Une jeune actrice souhaitant faire carrière se voit proposer un premier rôle, et va se retrouver sous l’emprise d’un producteur. Le scénario relatant sa propre expérience écrit par la comédienne Wu-Ken Xi – qui y est prodigieuse- est celui d’un cauchemar d’humiliations faisant écho à l’affaire Harvey Weinstein. Sélection Un Certain Regard,Cannes 2019. Un film-choc !…

Le cinéaste d’origine Birmane ne mâche d’ailleurs pas ses mots à ce sujet : «le soir où j’ai terminé la lectrue du scénario , je n’ai pas pu fermer l’oeil avant l’aube !… », dit-il. Lui, qui , jusque là, écrivait les scénarios de ses films qui l’ont révélé dans les festivals internationaux dont son Adieu Mandalay( 2016 ) primé au festival de Venise et nommé aux Golden Awards, a été subjugué par l’écriture de celui de la Comédienne ! . Elle s’est inspirée de ses débuts de figurante dans des tournages de spots publicitaires et de jeux vidéos , au cours desquels elle y a subi pressions et violences. Refusant dès lors de nombreuses propositions de longs métrages et se tournant vers l’écriture. Lorsqu’en 2017, l’affaire Weinstein éclate et que la parole, via le mouvement Me Too, se libère. A la lecture des nombreux témoignages des comédiennes qui y exprimaient le traumatisme subi , elle a été amenée à revenir sur son expérience , dont la lecture a réveillé en elle , les souvenirs douloureux. Et le même sentiment de détresse et d’impuissance ressenti : « Je me souviens que , comme Nina, j’étais en train de me préparer une soupe et je revivais la scène sans arrêt. Je me voyais hurler après le réalisateur (…)Et quand je reprenais mes esprits, l’eau bouillait et avait débordé de la casserole. C’est de là d’où vient tout le film », dit-elle . Cette scène de son film deviendra la « matrice » du récit dont la construction éclatée , épouse d’une certaine manière, le désordre post-traumatique causé. C’est l’une des belles idées du récit qui nous immerge au cœur de celui-ci , vécu par Nina où fantasme et réalité , passé et présent se superposent : « Nina confond souvent la réalité avec le rêve, à cause de son traumatisme. C’est comme si elle était schizophrène », ajoute le réalisateur… et c’est même le rêve à l’intérieur du rêve , qui , parfois, s’invite !. Cauchemar et souvenirs réels remontant à la surface et co-habitent. La mise en abîme du récit, comme celle des mœurs du monde du cinéma est passionnante. La scénariste et le cinéaste en investissent l’espace filmique délibérément : « Je pense qu’un artiste, inscrit dans son époque, doit s’intéresser aux tragédies qui la traversent. Ses sentiments doivent se retrouver dans son travail et constituer une réponse et une réaction à ces événements. Le film nous rappelle surtout comment la société patriarcale voit les femmes et les définit » , dit le cinéaste…

Et de ces éléments dont la mise en scène s’empare, accompagnée par la mise en abîme nécessaire des humiliations provoquant ces crises d’angoisse dont Nina voit le cauchemar sans fin se prolonger au long d’un voyage au bout de l’enfer …des souvenirs impossibles à maîtriser. Mais c’est par celui-ci , inévitable, que les plaies restées enfouies au fond de soi, vont pouvoir être endiguées. Le sentiment d’impuissance qui s’était mué en symptôme révélateur d’un « syndrôme de culpabilité », dans lequel , souvent, les victimes d’humiliations et de violences finissent par s’enfermer . Comme le relève la comédienne-scénariste « …celà vient de la colère et de la haine (…) Nina se sent coupable, elle se dit qu’elle ne méritait pas ce rôle, elle se sent sâle… », explique -t-elle. Et les scènes qui montrent ce personnage de rivale (?) qui vient la hanter et la harceler, en est le symbole vivant , imaginaire (?). En témoigne, aussi, la séquence de l’ audition où le producteur , y joue de l’argument de la concurrence et des rivalités pour tester son emprise :« il y a celles qui acceptent espérant voir leur carrière décoller , et celles qui refusent et verront leur carrière brisée... » . C’est de cet « engrenage » là dont son récit rend compte de la « haine ressentie et acumuleé » et provocatrice de « son » désordre mental où la frontière rêve / réalité , devient on ne peut plus poreuse pour Nina.Dès lors, au cœur du récit le « milieu » du cinéma et ses dérives y sont décryptées, avec une acuité sidérante . Le récit de son vécu et l’interprétation bouleversante de la comédienne , Wu Ke-Xi , lui offrant, la dimension de la tragédie . A laquelle, la scène récurrente et obsédante du couloir de l’hôtel, et de la marche de Nina vers la chambre du producteur où aura lieu l’audition, ouvre la plongée dans le cauchemar , du piège qui l’enferme. Et il prend d’emblée sa dimension avec la référence auquel le numéro 1408 de celle-ci , fait écho à celui du film d’horreur Chambre 1408 et produit par …Weinstein !. Le ton est donc donné et le milieu du cinéma et de certaines pratiques y est pointé avec une force et une acuité glaçante. Rien , ne nous sera épargné…

