Après un documentaire d’Andreas Pichler en 2013, Pasolini d’Abel Ferrara (2014) revenait sur les dernières heures et la mort tragique de Pier Paolo Pasolini. Pour son deuxième long métrage David Grieco, qui a connu le cinéaste, aborde à son tour le sujet et évoque bien des hypothèses. Un film politique mais aussi un film noir passionnant.

On ne cessera de s’interroger de savoir pour quelles raisons La macchinazione (le titre original) n’est à l’affiche de (quelques) salles françaises plus de trois ans après sa sortie italienne en mars 2016 ? On se posera également la question sur la frilosité des exploitants de l’Hexagone qui ne se sont guère bousculés pour programmer le film, même si l’argument de l’été (salle fermée, fréquentation en baisse) peut se défendre ?
L’Affaire Pasolini, à ne pas confondre avec l’excellent documentaire d’Andreas Pichler, qu’Arte rediffuse occasionnellement, se focalise sur les trois derniers mois de la vie de Pier Paolo Pasolini et se concentre sur sa relation avec Giuseppe « Pino » Pelosi, jeune prostitué de 17 ans et petit voyou des bas quartiers romains. Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975, Pier Paolo Pasolini, romancier, poète, essayiste et cinéaste italien, provocateur et subversif, est sauvagement assassiné sur un terrain vague d’Ostie, dans la périphérie de Rome. « Pino » Pilosi avoue le crime et sera condamné à la prison. Pourtant, très rapidement, cette version, devenue officielle, est contestée, ne serait-ce que par l’incohérence des faits (la différence de corpulence entre la victime et le meurtrier).

Mais le film de David Grieco, qui fut acteur puis assistant de Pasolini et qui réalise ici son deuxième mong métrage après Evilenko, Le monstre de Rostov (2004), émet d’autres hypothèses. Du crime crapuleux, il nous oriente vers l’assassinat mafieux et/ou politique. Dès le début, il est fait référence au contexte politique de cet été 1975, moment où le Parti Communiste italien peut accéder au pouvoir. Mais Pasolini, bien que proche de la formation politique, est loin de partager l’ optimiste ambiant et redoute que la société italienne, qui pour lui est ancrée à droite, ne bascule vers une nouvelle forme de fascisme. L’Italie de cette époque est quand même celle de la stratégie de la tension, laquelle, par les affrontements entre extrême gauche et extrême droite, aurait pu permettre l’avènement d’une dictature. Ces prises de position lui valent des inimitiés à gauche et bien sûr à droite.

L’Affaire Pasolini évoque et mêle habilement la majeure partie des thèses qui ont vu le jour après sa mort tragique. Il pourrait notamment avoir été assassiné par la Banda della Magliana, une organisation criminelle de mèche avec des groupes néofascistes, ou sur l’ordre d’Eugenio Cefis, le successeur d’Enio Mattei, l’industriel dirigeant de Ente Nazionale Idrocarburi (ENI), puissant groupe pétrolier, un « État dans l’État », mort dans un accident d’avion dont les causes n’ont jamais été élucidées. Eugenio Cefis redoutant que Pasolini ne révèle des pratiques douteuses dans le livre qu’il était alors en train d’écrire, « Petrolio », resté inachevé.
Si L’Affaire Pasolini, peut se voir comme un film noir ou un thriller dramatique, David Grieco le définit également comme un film politique « avec la conviction de suivre les pas des grands maîtres du cinéma italien tels que Francesco Rosi pour son film Main basse sur la ville (1963) et Elio Petri pour son film Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon (1970) ». Cette filiation à un cinéma politique italien qui a connu ses grandes heures dans les années 1970, et dont l’un des chefs de file fut Francesco Rosi, est évidente à l’écran avec une référence appuyée à L’Affaire Mattei, de Rosi, et à son interprète principal, Gian Maria Volonte. Une allusion que l’on retrouve également dans le titre français.

Pour jouer Pier Paolo Pasolini, le réalisateur a fait appel au chanteur Massimo Ranieri qui n’en est pas à ses débuts d’acteur et qui porte le film sur ses épaules. Ce choix apparaît comme une évidence, ne serait-ce que par l’étonnante (et troublante) ressemblance entre les deux hommes. David Grieco se souvient d’ailleurs : « Quelques mois avant sa mort, Pier Paolo Pasolini s’est retrouvé assis à côté de Massimo Ranieri, dans les ves-tiaires avant un match de foot. Il le regarda fixement et lui dit : « Tu sais que c’est vrai ce qu’on dit, nous nous ressemblons énormément ».
On soulignera enfin la bande son qui utilise « Atom heart mother » des Pink Floyd
Si L’Affaire Pasolini est programmé près de chez vous, saisissez l’occasion sans tarder !
L’Affaire Pasolini (La Macchinazione) de David Grieco (Italie/ France – 2016 – 113mn)avec Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo Taranto, François Xavier Demaison, Milena Vukotic, et Roberto Citran.
Pour aller plus loin :
La bande annonce du film (2ifilms Distribution – Vostf -1mn30)
Entretien de Stockholm du 30 octobre 1975 (Ouvrir le cinéma)
Pasolini ? La Macchinazione par David Grieco. Entretien avec David Grieco & dossier sur Pasolini (pileface.com)
La dernière interview de Pier Paolo Pasolini (Rai Sat/Cinema World – VF – 6mn15)
Jean-Louis Bory rend hommage à Pier Paolo Pasolini (Le Masque et la Plume – Audio – 2mn26 -1975)
Le cinéma politique italien – Conférence de Federico Rossin (VF – 2018 – 71mn – Forum des Images).
Philippe Descottes