Rancunes tenaces autour des retrouvailles familiales à l’occasion de la publication des mémoires d’une icône du cinéma.Pour son premier film tourné en France, le cinéaste de Une Affaire de Famille ( Palme d’Or, Cannes 2018 ) poursuit l’exploration de son thème favori, les liaisons familiales. Gravité, légèreté et liberté de ton, au cœur de son film pour une superbe leçon de vie et de cinéma !.

Mère et fille , elles ne se sont pas revues depuis des années, et, on mesure dès les premières répliques, les raisons de la séparation et de l’éloignement sont au centre du récit et de cette « vérité » du titre du film qui va habilement, tenter d’en démêler les raisons. Suspense !. Celles, que chacune d’elle a faites siennes au cœur d’une relationnel qui s’est tendu au fil des ans où le poids de la carrière et des ambitions de la Star a pesé sur celui de sa fille qui en a subi les multiples blessures. La rupture du lien ombilical, Lumir ( Juliette Binoche) l’a accompli avec son départ aux Etats-Unis où elle a fondé famille et y est devenue scénariste. Mais les douleurs sont restées vivaces . La publication des mémoires de sa mère , Fabienne ( Catherine Deneuve ), va-t-elle permettre de faire baisser les armes ?. C’est tout l’enjeu du récit dont Kore-Eda, en virtuose, va écrire la partition dans les méandres de laquelle il nous entraîne. Le cinéma qui est l’art de l’illusion et donc, aussi celui de la vérité et du mensonge qu’ Orson Welles dans (vérités et mensonges / 1973 ), cherchait à « démasquer » dans son portrait d’un peintre faussaire. Ici ce sont ces mensonges ou oublis dont sa mère a truffé à dessin ses mémoires que pointera Lumir, très remontée !. Dès lors , la guerre mère-fille est de nouveau déclarée !. Au cœur de celle-ci qui va impacter leur quotidien, le cinéaste nous y immerge avec la subtilité de son savoir-faire dans l’approche des personnages et de leur intimité dans la demeure Parisienne où ils se retrouvent et se déchirent . Comme c’est souvent le cas dans ses films , on y retrouve ici son travail méticuleux sur les décors et les personnages par lesquels il compose l’osmose de la dramaturgie qui s’y déroule . Celui-ci facilité par, dit-il :« par des acteurs et des collaborateurs qui ont exprimé le désir de faire un film avec moi (… ) Juliette Binoche qui avait émis dès 2011 le désir de faire quelque chose avec moi … a provoqué la première étincelle », qui lui a finalement permis de relever le défi… de tourner en pays, et langue étrangère .

Le relever lui a été facilité grâce aussi à l’importance qu’il attache sur le tournage aux échanges avec les comédiens sur le ressenti et l’approche commune des personnages. Pendant le tournage, Ethan Hawke m’a confié : « L’important quand on fait un film, ce n’est pas de parler la même langue mais de partager la même vision du film. Ces mots m’ont été d’un immense soutien et m’ont permis de garder le cap sans perdre confiance en moi ». Soutien et approche à laquelle se sont prêtées aussi les comédiennes : « j’ai interrogé Catherine Deneuve et Juliette Binoche à plusieurs reprises sur ce qu’est le jeu d’acteur et ce sont leurs mots qui ont nourri le scénario, et l’ont rendu vivant… », ajoute le cinéaste. Dès lors ce dernier mis à l’aise, ne s’en privera pas , osant tous les possibles d’écriture, immergeant son style et sa vision au cœur du cinéma Français, nous émerveillant par sa capacité d’adaptation tout en sachant garder son approche personnelle . Comme en témoigne cette atmosphère « japonaise » par laquelle il habille habilement le jardin de la demeure Parisienne de la Star vieillissante des tonalités automnales du jardin faisant écho à son âge s’en allant vers la saison hivernale. Celle dont la relation mère-fille empruntera la froideur … des rapports du face à face qui s’y inscrit. Dès lors, au fil des jours au cours desquels elle se développe sous le regard des témoins qui y assistent, habilement , Kore-Eda y installe le décalage de l’ironie, du mystère , de l’illusion, qui s’y invitent . Comme l’illustre et en fait le constat, le beau personnage de Charlotte ( Clémentine Grenier ) la fille de Lumir et de Hank ( Ethan Hawke ) qui observe avec son regard d’enfant amusé , tout ce beau monde dépassé, s’entre-déchirer !. Elle préfère d’ailleurs se laisser porter par les événements , ou, par les facéties de Fabienne qui dit avoir des pouvoirs de sorcière… et la défiant de le prouver !. Les fantômes de l’imaginaire et du jeu qui s’invitent au cœur de la demeure et du jardin , remuant ceux les souvenirs d’un passé qui hante toujours mère et fille . Et notamment , celui de cette sœur disparue dont la douleur et la responsabilité de la perte est restée une plaie vivante au coeur de leurs rapports. Fabienne et sa jalousie , et cette incroyable force destructrice obstinée qui l’a poussée à faire le vide « de la concurrence » des comédiennes rivales. Sa posture du verbe et du commentaire, toujours assassin :« lui acteur ?, c’est un bien grand mot ! » , lancé envers Hank , en est l’un des exemples. Elle ne peut s’ en empêcher, la Fabienne qui s’autorise toutes les audaces et joue sur tous les registres justement de cette « fabrique » d’illusions , du vrai et du faux, qu’est le cinéma, Et elle s’en délecte avec , en complice à la fois amusé et tout aussi facétieux qu’elle , le cinéaste qui en profite pour lui rendre, au détour , un vibrant hommage , a son parcours , sa filmographie ( on y évoque Demy , Truffaut ou Téchiné … ) et à ses grands rôles de comédienne …

