Cinéma / SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN de Gu Xiaogang.

Une région et une ville, la vie et les destinées d’une famille impactées par les bouleversements sociaux et économiques. Pour son premier long métrage le cinéaste Chinois, nous offre une superbe et bouleversante fresque familiale. Notre coup de cœur de la semaine, un très grand film à ne pas manquer…

Les monts Fuchun – Crédit Photo ARP Sélection-

Le titre du film fait référence à un souvenir personnel du cinéaste lié à un tableau peint dans la région et la ville de Fuyang , où ses parents avaient un restaurant. Tableau signé par le peintre Huang Gongwang et représentatif de la «  peinture traditionnelle chinoise de paysage » qui a été le référent -moteur, de son récit par ce qu’elle reflète dit-il « du rapport entre homme-nature, captant le passage du temps afin de garder la trace de quelque chose d’universel : l’éternité du temps et l’infinité de l’espace » . C’est de ce rapport dont il a voulu que l’écriture et la durée de son récit, soient constamment en osmose avec l’évolution des personnages et des paysages. Un double choix de mise en scène avec ses tonalités , et son point de vue harmonieux, ou pas, entre les individus et cette nature et s’inscrivant au fil de l’histoire de cette famille, sur trois générations. Et c’est sur l’ancienne génération que le récit débute avec la vieille grand-mère dont on fête l’anniversaire , au rendez-vous duquel la famille des quatre fils s’est réunie pour la célébration, dans le restaurant tenu par l’aîné de la fratrie. Au cœur de la fête d’anniversaire , on y distingue déjà , par petits indices habilement glissés au cœur de celle-ci , les personnalités de chacun et notamment les forts caractères conjugués du frère aîné et de sa femme qui vont peser sur les relations familiales futures. Celles-ci seront en effet , constamment perturbées et irriguées de tensions et de ruptures liées a la fois aux caractères de chacun , ainsi qu’aux situations et difficultés personnelles traversées, pour lesquelles le soutien et l’aide familiale attendue n’est pas toujours au rendez-vous . Il faut dire que celles -ci vont être conjuguées, avec les effets des événements extérieurs consécutifs à la modernisation de la ville qui vont impacter fortement le quotidien de chaque membre de la fratrie . A l’image de celui du frère pêcheur et de sa femme , qui , consécutivement à la destruction des logements ancien, seront contraints de faire de l’emplacement de leur petit bateau sur le port, leur nouvelle demeure !. Le chantier monstre de la rénovation s’accompagnant de l’inflation et du clinquant d’un certain modernisme imposant sa loi et ses prix, au détriment des familles aux revenus modestes qui ne peuvent pas suivre, ni s’endetter !. Cette « modernisation » de la ville va peser lourdement sur ces destinées familiales , dont les « repères » au fil des saisons et du temps qui s’écoule , vont les contraindre , a changer leurs regards leurs proches , et sur le présent et l’avenir incertain qui les attend, les contraignant à des sacrifices, et chercher des solutions pour pouvoir continuer à vivre décemment…

