Cinéma / TENET de Christopher Nolan

Malgré la pandémie et les reports, Tenet, le nouveau film de Christopher Nolan, est bien sorti dans les salles de cinéma. Fidèle à son habitude, après le policier, la science fiction ou le film de guerre, le réalisateur s’est intéressé à un autre genre : le film d’espionnage. L’histoire est simple mais la déstructuration du temps vient chambouler la narration. Pas simple à suivre, mais cependant  un impressionnant spectacle cinématographique à voir (et à revoir).

Bien avant la pandémie Tenet était déjà annoncé et attendu comme l’une des superproductions de l’année 2020. Les conséquences du covid-19 auront décuplé les attentes. Celles des spectateurs, mais aussi celles des professionnels qui doivent faire face à la chute libre de la fréquentation des salles obscures. Si plusieurs prétendants au titre de « blockbuster de l’Eté » se sont défilés (reports ou expédition vers les plateformes en ligne), Christopher Nolan (défenseur d’une certaine idée du cinéma : « Pour moi, le cinéma est une expérience qui se vit en grand avec le plus grand nombre ») et Warner Bros, son producteur, ont tenu bon. Malgré trois reports depuis juillet, le film est enfin sorti sur le grand écran. Comme son héros, Tenet doit donc endosser une mission salvatrice. Compte tenu de la complexité du scénario, le pari de ramener un large public dans les cinémas n’est pas gagné. De toute façon, il ne pourra pas y parvenir seul, sans le concours d’autres films porteurs. Mais il faudrait déjà que d’autres producteurs/distributeurs s’enhardissent… Voilà pour l’aspect économique.
Parlons cinéma. Dans Tenet, un agent secret, Le Protagoniste (on ignorera son nom jusqu’à la fin), tente d’empêcher une Troisième Guerre mondiale. Ça, c’est sur le papier. A l’écran c’est une autre histoire…

    J.D. Washington et R. Pattinson – Crédit photo Warner Bros/Melinda Sue Gordon

Dans ses précédents films, Christopher Nolan a souvent « accommodé à sa sauce » le cinéma de genre. Après le policier, la science-fiction ou le film de guerre, il revisite ici le film d’espionnage (et d’action). Lors de la conférence de presse qui a précédé la sortie, le réalisateur a fait part de son intérêt pour les films d’espionnage dont ceux avec James Bond  : « Le premier film dont je me souvienne et que j’ai vu au cinéma c’était L’espion qui m’aimait, avec Roger Moore. Il reste l’un de mes films préférés. Mon père m’avait emmené, à l’époque, j’avais 7 ans (…). J’en suis ressorti avec la sensation que tout était possible. On pouvait traverser l’écran, aller où on voulait partout dans le monde et assister à des choses incroyables (…). C’est de l’évasion pure.(…). Ce que j’essaie de retenir de cette expérience, c’est l’impression d’infinies possibilités (…) ».

    Kenneth Branagh – Crédit photo : Warner Bros/Melinda Sue Gordon

Cependant, voir Tenet comme un James Bond nouvelle génération c’est aller un peu vite en besogne. Bien sûr, il y a quelques clins d’oeil (brève référence au MI6, une base secrète) et le terrible oligarque russe (Kenneth Branagh, impeccable) semble avoir de forts liens de parenté avec le méchant Karl Stromberg (Curd Jurgens) de L’espion qui m’aimait. Néanmoins, Le Protagoniste (John David Washington, le fils de Denzel, remarqué à Cannes dans BlacKkKlansman de Spike Lee, très convaincant), outre le fait qu’il soit interprété par un comédien Afro-Américain (un cap que la franchise n’a pas encore pris) se démarque d’un grand nombre des 007 mis en service depuis 1962. Il n’a pas leur physique (l’acteur a été joueur pro de football américain), il n’est pas un indécrottable macho et séducteur invétéré, n’est pas accro à la vodka martini ou au champagne, ne conduit pas d’Aston Martin (ou autre véhicule de luxe) équipée de 1001 gadgets, et, s’il porte souvent le costume trois pièces avec élégance, il sait aussi enfiler le bleu de travail pour effectuer des missions périlleuses. Quant à la principale protagoniste féminine (comme les autres rôles féminins, peu mis en valeur), la fragile Kat (Elizabeth Debicki), elle n’a rien d’une James Bond girl, ancienne ou nouvelle générations.