On aurait pu craindre d’ailleurs, le jeu risquant de tomber dans la surenchère, mais le cinéaste habile et la comédienne qui l’est tout autant , jouent la partition en complices et font mouche. Au cinéaste « honoré » de la voir intégrer son univers , elle lui offre en cadeau une présence réactive , tour à tour bienveillante , mélancolique enjouée, ou moqueuse à toute les références et clins- d’oeil , dont témoignent la séquence où sont évoquées les noms des grandes comédiennes ( mais pas le sien …) dont les noms et prénoms commencent par les mêmes lettres , comme celui d’ Anouk Aimée, commençant par les mêmes lettres ! . Puis, au cœur du récit le cinéaste ose le basculement du réalisme vers l’inattendu d’un récit se référant à la science-fiction sous influences modernes et faisant écho-miroir au face à face mère-fille. Enjeu doublement osé , ouvrant à une autre approche sur les personnages, et sur le temps qui passe … ainsi que sur le cinéma . C’est au cœur de l’évolution de celui-ci et l’utilisation des images virtuelles , que Kore-Eda , plonge la Star d’hier Fabienne … incarnant l’ enfant d’une femme immortelle ! . Cinéma et technologie , voilà que la donne change, le face -à -face mère/ fille devient …un face à face avec soi !. La jeunesse éternelle dont le « virtuel » change la perception des images et des données classiques sur le vieillissement , est un vrai choc pour Fabienne, !. Sa prise de conscience, bien au delà des déboires du tournage contre lesquels elle est furieuse ( changements incessants des scènes et des dialogues ) vont la contraindre , accusant le coup , à revoir ses certitudes … et les raison de « sa » vérité . Sur quelles vérités et choix, une famille se construit-elle ?, nous interpelle alors le cinéaste avec son magnifique film : « qu’est-ce qui fait qu’une famille est une famille ? Est-ce la vérité ou le mensonge ? Et vous, que choisiriez-vous entre une vérité cruelle et un doux mensonge ? Telles sont les questions que je n’ai eues de cesse de me poser en faisant ce film, et j’espère qu’il sera l’occasion pour ceux qui le verront de chercher à leur tour leurs propres réponses », dit-il. N’hésitez pas, le nouveau film du grand cinéaste est un vrai bijou , à ne manquer sous aucun prétexte ! .
(Etienne Ballérini )
LA VERITE de Hirokazu Kore-Eda -2019- Durée : 1 h47.
AVEC : Catherine Deneuve, Juliette Binoche, Ethan Hawke, Clémentine Grenier, Manon Clavel, Ludivine Sagnier, Alain Libolt, Roger Van Hool, Laurent Capelluto, Jakei Beroyer …
LIEN: Bande-Annonce du Film La Vérite d’Hirokazu Kore-Eda ( durée: 1′ 58 » – Le pacte distribution )-.
[…] Cette cérémonie récompense les meilleurs films français sortis en 2020. Canal+ à 20h00 – La Vérité de Hirokazu Koreeda (2019 – 2h05).Fabienne, star du cinéma, est la mère de Lumir, scénariste […]