Opéra/Cosi fan tutte

C’est Daniel Benoin qui signe la mise en scène de cet opéra de Mozart, présenté à l’Opéra de Nice puis au théâtre Anthéa, Théâtre Anthéa que dirige notre metteur en scène depuis 2013, après avoir dirigé le Théâtre National de Nice, de 2002 à donc 2013.

Pas loin au compteur d’une centaine de mise en scène de théâtre entre 1971 et 2018. Mais aussi une vingtaine de mise en scène d’opéra dans la même période, avec une préférence pour Puccini (La Bohème et Madame Butterfly). Mais Mozart est loin de lui être indifférent puisqu’il met en scène Les Noces de Figaro en 2018, Don Giovanni en 2019 et donc Cosi fan tutte en 2020, c’est-à-dire les 3 collaborations entre Mozart et Lorenzo Da Ponte.

Cosi  fan tutte (Ainsi font-elles toutes) est un opéra buffa -opéra bouffe, opéra comportant des parties parlées- en deux actes de Mozart sur un livret en italien de Lorenzo Da Ponte créé en 1790. Il marque la troisième et dernière collaboration entre Mozart et Da Ponte, après Les Noces de Figaro et Don Giovanni.
Le cynique Don Alfonso tient à prouver à ses amis Ferrando et Guglielmo que les femmes sont inévitablement infidèles. Pour cela il tend un piège à leurs fiancées les sœurs Dorabella et Fiordiligi : Ferrando et Guglielmo feront croire qu’ils partent à la guerre mais ils reviendront près de leurs belles sous un déguisement. D’abord repoussés par les deux femmes, celles-ci, peu à peu, cèdent aux avances des mystificateurs. Don Alfonso peut alors exulter : elles font vraiment toutes comme ça… Les deux couples se reformeront malgré tout en ayant perdu quelques illusions.
On raconte que l’Empereur Joseph II lui-même, amusé par l’histoire de deux officiers qui avaient échangé leurs femmes, souffla le thème de Così fan tutte à Mozart et à son librettiste, l’abbé Da Ponte. Mais cet opéra, à la saveur douce-amère, à la fois léger et désespéré, va bien au-delà de l’anecdote qui ne fait guère honneur aux hommes. Les quatre protagonistes passent par l’indignation, la pitié, le libertinage, la résignation, les déchirements du cœur, la colère, jusqu’à ce que les masques tombent et que les couples se reforment, leurs illusions perdues…
De cette « trilogie », écoutons ce qu’en dit Daniel Benoin :  Pour finir la trilogie da Ponte et après avoir mis en œuvre tout au long de ces années une cohérence qui permette de relier ces trois opéras, après avoir fait le choix de situer les deux premiers à l’époque de leur création, c’est-à-dire quelques courtes années avant la Révolution française, j’ai souhaité mettre à l’épreuve une sorte de synthèse qui permette de relier cette époque à notre monde d’aujourd’hui. Chercher en quelque sorte à faire dialoguer cette époque prérévolutionnaire avec la nôtre qui, par moment, en prend le chemin ou au moins l’apparence.


En fait le Cosi fan tutte vu par Daniel Benoin existe via deux cadres : le cadre de scène, celui de la fiction mozartienne, et le cadre de la caméra car ce Cosi fan tutte est filmé par une équipe de télévision. Et il n’y a pas ce que l’on surnomme de ce mot horrible de « re-visitation ». Il s’agit de la mise en parallèles de deux systèmes conventionnels et qui s’interpénètrent sans déranger leur système codifiant.
Ainsi lorsque nous passons des parties chantées aux parties parlées, tout se passe comme si le « suivi opératique » était séquencé par l’intervention du système télévisuel. Et l’incrustation d’images du décor se surajoute à la fiction, l’intelligence de Daniel Benoin fait passer comme une lettre à la poste ces 230 années : il ne revisite pas – et quand je pense qu’il y a d’honorables critiques qui usent de cette désuétude- il re- contextualise.
De même je parlais de la rencontre entre deux systèmes de conventions, et Benoin fait se rencontrer, mieux, coïncider les deux : dans l’ingénieux décor de Jean-Pierre Laporte (nous y reviendrons) ce sont les images télévisuelles rapportées (Paolo Correia) qui se font supplétives  et deviennent fond de décor, assurant ce passage entre 1790 et notre 21ème siècle qui semble ne pouvoir exister qu’en produisant, qu’en exhibant des images. Trop d’images tueraient-elles l’image ? Au demeurant, l’ensemble fiction – projection – tournage produit comme une Verfremdungseffekt, cet effet d’étrangeté que l’on nomme aussi effet de distanciation.
Revenons à la scénographie et au travail de Jean Pierre Laporte. Il travaille avec Daniel Benoin mais a aussi travaillé avec Jacques Bellay, Pierre Bourseiller Paul Charieras,  Paulo Corriera , Frédéric de Goldfiem… Avec Daniel Benoin, il a notamment travaillé « opératiquement »sur Don Giovanni, Les Noces, Carmen, Madame Butterfly. Ici il nous délivre une immense cage de scène, comme un appartement un peu – voire assez- décati ou se loge à leur aise fiction daponto-mozartienne et les éléments du « modernisme » télévisuels, comme si le cadre un peu  vieillot de 1790 venait se confronter à 2020.