                             Affiche de L’espion qui m’aimait – Crédit photo DR

En décembre 2019, Christopher Nolan déclarait à propos de son nouveau long métrage : «Nous sommes partis d’un film d’espionnage pour explorer des horizons différents ». Des « horizons différents », certes, mais toujours cette même obsession du temps que l’on constatait déjà dans ses précédents films. Sa déstructuration vient chambouler la narration. D’abord mystérieux, le titre finit par donner quelques indications au début de la projection. « Tenet » (qui signifie «principe» ou «précepte» en anglais) est un palindrome, un mot qui se lit dans les deux sens, ainsi que le nom de la mission confiée à l’agent secret chargé de sauver le monde. Dès lors, Le Protagoniste et son coéquipier (Robert Pattinson, crédible dans son rôle d’agent « trouble ») vont avancer dans l’intrigue mais aussi reculer dans le temps pour essayer d’empêcher la catastrophe qui menace la Terre.
Le cinéaste se livre à nouveau à une expérience visuelle audacieuse (et captivante) et à une réflexion métaphysique (confuse). S’il utilise la trame d’un film d’espionnage, il puise également son inspiration dans d’autres sources déjà présentes dans son cinéma. Les deux plus marquantes étant le travail de l’artiste néerlandais, dessinateur graveur, Maurits Cornelis Escher (dont
Montée et descente sa version de L’escalier de Penrose – cf illustration) et le film de Chris Marker, La Jetée (les passerelles temporelles entre présent, passé et avenir).

L’escalier de Penrose – Montée et descente de M.C. Escher – Droits photo : DR

D’ordinaire, avec un « blockbuster », il est conseillé de laisser ses neurones au vestiaire. Dans le cas présent, pas un ne doit manquer à l’appel. Ils sont sollicités dés les premières images et « la part de cerveau disponible » doit l’être totalement, pendant 2h30, pour ne pas perdre le fil de l’histoire. Mission impossible ? Probablement, car Nolan impose d’entrée un rythme soutenu qui ne laisse guère au spectateur le temps de souffler. A la gymnastique du cerveau pour tenter de raccorder le présent et le passé, s’ajoute l’attention soutenue du regard sur les impressionnantes scènes d’action, la prise d’otage, un (vrai) 747 utilisé comme avion-bélier sur le tarmac de l’aéroport d’Oslo ou la course-poursuite sur le périphérique de Tallinn. Inutile d’envisager un répit avec le scènes de dialogues : on ouvre grand les oreilles dans l’espoir de récolter quelques indices supplémentaires. Et puis, il y a les ellipses qui nous emmènent sans crier gare aux « sept coins » de la planète (Estonie, Inde, Italie, Royaume-Uni, Danemark, Norvège, Etats-Unis)…

John David Washington – Crédit photo : Warner Bros/Melinda Sue Gordon

A l’arrivée, il y a toujours des choses qui nous ont échappé. Bien des questions restent sans réponse. « N’essayez pas de comprendre, ressentez ! » nous avait pourtant prévenu Nolan au détour d’un dialogue. D’accord, mais difficile de changer de mode de fonctionnement en quelques secondes et en pleine projection… Le projet était-il trop ambitieux ? Un brin perplexe, on est quand même secoué par cet impressionnant spectacle cinématographique auquel on vient d’assister. Comme on ne veut pas rester sur sa faim, afin d’en « apprécier la substantifique moelle » (notamment, outre la compréhension de l’histoire, la mise en scène, le travail de montage et sur la bande originale), et plutôt que d’attendre la sortie du dvd ou le passage à la télévision (où de toute façon le film perdra beaucoup de ses qualités), on se dit qu’il faut vite retourner voir Tenet dans une salle et sur un écran digne de ce nom.
Après tout, le Cinéma ce n’est pas que (l’industrie) du Divertissement/Entertainment. Et quand une superproduction pousse à réfléchir, c’est tant mieux (…et bon pour les neurones) ! 😉

Tenet de Christopher Nolan (Espionnage, thriller, science-fiction – Etats-Unis – 2020 – 2h30). Avec John David Washington, Robert Pattinson, Elizabeth Debicki, Kenneth Branagh et Michael Caine.

Voir également :

La bande-annonce de Tenet (Warner Bros – 2mn18 – Vostf)
La bande-annonce finale de Tenet (Warner Bros – 3mn21 – Vostf)
Le making-of de Tenet (Warner Bros – 9mn52 – Vostf)
La bande-annonce de L’espion qui m’aimait (3mn – VF)
Extrait de
La Jetée de Chris Marker
Le site officiel de The M.C. Escher Foundation (en anglais)
Le monde étrange de Escher (en français)

Philippe Descottes

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4 commentaires

  1. Je valide l’intégralité de cette critique. Je n’avais pas pensé à Penrose et à son escalier magnifiquement illustré dans un des rêves de Inception, mais il y a de cela dans ces boucles temporelles qui semblent emprisonner les personnages.
    J’y suis retourné une deuxième fois, et je confirme que le spectacle visuel et sonore (j’adore cette texture musicale de Goransson qui rappelle les expérimentations de Zimmer dans Dunkerque) était toujours un plaisir.

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