Après La mise mort du cerf sacré ( 2017 ) sur la désagrégation d’une famille Américaine moderne, le cinéaste Grec nous plonge dans l’Angleterre du XVIII ème, les intrigues de cour et de pouvoir. Caricature et humour vénéneux en bandoulière, il décrit avec un malin plaisir, le huis-clos de la dégénérescence du pouvoir. Fascinant …

Lorsqu’elle arrive dans la demeure du palais royal pour y rejoindre sa cousine Lady Sarah ( Rachel Weisz) , Abigail ( Emma Stone) n’est qu’une jeune aristocrate déchue par un père qui l’a vendue pour éponger ses dettes de jeu !. A la dérive et sans le sou , lorsque s’ouvrent les portes du château et un nouvel avenir auprès de sa cousine devenue la favorite et conseillère de la Reine Anne ( Olivia Colman ), elle en apprendra très vite,les règles . Mue par un vif désir de reconquérir une « dignité » honorifique perdue. Initiée par sa cousine , elle n’hésitera pas à tout faire , y compris, faire fi du protocole, pour se rendre indispensable. Comme le révèle cette séquence où elle attirera l’attention de la Reine dont elle soignera la jambe malade de la goutte,grâce à une herbe médicinale. Cette Reine sous influence de Lady Sarah devenue devenue son amante, et aussi sa favorite et conseillère politique. Lady Sarah s’y entend en politique,en intrigues, influences et rapports de forces pour déjouer celles des deux partis rivaux – les Wigs et les Tory- ainsi que celles des hommes de la cour . Il faut dire que dans ces temps troubles d’une guerre qui oppose le Royaume à la France et divise le pays et les groupes politiques, le terrain est propice . La toile de fond du contexte historique ainsi posée des enjeux , le cinéaste en dehors de quelques habiles sorties extérieures , les transpose dans le huis -clos du château devenant le microsome emblématique d’un monde qui se désagrège au rythme effréné des intrigues et autres divertissements qui en ponctuent le quotidien . Celui d’un univers emporté par le tourbillon des turpitudes de toutes sortes, dont il s’enivre. Cette dégénérescence d’une caste , Yorgos Lanthimos la traduit par le choix d’une mise en scène portée par l’utilisation de la focale du « grand angle » , dont les distorsions de l’image , amplifient le ressenti….

Dés lors , le cadre ainsi posé , la mécanique des intrigues qui se multiplient va pouvoir se dérouler , entre coups tordus et autres déchaînements de passions exacerbées qui les motivent, le récit en décline toutes les turpitudes machiavéliques qui y participent. Le venin qui va se distiller au fil des chapitres autour duquel il s’organise, devient un vaste champ de bataille ,au bout du compte plus important que le contexte politique ( la guerre …) relégué en toile de fond. Et c’est bien cette inconsistance irresponsable d’un pouvoir déconnecté dans son huis-clos d’intrigues , que le cinéaste se délecte, à dépeindre. Au cœur de celui-ci , s’inscrivent celles concernant le trio: la Reine, Lady Sarah et Abigail , dont le basculement des rapports de forces , va être l’objet d’un « duel » doublement révélateur. Celui , sans merci qui va ‘opposer Abigail à sa cousine dont elle va précipiter le discrédit pour prendre sa place de favorite. Révélateur de l’humiliation de classe dont Abigail va faire le moteur d’une ambition portée par ce qu’elle est amenée à découvrir dans cet univers sans scrupule dont elle va adopter l’Adn, de cette soif de pouvoir et de domination qui va lui permettre de briguer tous les avantages qui s’y attachent. la conquête de la Reine subtilement menée pour se faire anoblir , ainsi que toutes les réticences abandonnées pour y parvenir , elle va s’en délecter !. Le cinéaste se délecte- lui- à décrire ces rapports de force qui vont désormais devenir le quotidien du trio, servi par trois comédiennes au sommet de leur art. Emma Stone, l’ingénue inversant la courbe des outrages subis, et se transformant en manipulatrice tortionnaire mentale , est impressionnante . Rachel Weisz la favorite ayant mené en sous-mains la politique du Royaume ,et dont la déchéance subie renvoie à la dignité-refuge magnifique, d’une blessure qui l’a défigurée. . Tandis qu’Olivia Colman ( Prix d’interprétation à la Mostra de Venise 2018 ) , est sublimement émouvante en Reine diminuée (superbe travail sur les changements physiques…) et perdue au milieu des intrigants (tes) de l’ombre qui la manipulent et règnent à sa place…

Le cinéaste se délecte , lui , dans la description de cet univers dont les faux-semblants dans lequel les nobles se vautrent , est révélateur du machiavélisme d’un pouvoir déconnecté du réel, celui dont l’ombre des couloirs cache les intrigues. Tandis que les multiples divertissements auxquels ils s’adonnent sont le reflet de cette dégénérescence que le choix du cadre de l’image cité, amplifie par focales anamorphique qui les surligne. Tout y est matière à humiliation , et ( ou ) domination dans tous les domaines, y compris ceux des rapports amoureux ou sexuels( acceptés ou subis ) où la perversité s’invite comme intrigue supplémentaire de distraction où la « gentry » féminine ne se laisse pas prendre au coups tordus , et sait même en donner !. Le Huis clos dans lequel ce beau monde du pouvoir et ses privilèges se vautre, est prétexte à tous les débordements , thématique centrale des films du cinéaste qui en a décliné ( The Lobster, Canine…) bien des aspects . Ici , via le grotesque qui s’invite comme déversoir dont se font l’écho les séquences collectives où les instincts se libèrent en orgies et autres festins grande bouffe, dégénérant en jeux de lancers de tarte à crème ! . La parodie des « orgies » et autres « banquets » que la littérature Grecque ancienne a décrits comme emblématiques annonciateurs de la chute des empires. Et que dire, de toutes ces autres formes de jeux dégénératifs ( la course aux canards…) dans lesquels on verse !… il y a vraiment quelque chose de pourri en ce Royaume et en ce monde dont la noblesse porte les habits et semble avoir perdu ce qui lui restait d’humanité . Portait acerbe , et récit somptueux au cœur de décors intérieurs ou naturels dans lesquels la noblesse se vautre laissant libre court à ses plus bas instincts …vous avez dit : humains ?.
( Etienne Ballérini )
LA FAVORITE de Yorgos Lanthimos – 2019- Durée : 2h 00.
AVEC : Emma Stone, Rachel Weisz , Olivia Colman, James Smith, Mark Gattis, Nicholas Hoult, Joe Alwyn, Faye Daveney…
LIEN : Bande-Annonce du film La Favorite de Yorgos Lanthimos.
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