La vie sur le fleuve – Crédit Photo ARP Sélection-

Le regard inquiet sur le futur, et les souvenirs qui s’estompent, mais la vie qui s’inscrit tout de même au le fil du cycle immuable des saisons et de la nature … la fresque qui se déroule. Le fil des vies humaines qui y est emporté au rythme de l’horloge du temps et événements , et , à l’image des saisons les tonalités de la vie et des destinées qui s’adaptent . Le printemps de la vie de l’enfant qui va naître , ou celui de l’automne annonçant la mort. La saison des amours de la fille des aubergistes avec son enseignant ( la belle séquence de leur ballade au bord du fleuve ), subissant le refus parental -et surtout maternel – va devoir composer comme tant d’autres avec le temps et peut-être , enfin , s’affranchir des traditions et des volontés de ces« parents qui décident de nos destinées », dira à la fille des aubergistes , une de ses amies qui – elle – a décidé de « vivre sa vie » ! . Pas facile de s’affranchir du poids familial et faire en sorte que les relations s’apaisent . Dans la cellule familiale dont il nous invite à suivre les destinées de chacun l’harmonie est loin d’y être de mise,  et il nous propose les multiples variations des confrontations et déchirements qui en sont le lot . Querelles d’argent, de dettes … et de choix de vie, qui en deviendront une sorte de fil conducteur . A celui des amours contrariée de la fille des aubergistes , s’ajoute celui du frère , éternel exclu , parce que empêtré dans les affaires louches de jeux et autres compromissions risquées qui déshonorent la famille , et celui-ci … qui se débat seul, avec à sa charge une fils handicapé. Ces tensions qui font le quotidien et qui l’empoisonnent , le cinéaste en capte superbement tous les effets intimes rejaillissant sur chacun, et les rancoeurs tenaces que n’apaiseront pas les rares moments d’accalmie «  tu as enfin un peu changé…je le ferais savoir à ton frère  aîné.. », dira la femme de celui-ci, au frère « addict »aux jeux. Mais, c’est du beau personnage de la grand-mère que le cinéaste fera en un éléments central d’observation et modérateur au point de vue divergeant , et que l’on écoute. Lorsqu’elle défendra la liberté de choix de la fille des restaurateurs . Mais qui elle aussi se retrouvera , suite à un accident cardiaque qui lui fera perdre la mémoire, au centre d’une lourde décision familiale . Les difficultés financières ne pouvant pas permettre de payer une assistance médicale quotidienne entraînant la décision de la mettre en hospice « là bas,  on s’occupera d’elle , elle y sera moins seule ! » se rassure-t-on . Et sa souffrance vécue comme un abandon exprimée lors de la visite du frère aux affaires louches, la fera sortir de l’isolement et de l’enfermement mutique auquel elle s’était résignée dans ce lieu , refusant tout contact avec les autres pensionnaires. Magnifique, sublime et bouleversante  scène expressive toute en gestes, silences et échanges de regards qui en disent long sur la douleur, et le sentiment d’abandon…

une scène du film- Crédit Photo : ARP Sélection-

A l’image de cette scène là , le cinéaste construit tout au long, son récit et sa mise en scène en petites touches impressionnistes …qui font mouche !. Celles de la vie qui y vibre dans tous ses possibles , à l’image de cet enfant et ses mouvements perceptibles au toucher du ventre de sa mère . Ou du frissonnement des feuilles des arbres sous la brise du vent , et cette sensation de vibrer en osmose avec la nature, ou , comme le sont ces mouvements de brasse du garçon remontant le fleuve à la nage, défiant les éléments sous les yeux de sa belle sur le rivage. Et encore, ces regards tournés sur les montagnes et leur végétation, et au-dessus, sur l’immensité du ciel, apportant un sentiment de sérénité bienvenu au cœur des tourmentes. Et puis , en contrepoint, les bruits de la ville et des rues où les silhouettes des passants s’activent pour faire les courses ou aller travailler. Sonorités auxquelles s’ajoutent celles des machines et des outils des ouvriers de la démolition des quartiers anciens, et celles des constructions modernes qui s’ouvrent sur les horizons du futur , laissant provisoirement les gravats des immeubles démolis ou en ruines s’entasser au pied des panneaux de publicité vantant la belle perspective futuriste… de la ligne du métro qui verra bientôt le jour !. Gu Xiaogang , propose constamment des angles de vue, des perceptions , des regards multiples qui accompagnent ceux de ses personnages et de la vie qui va . Un regard à la fois intimiste et documentaire, dont il se plait à dire :  «  Je suis comme une caméra humaine qui collecte des informations… » . A cet égard, il rejoint le point de vue du cinéaste Russe Dziga Vertov et sa « caméra-oeil » comme il l’appelait , qui , en son temps s’en allait capter la vie , les mouvements de la rue et les portraits des passants dans L’homme à la caméra ( 1929). On se laisse porter , ici , par le foisonnement de l’écriture du cinéaste Chinois d’une densité et d’une inventivité qui nous emporte par ses envolées et collages. C’est tout simplement …du grand art !.Le film a été présenté en clôture de la semaine de la Critique au Festival de Cannes 2019  , et y a fait sensation !. On  vous conseille vivement de découvrir le découvrir , ainsi que le talent de naissant de ce cinéaste. D’autant qu’il compte donner suite à la fresque familiale , avec deux autres volets et des aventures nouvelles pour ses héros. Alors, ne manquez pas ce premier récit qui , nous en somme sûrs , vous donnera envie de suivre les deux autres à venir . Nous , on est déjà impatients …

( Etienne Ballérini)

SEJOUR DANS LES MONTS FUCHUN de Gu Xiaogang –2019- Durée : 2h 30.

AVEC : Quian Youfa, Wang Ferguian, Sun Zhangian, SunZhangwei, Zhang Renliang, Zhang Guoiying, Du Hongiun, Peng Luqi, Zhuang Yi …..

LIEN : Bande -Annonce du Film : Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang- ARP Sélection , durée : 1’20 ».

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