Du cinéaste imbu de son autorité, s’inscrivant dans la continuité du producteur , giflant et humiliant la comédienne devant les autres acteurs gênés. Celui-ci allant même jusqu’à mettre la vie de Nina en danger lors d’une scène de tournage en extérieurs, qui n’est pas été autorisée !. On y brocarde aussi , l’influence des agents des débutantes ou des stars, qui eux , savent ce qui peut advenir mais … préfèrent servir leur propres intérêts !. C’est la loi de la jungle et du « silence » sur laquelle s’appuie une domination masculine inscrite dans les mentalités depuis des siècles, dont les rapports de forces et d’inégalités se sont amplifiés dans le monde moderne. Inégalités des salaires en questions et des postes à responsabilités , dans la vie quotidienne comme au cinéma y sont toujours de mise !. De la même manière que la femme y est objet publicitaire ( mode ), ou reléguée au rang de femme- objet, et (ou ) de femme fatale au cinéma. Au passage à on notera le traitement délibéré voulu par la scénariste à propos de la scène de sexe qu’on veut imposer à Nina . Filmé sous sous la forme de séance de répétitions en forme de simulations de poses habillées … afin « de ne pas montrer des positions dégradantes et s’affranchir » …du regard Masculin , explique-t-elle . Le film du cinéaste Midi Z et de sa comédienne- scénariste, s’inscrivant dans ce constat/ combat, dont le but est clair : rompre le silence et participer à faire évoluer les choses. A cet égard le film prolonge son propos et devient un témoignage sur le cinéma Asiatique et Taïwanais, dont les échos sur ces comportements n’ont pas étés très médiatisés, sans doute liés pour certains pays aux difficultés ( censure… ) ne permettant pas d’ aborder des sujets tabous !. Pour la première fois, elle a donc choisi et souhaité de lever le voile, sur l’un d’entr’eux jamais traité : l’homosexualité féminine, « jamais abordé, par le cinéma Taîwanais », dit-elle . Elle y fait écho dans la partie centrale du récit, lors du retour de Nina dans sa région natale et des retrouvailles avec cette amie avec laquelle, ce lien s’est tissé en toile de fond de leur passion théâtrale commune. A cette occasion , une superbe scène de la représentation du conte : Le Petit Prince de Saint Exupéry par les élèves de la classe de son amie, avec la scène de la Rose et sa jolie citation : « l’essentiel ne se voit pas avec les yeux, mais avec le coeur », ouvrant à l’espoir , renvoie à celui de la destinée de Nina . Celui , essentiel , qui, via l’écriture de son scénario aura permis à Wu Ke-Xi de reconquérir une certaine sérénité, au travers de son beau personnage blessé de Nina. Bouleversant …
(Etienne Ballérini)
NINA WU de Midi Z – 2020 – Sortie en salles – Durée : 1 h 43-
AVEC : Wu Ke-Xi, Sung Yu-Hua, Hsia Yu-Chiao, Shih Ming-Shuai, tan Chih-Wei, Lee Lee- Zen, Shieh, Ying-Xuan, Rexen Cheng …
LIEN : Bande -Annonce du Film : Nina Wu de Midi Z. – Durée 2’05 « » , Epicentre Films- –