Cinéma / LE TRAITRE de Marco Bellocchio .

L’Italie des années 1980  La Mafia, les clans Rivaux, trafics et règlements de comptes . La traque des autorités et « l’omertà brisée ». Le juge Falcone et le procès qui a  fait la « une » des Actualités, le cinéaste en construit, une magnifique « saga » foisonnante et originale, défiant les règles du genre . Superbe !… Sélection en compétition, Cannes 2019.

Au centre, veste blanche : Buscetta ( Pierfrancesco Favino ) entouré de ses proches – Crédit Photo : Ad Vital Distribution-

Dés ses premiers films ( Les poings dans les poches / ) Marco Bellocchio s’est inscrit dans la nouvelle vague du cinéma Italien, en portant un regard aigu qui fut qualifié de « subversif » , sur son pays . S’attaquant à la religion , aux institutions, au conformisme d’un certain modèle familial , au Fascisme , aux excès politiques et aux «  années de plomb ». Son cinéma y prospecte et décrypte les symptômes des dérèglements dont son film sur l’échec de la psychiatrie publique italienne ( Fous à délier / 1975) se faisait écho du malaise de la société révélateur de son impuissance à y faire face , et se retranchant dans le « silence » . Et c’est bien celui -ci qui est au cœur du fonctionnement de cette institution « Mafieuse » Italienne, dont elle se nourrit , construisant son pouvoir par ce « lien » protecteur qui fait sa force et, qui va devenir objet de « rupture » générationnelle sur les méthodes . Celle qui se retrouve au cœur de la magnifique séquence d’ouverture du film où, au centre d’une fête aux accents Viscontiens virevoltants ( valses et chants d’opéra… ) réunissant tous les protagonistes des clans mafieux, où vont s’inscrire des rapports de forces … annonciateurs, d’une autre valse !. Celle des règlements de comptes et des crépitement des mitraillettes , qui ensanglanteront l’Italie pendant deux décennies. La photo de groupe, avec les diverses expressions et gestuelles  ( Toto Riina dissimulant son visage …) qui s’y font jour, annonce habilement, la couleur des « divergences » qui vont déclencher le « bain de sang ». D’un côté , le clan de la famille de Tommaso Buscetta ( Pierfrancesco Favino , magistal ! ) représentant le clan Mafieux traditionnel avec ses règles d’honneur . De l’autre , celui des «  Corleone » , dirigé par un Toto Riina ( Nicolà Cali ) et sa nouvelle garde ambitieuse , mettant en berne les «  valeurs et principes » au profit des trafics ( drogue et autres…) n’hésitant pas à faire parler la poudre, pour agrandir son territoire.…

Buscetta ( Pierfrancesco Favino ) lors de son exil Brésilien,  à Rio – Crédit Photo: Ad Vitam Distribution-

Les rivalités de principe et d’actions objets de tensions, vont se précipiter lorsque le clan Corleone déclenchera le bain de sang , rompant avec toutes les traditions originelles .Tuant femmes , enfants … et les hommes du clan rival , parmi lesquels,  deux des fils de Buscetta . Tout va alors , basculer . La belle idée du cinéaste au «  déjà  vu » des scènes de meurtres et de violence, sera d’y superposer au crépitement des armes, celui des éléments chiffrés des victimes et les conséquences . Créant une sorte de dynamique originale , adoptant pour d’autres scènes des points de vues et traitements inattendus jouant sur la surprise à l’image de la scène où le chien tué se retrouvant sur le chemin symbolise et anticipe , celle que l’on ne verra pas , de l’homme qui était visé . De la même manière que, l’est le choix la séquence de l’assassinat du juge Falcone, nous faisant littéralement pénétrer à l’intérieur de la voiture visée , nous plongeant au cœur du drame et de la déflagration émotive populaire, qu’il va provoquer. Le cinéaste utilisant ces « raccourcis »comme éléments de récit destinés à apporter une approche différente des images diffusées aux actualités télévisées. Aboutissement d’un choix de travail  , avec ses collaborateurs habituels , auxquels viendront s’ajouter ceux des historiens et des journalistes spécialisés sur le sujet, afin de nourrir son récit d’informations précises, et inédites. Comme celles qui irriguent le portrait de Buscetta , dont le cinéaste a utilisé, notamment des éléments de la dernière interview de ce dernier par le journaliste -enquêteur, Savério Lodate . Ou encore des éléments repris des notes et des échanges, dont témoignent les séquences, des rencontres entre Buscetta et Falcone au moment de la période du procès. Ajoutons, enfin à ces choix de mise en scène, la belle synergie qui participe à la juxtaposition , des éléments de fiction et  ceux factuels , au service de l’osmose visuelle et dramatique . Notamment lors des séquences du procès , où la salle  « bunker » de Justice organisé  pour l’occasion afin d’y accueillir la presse, les avocats , les juges et les inculpés , va se transformer comme au temps des jeux du cirque Romains , en une véritable arène,  où vont se déchaîner les passions d’une sorte d’hystérie collective . Portée , par la virtuosité d’une mise en scène qui y individualise magnifiquement protagonistes et comportements …

