Cinéma / SANTIAGO, ITALIA de Nanni Moretti

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L’affiche du film – Le Pacte

De Nanni Moretti on a principalement en mémoire le réalisateur-scénariste et interprète d’une dizaine de longs métrages de fiction dont plusieurs ont été primés dans les grands festivals internationaux. Pour souvenir : Sogni d’oro (grand Prix du Jury à la Mostra de Venise – 1981), La messe est finie (Ours d’argent à Berlin – 1986), Journal intime (Prix de la mise en scène à Cannes – 1994) ou La Chambre du fils (Palme d’or à Cannes – 2001). Cependant, un autre aspect de son cinéma, son travail de documentariste, est nettement moins connu. Cinéaste engagé et militant, il s’était intéressé ,en 1989, avec La Cosa, à la réforme du Parti communiste italien (PCI). Il revient au documentaire avec Santiago, Italia, pour évoquer le Chili de Salvador Allende (1970/73), le coup d’Etat du général Pinochet, qui renversa un gouvernement démocratiquement élu (1973), et sur le rôle de l’ambassade d’Italie dans l’accueil des demandeurs d’asile.

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L’ambassade d’Italie à Santiago du Chili en 1973 – Crédit photo : Le Pacte/Sacher Film

Bref rappel des faits. Dans les premières images du film, une foule défile dans la rue. Elle scande : « La gauche unie ne sera jamais vaincue ! ». Un bien curieux slogan, presque chanté, au XXIe siècle. Pourtant ce n’est pas de la fiction. Des « sans-dents »,« ceux qui ne sont rien », des ouvriers, des paysans, des artisans, des artistes et des intellectuels l’ont scandé ensemble au siècle dernier. Unie, la gauche avait permis la victoire, à l’issue d’une élection démocratique, d’un candidat socialiste (et non marxiste-léniniste), Salvador Allende. C’était en septembre 1970 au Chili. Cette expérience socialiste, née des urnes, se démarquait des expériences soviétique et chinoise mais aussi cubaine et ne durera que trois ans à peine. Cette « voie chilienne vers le socialisme » et les mesures économiques et sociales qui furent prises ont été vues d’un très mauvais œil par le pouvoir économique, les média (télévision et presse écrite à l’époque) et, bien sur, le gouvernement étasunien (Nixon/Kissinger) qui n’avait déjà pas ménagé ses efforts pour empêcher l’élection d’Allende. En dehors de la nationalisation sans indemnisation de l’industrie minière, l’Oncle Sam redoutait la contagion de cette expérience en France et en Italie, pays où les partis communistes comptaient encore beaucoup d’électeurs. Il parviendra à ses fins en 1973 en provoquant un coup d’Etat militaire, le 11 septembre…

Comme une partie de la jeunesse occidentale, Nanni Moretti s’est passionné pour l’expérience chilienne et a manifesté contre la dictature de Pinochet. Pourtant, dans un premier temps, ce n’est pas le souvenir de ce passé qui est l’origine de Santiago, Italia. A l’occasion d’une conférence à Santiago, l’ambassadeur italien lui a parlé de deux jeunes diplomates qui avaient décidé d’accueillir les dissidents politiques. Sur le plan cinématographique, le documentaire n’apporte pas grand chose, sa forme est des plus classiques et la narration suit un ordre chronologique : les années Allende (1970/1973), le 11 septembre et l’ambassade d’Italie. On serait tenté de dire qu’il en va de même pour les images d’archives. Mais si beaucoup sont connues, d’autres le sont bien moins, comme celles de l’ambassade d’Italie à Santiago ou cette courte séquence, émouvante, de l’acteur Gian Maria Volonte présentant le groupe Inti Illimani lors d’un concert de soutien.

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L’un des Chiliens qui a pu se réfugier en Italie en 1973 – Crédit photo : Le Pacte/Sacher Film

Le principal intérêt du long métrage ce sont les témoignages (près de 40 heures d’enregistrements à l’origine). Parmi les nombreux intervenants, certains sont connus, comme les cinéastes Carmen Castillo, Miguel Littin et Patricio Guzman, mais la majorité d’entre eux sont des anonymes, des victimes qui ont choisi l’exil en Italie. Souvent avec émotion, ils évoquent le coup d’Etat, la répression, la torture sous Pinochet, l’ambassade d’Italie, qui fut la dernière représentation occidentale ouverte à Santiago et qui leur permit de quitter le pays (600 réfugiés), et l’accueil qui a été le leur en Italie. Aujourd’hui, ils et elles sont nombreux à se sentir à la fois chilien mais aussi italien. Nanni Moretti donne également la parole aux bourreaux, à deux militaires. L’ un a été accusé de rien et affirme avec un aplomb inouï que la torture n’était pas une pratique courante de la junte militaire et que l’armée n’a fait que rétablir la démocratie, l’autre, condamné pour homicide et enlèvement, purge toujours sa peine en prison mais déclare avoir obéi aux ordres et se considère comme une victime.

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Nanni Moretti et un officier militaire condamné à la prison – Crédit photo : Le Pacte/Sacher film

Au fil des entretiens, toujours en suivant la chronologie, Santiago, Italia en arrive à l’Italie d’aujourd’hui. Pour un réfugié, elle lui rappelle le Chili qu’il a quitté, place à la surconsommation et à l’individualisme… Par le plus grand des hasards (?), Nanni Moretti a terminé le tournage en juin 2018 au moment où Matteo Salvini (Ligue du Nord – droite) est nommé vice-président du Conseil des ministres et ministre de l’Intérieur. L’Italie accueillante et devenue celle du repli. La tradition d’accueil et la solidarité humaine semblent désormais appartenir à une autre époque. Une situation qui n’est malheureusement pas particulière à l’Italie.
Au moment où à travers le monde on semble avoir oublié les leçons du passé, Santiago, Italia est à voir par son aspect instructif et au nom du devoir de mémoire, au même titre que cet autre documentaire sorti sur les écrans presque en même temps, Le Silence des autres, de Robert Bahar et Almudena Carracedo, sur les victimes du franquisme.

Santiago, Italia de Nanni Moretti. Italie,Chili, France – Documentaire – 2018 – 1h20

Voir :
– La bande annonce du film (Le Pacte – Vostf – 1mn15)
– Rome 1975 – Canzoni del Cile – Inti Illimani – Gian Maria Volonte (extrait – VO – 14mn36)
A lire :
– Entretien avec Carmen Castillo (Cinelatino – Toulouse 2016)

Philippe Descottes

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