Adapté du roman de Camille Laurens, le nouveau film du cinéaste de L’autre Dumas et de Dans les forêts de Sibérie, nous invite ici, à suivre l’itinéraire d’une femme en quête d’amour qui se construit un faux profil sur les réseaux sociaux . En sous-texte de la dimension sociétale , la forme du récit gigogne et du thriller psychologique nous plonge dans l’univers du mensonge, de la manipulation. Passionnant …
Claire ( Juliette Binoche ) la cinquantaine, professeur de lettres dont la vie sentimentale est faite de ruptures et de déceptions. Abandonnée par son mari (Charles Berling ) , qui s’en est allé vivre avec une jeune fille. Claire n’arrive plus à se construire une vie sentimentale et sexuelle qui lui convienne, comme le montre sa dernière liaison cahotique avec cet amant, Ludo ( Guillaume Gouix ) à qui elle reproche de ne pas lui « consacrer du temps » et se disperser avec ses amis et autres divertissements. Sentiment d’abandon et quête éperdue de fusion amoureuse comme besoin irrépressible , la voilà qui se lance un soir de dépression à créer un profil sur la toile afin de « se faire désirer et tomber amoureuse » . Au fil des dialogues qui s’installent , la réserve de l’un et de l’autre qui finit par fondre , et , via les mots révélateurs d’une attente commune , va construire ce « lien » tant attendu par Claire devenue Clara . D’autant plus que le profil qu’elle s’est crée , est celui d’une jeune fille de 24 ans dont elle a posté la photographie sur le réseau de rencontres. L’accroche de la séduction -mensonge, fonctionne avec à l’autre bout, un jeune homme, Alex ( François Civil )
qui s’y laisse prendre. Safy Nebbou décrit superbement l’échange qui s’installe du jeu de séduction , dont les mots et l’imaginaire qui l’habitent , va faire son cheminement. Celui du « désir » qui devient révélateur des attentes de chacun . Un exercice dont le cinéaste décrit magnifiquement l’emprise , via les mots accompagnant l’imaginaire du désir, ainsi suscité. Doublement révélateur d’ailleurs de ce qui constitue, aussi , la « matière » même du cinéma où , fiction et imaginaire, se conjuguent pour- l’espace d’une projection- proposer au spectateur, l’immersion dans la fiction. Réunissant ainsi , en un épatant « jeu de miroir », fiction et réalité …

Au cœur de cette mise en abîme, Safy Nebbou nous propose , dès lors une approche passionnante. Où le romanesque et la dimension sociale des réseaux sociaux et leur emprise s’invite et , complète celle, psychologique , révélatrice du trouble identitaire de Claire. A laquelle d’ailleurs, le cinéma ( le Psychose d’Hitchcock) et la littérature ( les liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos – références assumées ) et la littérature , ont consacré des images et des pages , où le romanesque , auquel s’ajoute ici la dimension sociale à celle psychologique et labyrinthique , révélatrice du trouble cité. Le cinéaste en décrit la dimension à la fois « addictive » et ses conséquences auxquelles elle peut conduire dans le monde moderne de la « sur-communication » , qui est devenu l’objet de toutes les dérives possibles, sous couvert d’un univers virtuel qui permet d’avancer masqué. Le cinéaste en fait le cœur de son récit pour en décliner tous les possibles auxquels il peut conduire. A cet égard , le fil conducteur des séances avec la psy ( Nicole Garcia ) qui finissent par apporter les éclaircissements à la forme du thriller psychologique , constitue l’un des points forts où tous les possibles s’invitent et sont décortiqués, en forme de constat . D’autant que la mise en scène ponctuée par les superbes envolées musicales d’Ibrahim Malouf, fait habilement le choix de multiplier les « angles » de vues et de perception des lieux et des espaces ( extérieurs -intérieurs) , tout comme ceux des objets ( ordinateur, téléphone ou miroirs …) qui les concrétisent. A l’image des magnifiques séquences des rendez-vous donnés et volontairement manqués par Claire… n’osant pas se monter craignant les conséquences de voir le désir qu’elle a attisé chez Alex , s’éteindre, le mensonge découvert !. Mensonge construit autour de cette sorte d’enfermement et de piège dans lequel elle se retrouve confrontée à ses propres désirs, et peut-être aussi à ses faiblesses révélatrices …

A cet égard le portrait de Claire cherchant à se « masquer » derrière l’écran et les mots mensongers pour tenter de devenir celle qu’elle voudrait être, et qu’Alex croit qu’elle est , en devient le miroir emblématique. Celui de la frustration de l’abandon , d’un désir de vengeance (?) , de la peur de vieillir et de ne plus être aimée, qui va l’enfermer dans une liaison tout aussi toxique pour elle que pour Alex pris au piège. Mais au royaume de la manipulation et des « fake news » , la vérité , est toujours difficile à mettre en lumière . C’est aussi ce que va révéler , le récit par ses rebondissements que l’on vous laissera découvrir jusqu’au « twist » final . Safy Nebbou prolongeant , en effet celui-ci , vers tous les possibles que le « jeu » de « désir -manipulation » permet , et dans lequel tout un chacun peut se retrouver et peut être emporté. Le cinéaste ayant été, dit-il , lui-même victime d’un tel « piège » , ce qui lui a permis d’habiller, encore un peu plus le romanesque de la dimension du réel et du vécu. Celle que l’on retrouve dans le relationnel entre Claire et la psy où l’empathie , après les réticences et le recul professionnel , finit par s’insinuer . Safy Nebbou , prolongeant , en effet , l’attrait du piège et ses effets pervers, complété par un soupçon d’ironie . Le contexte général , s’ouvrant dès lors , en miroir du particulier à une lecture passionnante révélatrice , par ailleurs , d’une forme se solitude d’autant plus paradoxale qu’elle s’exprime au travers d’un média devenu réceptacle de tous les fantasmes , désirs , voire dérives, permettant de devenir cet « autre » ( comme l’est , l’interprète d’un rôle dans un film …) que l’on désirerait être.Ainsi le fera Clara …surfant sur « le mensonge à l’autre et à soi » , comme réflexe de quête identitaire et de survie : « je surnage dans le virtuel … je cherche ma vie, enfin ! » .
Quête fantasmée rendue réelle à ses yeux, et qui la fait exister aux yeux de l’autre. C’est bien ce double piège auquel le récit renvoie à la fiction , au cinéma et au spectateur l’habillage habile de la mise en scène en multiples perspectives obsessionnelles, qui font mouche !.
( Etienne Ballérini )
CELLE QUE VOUS CROYEZ de Safy Nebbou – 2019- Durée : 1 h 41.
AVEC : Juliette Binoche, Nicole Garcia, François Civil, Marie- Ange Casta, Guillaume Gouix, Jules Houpelain, Charles Berling …
LIEN : Bande-Annonce du film : Celle que vous Croyez de Safy Nebbou .
[…] Avec Robert Redford, Lena Olin, Alan Arkin, Thomas Milian. OCS Géants à 20h40– Celle que vous croyez de Safy Nebbou (Drame – 2018 – 1h40). Claire, la cinquantaine, n’accepte pas […]
[…] 17 juin – Celle que vous croyez de Safy Nebout (Drame – 2019 – 1h35). Claire, la cinquantaine, n’accepte pas d’avoir […]