Buscetta ( Pierfranco Favino ) – extradition et retour  au pays sous surveillance – Crédit Photo : Ad vistam Distribution-

 

 

 

Au réalisme de ces scènes qui nous immergent au centre des enjeux , c’est le beau travail sur les contrastes dont ( avec son chef- opérateur ,Vladan Radovic) , le cinéaste habille les « ambiances » ( la fête du début , le procès , l’exil de Buscetta au Brésil …) dramatiques des différents cadres , créant un homogénéité de récit étonnante au regard du foisonnement des événements qui se succèdent, sans que jamais on perde le fil. A ce travail , il faut ajouter ce qui est une des caractéristiques forces du cinéma de Macro Bellocchio : cette volonté présente dans tous ses films à « pénétrer et sonder » l’âme humaine. Explorant toutes les composantes de la complexité qui s’ y inscrit, avec laquelle il a su exprimer et traduire, l’intimité des personnages de ses récits, pris au cœur des événements qu’ils provoquent , et  ( ou) subissent. Abordant son décryptage de l’histoire et de la société de son pays et ce mal qui la ronge, par le biais de ses  personnages. Comme le sont dans Vincere   (2009) , ceux emblématiques ( la maîtresse du Duce , et le fils adultérin de ce dernier ) qui symbolisent la dégénérescence , et la barbarie du fascisme. Ici , au cœur où face, à celle de l’institution Mafieuse, ils sont trois : Riina , Buscetta, Falcone par lesquels il nous plonge dans l’intimité des rouages dans lesquels chacun va inscrire sa part d’ombre, de convictions, de détermination, de complexité, d’inhumanité , de désir de vengeance, ou à contrario de courage , voire de quête de rédemption . La palette est large à laquelle se joignent quelques comparses ou seconds couteaux . Riina le «  boss » du clan Corleone y est décrit comme le monstre sanguinaire, impitoyable surnommé «  le fauve » ou «  la hyène », sacrifiant la « cosa nostra » à ses intérêts , devenant le « boss » d’une multinationale de la drogue dévastatrice qui tue à petit feu , et étend son pouvoir souterrain par la corruption des sphères politiques, et celles qui fricotent sans scrupules, avec l’argent sale …

à gauche : Le Juge Falcone ( fausto Russo Alesi) face à lui : Buscetta – Crédit Photo: Ad Vitam Distribution-

