Ami lecteur, dans la précédente chronique je vous avait invité à une réflexion sur les appellations niçoises de certains quartiers ou rues de notre vieille ville. Nous allons, dans le présent article, continuer dans cette voie car, au cœur du Vieux-Nice, d’autres exemples quelquefois savoureux ne manquent pas d’interpeller le passant un peu curieux qui les remarquent. Bonnes découvertes donc!
Par exemple, tout près de la Cathédrale Ste Réparate, une rue assez sombre qui s’engage vers l’ouest porte le curieux nom de l’Abadia qui se traduit par l’Abbaye, mais de quelle abbaye parle t-on? On n’en voit pas dans le voisinage immédiat. Pour comprendre, il faut remonter dans le temps, aux Xème et XIème siècles, au moment où sous l’impulsion de Guillaume 1er dit «le Libérateur» les seigneurs de Provence ont débarrassé la région de la présence et des actions néfastes des Sarrazins. Les églises, les abbayes en particulier avaient été pillées, dévastées. En remerciement, les seigneurs ont été gratifiés de terres et de fiefs et, toujours dans le but de gagner le Paradis après leur mort terrestre, ils ont décidé de léguer au moins une partie de ces biens aux religieux qui avaient tant souffert des envahisseurs. Dans la région niçoise c’est l’abbaye de Saint Pons, détruite en grande partie en 890 qui va bénéficier de dons permettant de la réhabiliter totalement en 999 et d’acquérir des biens situés en grande partie dans le Vieux-Nice dont l’emblématique Cours Saleya actuel, en fait autrefois Cellaya qui abritait des celliers appartenant à l’abbaye de Saint-Pons et exploités par elle à son profit. La rue de l’Abadia, dans son trajet vers la place du Palais de Justice, coupe la rue Colonna d’Istria qui fut le premier évêque de Nice nommé par Bonaparte après la signature du Concordat (1801). A l’entrée de cette rue, en levant les yeux on voit, accroché à une façade, un boulet de canon qui fait partie des six exemplaires, rescapés du siège franco-turc de 1543 et visibles en ville.Il en existe encore un autre à la mairie de Nice. En nissart, la rue se nomme Carriera dou fournescur, ce qui laisse supposer qu’il existait autrefois dans cette rue ou dans son voisinage un four banal ou communal permettant à la population de faire cuire son pain ou d’autres denrées.Plus haut, dans le voisinage de la place St François il existe d’ailleurs aussi une rue du Four.

Plus loin, on débouche sur la Place du Palais de Justice, autrefois Place Saint-Dominique du temps de la présence ici du couvent des frères prêcheurs (o.p.), puis Place Impériale durant le 1er Empire. Dans les parages immédiats existait un Hôtel de la Monnaie qui commença sa production en 1541 et la termine en 1587.L’officine était située dans le secteur rue du Moulin/rue du Marché. Il n’en reste plus de traces tangibles. Rejoignant le Cours Saleya au niveau de l’église de la Miséricorde ( Pénitents Noirs), on découvre sur le côté est de ce splendide édifice baroque une ruelle dénommée Saint-Gaétan, ce religieux qui fut le fondateur des pèresThéatins. Cette voie portait le curieux surnom de «Calabraia» (pose-culotte!). Il est vrai que, très mal éclairée, cette voie se prêtait bien à la satisfaction des besoins naturels de passants peu soucieux de l’hygiène. Cela a-t-il vraiment changé de nos jours? Je n’en suis pas sûr. Tout près de là, on trouve la rue Barillerie ou rue des tonneliers, fabricants de bouta (barriques) corporation à laquelle appartenait la famille Bréa (plaque au N° 14). La fratrie est célèbre par ailleurs pour ses œuvres picturales (retables).

Revenons vers la Cathédrale si vous le voulez bien. A droite du vénérable édifice on voit une place nommée Place Halle aux Herbes et ce depuis le XIIIe siècle. On vendait là des «herbes», des salades en particulier, les fruits et légumes se vendant plutôt sur la place du Jésus. Les champignons avaient aussi leur marché en automne non loin de là sur la Place Vieille ou «dei boulets», où l’on découvre la maison natale de Joseph Rosalinde Rancher (buste), poète niçois auteur de «La Nemaida»(1823) mais aussi musicien et dessinateur à ses heures. Sur cette placette on voit la maison ornée d’une curieuse enseigne «Interna meliora» soit « C’est meilleur à l’intérieur», allusion certaine à une maison close! On découvre aussi le premier palais de la famille Caïs de Gillette qui possède une cage d’escalier magnifique que l’on peut admirer à la faveur d’un passage de l’équipe d’entretien de l’immeuble. Elle acquit plus tard un deuxième palais rue de la Préfecture qu’elle agrandit en récupérant l’ancien oratoire des Pénitents Bleus lesquels vont se retrouver en 1784 place Garibaldi actuelle. Que de choses intéressantes dans un espace aussi réduit !
Revenons maintenant vers le nord par la rue Mascoïnat (mauvaise cuisine),où l’on rencontrait des gargottes offrant une restauration pour le moins douteuse et fréquentées par des gens à moralité de même. Au N°7, on voit la plaque commémorative des Chevaliers de Malte qui rappelle le séjour que fit à Nice en 1527 le grand Maître de l’Ordre, Philippe de Villiers de l’Isle-Adam, chassé de Rhodes par les Turcs. Charles-Quint autorisa ensuite cet ordre militaro-religieux à s’établir à Malte en échange d’une mission de surveillance et d’élimination des pirates barbaresques qui razziaient sans vergogne toute la Méditerrannée.

Ami lecteur, je pense qu’il faut marquer une pause à cet endroit de ma péroraison. Je dois vous laisser le loisir de digérer toutes ces informations et, pourquoi pas, y aller sur place!
La prochaine fois nous irons via les rues du Marché, de la Boucherie, Pairolière jusqu’à la place Garibaldi où nous terminerons notre périple. Nous allons découvrir là encore au fil de ce parcours nombre de choses intéressantes.
A bientôt donc sur Ciao Viva la Culture !
Yann Duvivier
Octobre 2019
Sources:
-«Le Vieux Nice, guide historique et architectural» par Hervé Barelli.
-«Per Carriera» par Marguerite et Roger Isnard, Ed. SERRE.
–«Maisons et palais du Vieux-Nice» par J.Moulinier et C.Ungar.
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