plus cher que celui pour les vivants. La mort l’emporte sur la vie. En Iran, la sanction pour possession de drogue est la même que l’on ait 30g ou 50kg sur soi, pour les consommateurs et les trafiquants, c’est la peine de mort. Une sentence qui éclaire le titre français.
Dès le début, le ton est donné avec une course-poursuite à couper le souffle dans les ruelles de Téhéran entre un dealer et un policier. Le film s’apparente à une énième version du jeu du chat et de la souris, mais il ne gardera pas toujours le même rythme car il va emprunter différentes pistes tout en mêlant scènes d’action et dialogues sous tension. Dans un premier temps on suit Samad, interprété par Peyman Maadi (le mari de Une Séparation d’Asghar Farhadi mais aussi le réfugié tadjik de Police d’Anne Fontaine), un flic des stups, obstiné et aux méthodes pas toujours réglementaires, qui veut coincer Nasser (Navid Mohmmadzadeh), un parrain de la drogue. Le moindre intermédiaire, le moindre proche du caïd sont des pistes qu’il entend exploiter jusqu’au bout afin d’atteindre son but. A l’origine, le réalisateur songeait à un documentaire. « Ces dernières années, explique-t-il, la toxicomanie a changé de visage en Iran. Elle est sortie de la clandestinité pour se révéler au grand jour. De plus en plus de toxicomanes sont visibles dans la rue. Leur dépendance à une nouvelle substance, le crack, les a mis à la rue de façon beaucoup plus massive et rapide que ne la faisaient les autres drogues. A force de voir ces personnes, j’ai eu l’idée d’un documentaire (…) » lequel ne s’est pas fait, mais les recherches ont été précieuses et les rencontres ont servis de modèles. Le cinéaste a ainsi fait appel à des toxicomanes pour la figuration. Ce qui donne lieu à des scènes de foule chocs comme celles d’une descente musclée, menée par Samad dans un bidonville, ou de la prison où sont entassés toxicos et suspects hagards.

L’arrestation du gros bonnet amène ensuite la confrontation entre Nasser et Samad. En dehors de la réalisation, le film doit beaucoup à l’interprétation et au charisme de ses deux comédiens principaux (Peyman Maadi, Navid Mohammadzadeh). Le dealer et le gendarme sont plus proches qu’il n’y paraît. Saeed Roustaee : « Pour moi, ces deux personnages sont les deux faces d’une même médaille. Ce qui me semble primordial, c’est qu’ils sont tous deux issus d’une même classe sociale. J’avais tourné une séquence – supprimée au montage – qui nous faisait comprendre que Samad habite dans le quartier où se trouvait la maison natale de Nasser. J’ai tenu à ce que mes deux personnages soient crédibles, qu’on leur donne raison ou tort. Chacun d’eux croit en lui-même et estime qu’il a raison d’agir comme il le fait, même s’il sait qu’il n’a parfois pas eu le choix. » Pas de manichéisme dans son point de vue. Nasser a tenté le tout pour le tout pour protéger les siens et tenter de sortir d’une misère à laquelle il était condamné de toute façon, quitte a payer un prix très lourd, celui de sa vie. Pour Samad, il en va différemment. Ses convictions sont ébranlées. Il aspirait logiquement à devenir commissaire, mais il ressent de l’inimité dans son entourage professionnel. Il va même jusqu’à être accusé de corruption. Enfin, il doute du bien fondé de son travail : « Quand j’ai commencé ce boulot, il y avait 1 million de drogués, maintenant il y en a 6 millions. » confie-t-il à un collègue. La république islamique comme les démocraties occidentales mènent le même combat et connaissent les même échecs.

Avec La Loi de Téhéran, Saeed Roustaee ne se focalise pas uniquement sur la guerre anti-drogue, qu’il présente comme une conséquence des problèmes de la société iranienne, il pointe du doigt également la corruption des fonctionnaires, l’arbitraire du système judiciaire et s’interroge sur le sens d’une répression inefficace. Une noirceur et un désespoir qui n’ont pas été du goût des autorités et de la police. Le film a donc rencontré bien des obstacles et subi bien des pressions, en amont, dès la présentation du scénario pour obtenir l’autorisation de tourner, pendant le tournage et à sa sortie. Il a néanmoins obtenu un énorme succès populaire lors de sa sortie dans les salles iraniennes.
Présenté à la Mostra de Venise en 2019, le film a reçu en mai dernier le Grand Prix et le Prix de la Critique du Festival du film policier de Reims (qui prend le relais de Beaune). Allez le découvrir.
La Loi de Téhéran (Metri Shesh Va Nim) de Saeed Roustaee (Iran – Drame/thriller – 2019 – Durée 2h14)Avec Peyman Maadi, Navid Mohammadzadeh, Houmaan Kiaie, Parinaz Izadyar. Sortie le 28 juillet 2021.
-La bande annonce du film (Wild Bunch – 2mn07 – vostf)
Philippe Descottes
Un film fort en effet, qui a fait un carton en son pays. On devine à quel point il est un reflet fidèle de la situation sociale.
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