Un passeur venu aider ceux qui vont rejoindre l’au-delà. Une rencontre amoureuse va changer la donne. Un premier long métrage en forme de conte fantastico-réaliste tout en nuances et subtilités où le merveilleux et le mélodrame s’inscrivent. Captivant !. Couronné par le Prix Jean Vigo…

Dans la séquence d’ouverture nocturne,on découvre un jeune homme, Juste ( Thimotée Robart) fantôme énigmatique tentant de prendre contact avec un groupe de jeunes qui n’entendent pas son appel . Cette scène accroche notre attention d’emblée par son atmosphère troublante et irréelle qui se prolongera au gré des rencontres nocturnes et diurnes de Juste,dans les quartiers et rues Parisiennes où il y accompli sa mission , chargé de « soutenir » psychologiquement et moralement …ceux qui sont sur le point de passer dans l’autre monde . Tâche ardue à laquelle , il s’adonne pleinement…jusqu’au jour où son son attention est attirée par une jeune femme qui le suit . Elle c’est Agathe ( Judith Chemla , lumineuse, magnétique ) qui croit avoir reconnu en lui le jeune homme avec lequel elle a vécu une liaison inoubliable.Perturbé par les confidences d’Agathe qui revoit en lui son ancien amour disparu.. ce spectateur des histoires des autres envahi par le trouble , va finir
par en tomber amoureux !. L’idée d ‘une passion amoureuse cherchant à se construire en marge des deux mondes …la rendant impossible, est le défi sur lequel le cinéaste a construit récit. Un défi magnifiquement relevé par ses choix stylistiques de mise en scène et une habile construction, où le réalisme du quotidien vient constamment irriguer , les thématiques ,chères au genre . Audace et originalité , sont au rendez-vous du premier long métrage de Stépahne Batut directeur de casting, franchissant le pas de la réalisation d’un long après un court métrage, Le Rappel des Oiseaux (2015 ) très remarqué , où, déjà la thématique de la mort était au centre . Le titre du film Vif Argent , choix voulu par le cinéaste « … évoque un éclat furtif, quelque chose qui étincelle dans la nuit comme ce que vivent soudain Juste et Agathe dans le film. Puis le vif-argent c’est aussi le nom du mercure utilisé comme principe actif en alchimie, un agent révélateur »…

La séparation des corps, celle scellée par la mort et le souvenir que les vivants en gardent et portent au fond de leur cœur. Ce souvenir et cette douleur incommensurable, incarnée par le personnage d’Agathe est d’autant plus ressentie dans toute sa dimension par celle-ci , que la disparition inexpliquée de celui – parti sans rien dire et donc supposé toujours vivant- laisse espérer son retour. L’obsession de celui-ci , est au centre de ses pensées , et le désir rendu encore plus vivace …que réveille la rencontre de Juste en qui lui rappelle le souvenir . Celui-ci cédera à la fascination .Mais entre Juste et la vivante , la barrière des mondes, est-elle franchissable ? . La superbe séquence de leur nuit d’amour au cours de laquelle au petit matin elle se retrouve seule, lui renvoie amèrement le constat douloureux. Celui de l’impossible deuil auquel elle ne peut se résoudre , que lui renvoie la scène bouleversante des étreintes ( re) vécues de la nuit , ouvrant à la dimension tragique le chemin à faire de la la résilience. Une séquence magistrale qui , avec d’autres , donne à voir et comprendre le travail et la démarche du cinéaste , où aux références assumées, s’ajoute une approche personnelle et originale, dont il irrigue son film. De références aux genres : films fantastiques, de revenants , de fantômes ou de morts-vivants …et aux cinéastes qu’il admire (notamment Georges Franju : Les yeux sans visage /1960), compilés en source d’écriture personnelle. Résultante d’un « assemblage composite » : de récits et souvenirs racontés par des personnes rencontrées durant sa carrière de « castings » , et de « collages retranscrits d’oeuvres qui m’ont marqué », dit-il . Poussé par « l’envie d’en faire surgir le réel au cœur du fantastique, les faire s’entrechoquer » .. Le résultat est saisissant , offrant aux rencontres de Juste au cœur de sa déambulation dans la ville , aux personnages croisés et aux récits de leurs destinées , cette authenticité recherchée. Superbes et touchants portraits , à l’image de celui de l’immigré Africain devenu couturier, de celui de la grand-mère Italienne , ou de celui du jeune homme confronté à la précarité . La richesse du regard sur la fragilité de la condition humaine, fait écho à celle de ses deux héros -eux- dont l’amour, est rendu impossible par d’autres barrières invisibles …

Ce travail sur les « assemblages » , Stéphane Batut, le complète par un travail sur les lieux et décors naturels ( des Buttes-Chaumont ) dont il utilise le cadre, en y harmonisant sa dramaturgie « J’habite ce quartier, je le connais bien, ainsi que certains de ceux qui y vivent. C’est un quartier très divers socialement , dont le parc est le centre de gravité . Un parc très artificiel qui a été construit comme une fantaisie sous Napoléon III. Son Style est dans une sorte d’excès romanesque qui se prête au fantastique.. » , dit-il . Il y capte l’insolite, l’étrangeté et les menus détails révélateurs … à l’image de cette belle scène où, Juste, la nuit seul sur le pont de l’avenue de Flandres y est éclairé par des « fluo violets » . image sublime, baignée d’irréel et de mystère . Au beau travail sur les lumières de la nuit et celles du jour ( l’animation des rues et des lieux publics …) , s’ajoute celui de l’atmosphère sonore attentive aux détails réalistes, dont les sonorités musicales aux envolées tour à tour lyriques, romanesques ou en décalages, accompagnent les destinées et les fluctuations de celles -ci, toujours en osmose avec la thématique : « Vif-argent évoque l’idée d’un monde après la mort pour mieux montrer la vie telle que nous la partageons tous dans sa matérialité la plus ordinaire. L’issue fatale qui guette chacun des personnages colore chaque instant d’un sentiment d’urgence, de nécessité. C’est d’abord de cette simple conscience que naît le merveilleux dans le film… » , explique le cinéaste. Et sa « fable fantastique » est servie par deux comédiens splendides : Judith Chemla, lumineuse et toujours aussi juste , suivie par son partenaire Thimotée Robart dans son premier rôle y jouant habilement de la sensualité , de l’innocence, de l’insouciance et de la vulnérabilité. Des débuts très prometteurs …
Laissez-vous porter par le charme et l’audace de ce premier long métrage justement primé par le très prestigieux Prix Jean Vigo, distinguant souvent des œuvres ambitieuses . Vif Argent, est de celles-là…
(Etienne Ballérini)
VIF ARGENT de Stéphane Batut – 2019- Durée : 1h 46.
AVEC : Judith Chemla, Thimotée Robart, Djolof Mbengue, Saada Bentaïeb, Jacques Nolot,
Cécila Mangani, Antoine Chappey, Fréderic Bonpart, Marie-Josée Kilolo Maputu…
LIEN : Bande-Annonce du film : Vif Argent de Stéphane Batut .
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