
Mars 1988. Centre Dramatique National Nice Côte d’Azur. On ne badine pas avec l’amour d’Alfred de Musset. Mise en scène de Jean Pierre Vincent, avec Clotilde de Bayser (Camille) Etienne Le Foulon (Perdican) Nathalie Richard (Rosette). J’en sors bouleversé. Je revois la pièce le dimanche suivant. J’avais écrit un article, je le fait lire à Jean Pierre Vincent, attablé au resto du théâtre, dirigé par Dédé (Gallo). Quand je sors, un ami me demande : « Qu’est-ce que tu as, Jacques ? Tu es malade ? Tu es tout blanc ». Jean Pierre Vincent me dit, en me rendant l’article : « Il serait inconvenant de dire que c’est juste ».

En 1991, à La Criée, Marseille, Les Caprices de Marianne, mise en scène Jean Pierre Vincent, toujours le dramaturge Jean Pierre Chartreux, toujours Clotilde de Bayser.
Sous la mandature Wéber –je ne me rappelle plus l’année- Le faiseur de Théâtre, de Thomas Bernhard. J’étais très sensible à Thomas Bernhard, ayant joué cette pièce mise en scène par feu André Riquier. C’était ma période Thomas Bernhard : La comédie française, le Théâtre Toursky, Le Théâtre de La colline et bien évidement Nice.
Festival d’Avignon Le 12 juillet 2007 j’ai eu une expérience particulière au festival d’Avignon. J’avais repéré sur mon programme une pièce au titre assez mystérieux, mise en scène par quelqu’un qui me « parlait ». C’était « Le silence des communistes » mis en scène par Jean Pierre Vincent… Les organisateurs du festival auraient-ils sous-estimé le succès qu’allait rencontrer une telle pièce ? En tous cas les dix représentations prévues étaient rapidement « plein de chez plein », succès tel qu’il faudra, je crois, en rajouter 5 supplémentaires. Et tous nous retrouvions dans une salle d’une jauge de 200 personnes, dans la salle Montfleury, à 5mn des remparts, lieu et jauge soigneusement choisi par Jean-Pierre Vincent. http://lafauteadiderot.net/Le-silence-des-communistes Au demeurant c’est ce texte qui m’a permiis d’entrée dans le site lafauteadiderot. Idem, quelques jours après, je revois la pièce. Je rencontre Jean Pierre Vincent.
Donc, tout cela pour vous dire que Jean Pierre Vincent et moi, c’est un long compagnonnage.

Jean Pierre Vincent (1942 -4 novembre 2020). Etudiant au lycée Louis le Grand, il rencontre en 1958 au sein du groupe théâtral du lycée Jérôme Deschamps et Patrice Chéreau. Il prend en 1975 la direction du Théâtre National de Strasbourg et y donne une place importante à l’école et à la création expérimentale, tout en travaillant à refonder les conventions collectives qui régissent les liens du TNS avec les collectivités locales et nationales.
Administrateur Général de la Comédie Française de 1983 à 1986 qu’il choisit de quitter -même, le poste étant jugé « le plus difficile en France avec Matignon » À partir de 1986, il se consacre à la mise en scène avec Bernard Chartreux et à l’enseignement au Conservatoire Supérieur d’Art Dramatique de Paris.
Il succède à Patrice Chéreau à la tête du Théâtre Nanterre-Amandiers entre 1990 et 2001, où il convie Stanislas Nordey* en résidence avec sa troupe entre 1995 et 1997. Il y créé de nombreux auteurs contemporains, dont Valère Novarina
Avec Bernard Chartreux participe au Comité pédagogique de Ecole régionale d’Acteurs de Cannes, où ils ont mis en scène Pièces de guerre d’Edward Bond, en mai 1996
Entre La Cruche cassée de Kleist (1963) et En attendant Godot (2015), à la louche 200 mise en scène.
Il a été l’époux de la comédienne Hélène Vincent ; il est le père du réalisateur Thomas Vincent. Et puis, le 4 novembre 2020, le Covid, puisqu’il faut bien l’appeler par son nom…
Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond… On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière, et on se dit : J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. Perdican, On ne badine pas avec l’amour)
Et tout le reste n’est que silence-
Jacques Barbarin
*Celui-ci déclarera : Je suis par terre, la mort de Jean-Pierre me dévaste. On savait qu’il n’allait pas bien du tout depuis son Covid au printemps dernier, mais on n’imaginait pas qu’il parte si vite. C’est la personne la plus importante de ma vie théâtrale. D’abord parce qu’il a été mon professeur. C’était un pédagogue extraordinaire qui n’a jamais cessé d’enseigner. Pour lui, la transmission était au centre de tout. Ce que j’ai beaucoup aimé chez lui, c’est qu’il n’a jamais mis en scène sa postérité, contrairement à des gens comme Jean Vilar ou Antoine Vitez qui ont énormément écrit, ce que je trouve très respectable aussi. Jean-Pierre construisait obstinément le théâtre français, allait énormément au théâtre et suivait les jeunes compagnies avec bienveillance. C’était quelqu’un qui était toujours au premier plan dès qu’une crise se produisait liée à la culture et il le faisait toujours avec mesure, justesse et en même temps, si nécessaire, avec emportement… Surtout, il avait un œil politique sur les choses. Il ne faut pas oublier qu’il a fait Vichy fictions (1980) ou Le Palais de Justice (1981). Pour moi, il n’a fait aucune faute de goût. Jamais Jean-Pierre ne serait allé jouer dans le théâtre privé. Jamais. Je ne dis pas que ceux qui le font ont tort, mais lui a défendu le théâtre public jusqu’au bout des doigts avec une grande conviction. Il m’a tout appris et c’était une épaule sur laquelle on pouvait aller se reposer quand il fallait. Je suis bien triste. Propos recueillis par Fabienne Arvers
Iconographie
Jean Pierre Vincent 2016 PATRICK KOVARIK/AFP via Getty Images
Le silence des communistes, photo Emile Zeizig
Le faiseur de théâtre, photo Brigitte Enguerrand
On ne badine pas avec l’amour, photo Daniel Cande