Et cette intelligence scénographique vient rencontrer subtilement la création lumière signée, comme d’hab’, Daniel Benoin. Celui-ci, comme de grands metteurs en scène –ainsi Lavaudant dans la Rose et la hache – voir article- intègre le fait que les lumières fassent partie in extenso de la mise en scène. Cette dichotomie est « poursuivie » avec les costumes de Nathalie Bérard-Benoin qui « disent » et le XVIIème siècle et notre monde contemporain, qui lisent à la fois la distance des deux mondes et leur unité.
Et l’art de Daniel Benoin est de nous mettre sous les yeux un personnage-pivot – rien à voir avec l’âge. Dans l’opéra, ce personnage est déjà « en recul » avec le système fictionnel : il déclenche la problématique et la laisse se dérouler, presque en l’observant. C’est Don Alfonso (Alessandro Abis), celui qui tire les marrons du feu, véritable Raminagrobis. C’est lui qui énonce la morale, Cosi fan tutte, mais peut-être pourrait-on dire aussi Cosi fan tutti (ainsi font-ils tous).
Dans cette intelligente mise en scène, Don Alfonso n’est pas dix-huit-ièmeisé mais contemporain : il fait en même temps – comme dirait l’autre- partie de l’équipe qui « télévise » cet opéra et de l’opéra lui-même, il est dans les deux cas le  metteur en scène : il dirige l’équipe de télévision mais dirige également la fiction, toujours habillé de noir, repérable avec sa casquette noire, immédiatement reconnaissable, mais aussi immédiatement assimilable et le comédien chanteur (Alessandro Abis) passe souplement d’un rôle à l’autre.
Comédien, ai-je dis : Benoin est avant tout metteurs en scène de théâtre et c’est bel et bien des comédiens avec qui il a affaire. Chanteurs, mais comédiens.

Un exemple patent est le rôle de Despina (Hélène Carpentier), servante des deux sœurs, mais aussi élément du stratagème de Don Alfonso, mais aussi faux médecin, mais aussi faux notaire : on songe irrémédiablement à une servante de Molière, et en particulier à Toinette dans le Malade  Imaginaire (1763). Cela est sans doute apparent dans le livret de Da Ponte, mais clair comme de l’eau de roche chez Benoin.
C’est une subtile mise en scène, dont les maîtres-mots sont intelligence, adresse et intuition, travail de mise en scène auquel il faut adjoindre ceux de Jean-Pierre Laporte, de Nathalie Bérard-Benoin, de Paolo Correia.
Un grand moment d’opéra. N’en déplaise aux grincheux.

Jacques Barbarin

Cosi fan tutte, Mozart et Lorenzo Da Ponte

Direction Musicale Roland Böer
Mise en scène et lumières Daniel Benoin
Assistant mise en scène Clément Althaus
Décors Jean-Pierre Laporte
Costumes Nathalie Bérard-Benoin
Vidéo Paolo Correia

Fiordiligi Anna Kasyan
Dorabella Carine Séchaye
Guglielmo Roberto Lorenzi
Ferrando Pierre Derhet
Despina Hélène Carpentier
Don Alfonso Alessandro Abis

Orchestre Philharmonique de Nice
Chœur de l’Opéra de Nice

 

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