Le « duo » Falcone / Buscetta , répond par la complexité d’un portrait au double visage , celui aboutissant à une « entente cordiale » inédite entre deux hommes que tout oppose . Mais dont  chacun,  au nom des intérêts qui le pousse , va  sceller le « pacte » . L’un – Falcone- au nom de la justice et de la lutte contre le crime organisé ; et l’autre- Buscetta – au nom des     « principes et des valeurs » d’hier , refusant de se plier au règles imposées et trahies , par le clan Riina. Buscetta , comprenant que son sort est sccellé par le clan Rival , va chercher à sortir par la grande porte . Habile stratagème d’une quête rédemptrice dont le « traître », ce « repenti » que l’on méprise qu’il est devenu, va trouver dans l’extradition qui le ramène au pays pour juger son passé mafieux, l’opportunité du procès pour rompre la « loi  du silence », pour se venger … de celui qui est devenu selon lui , le véritable traître de la « cosa nostra ». Au cœur des rapports qui se tissent en marge du procès avec le Juge Falcone , le cinéaste y inscrit une sorte de « jeu de séduction » dans lequel l’ intérêt de l’un et de l’autre, y trouve son compte. Buscetta réduit à la défensive  (dont les scènes de cauchemars traduisent sa hantise de survivre au bain de sang ) , proposera dès lors  de  » collaborer  »  avec la justice en échange d’une protection . A l’approche de la thématique de la trahison « image récurrente du cinéma», Marco Bellochio, en propose l’exploration  sous la forme d’une  interrogation : « un homme , au cours de sa vie peut-il réellement changer ?  » . Vraie sincérité de la démarche , ou simulacre ? , le cinéaste nous immerge au cœur de  celle-ci  :« Buscetta, qui refusa toute sa vie l’appellation de « repenti », s’est-il inscrit dans cette démarche de guérison, de rédemption afin de devenir un homme nouveau ? Ou a-t-il créé sa propre justice ? ». Passionnante approche des raisons l’âme humaine , à laquelle apporte son complément , la séquence du procès servie par une mise en scène prodigieuse et virtuose au cœur d’une ambiance survoltée , où, les 474 accusés derrière les barreaux , vocifèrent et  hystérisent les débats , offrant un spectacle surréaliste de « folie » où les passions se déchaînent . Tandis qu’en coulisses , face au séisme provoqué se prolongeant dans l’opinion publique , les négociations concernant le renforcement de la lutte par des moyens sécuritaires plus importants demandés par Falcone, traîne …

Buscetta , protégé par la cage de verre , témoigne au procès – Crédit Phot : Ad Vitam Distribution-

Celui-ci , devenu dans le pays , le symbole de la lutte anti-mafia , en même temps qu’ennemi «  numéro un » de cette dernière . Faute de protection adaptée , il y perdra la vie , en Mai 1992 dans le «masascre de capaci » perpétré par ordre de Toto Riina !. L’Italie sous le choc, Buscetta, par fidélité à Falcone respectant le « contrat d’honneur » qui les liait, poursuivra ses accusations , mettant en cause la classe politique Italienne et les « liens » entretenus par certains avec le milieu « mafieux ».  Puis , ira se mettre à l’abri de nouveau au Brésil , et ensuite aux  Etats-Unis , où il bénéficiera du régime de la «  protection des témoins ». Marco Bellocchio en construit un superbe récit épique , au cœur duquel le portrait du « repenti Buscetta » et le  procès des agissements  Mafieux, renvoie à un présent dont l’Italie porte  les stigmates . Celles dont sa réflexion,  porte et interpelle sur les répercussions que des années d’un pouvoir souterrain et ses compromissions avec le pouvoir politique, ont fini par  diffuser le « poison »  dans  la société Italienne, dont les effets dévastateurs, se perpétuent, encore au présent . Pour toutes ces raisons , Le Traitre , revêt  l’étoffe d’un très grand film  étrangement oublié du Palmarès Cannois 2019 !…

( Etienne Ballérini )

LE TRAITRE de Marco Bellocchio – 2019- Durée : 2 h 31

AVEC : Pierfrancesco Pavino, Maria Fernanda Candido, Nicolà Cali, Luigi Lo Cascio , Fausto Russo Alesi, Nicola Cali , Giovanni Calcagno, Bruno Cariello , Alberto Storti …

LIEN : Bande -Annonce du film : Le Traite de Marco Bellocchio .

Publicité

2 commentaires

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s