Théâtre / Tombés du ciel

Et voici, au TNN, la nouvelle comédie jardinière du facétieux, imaginatif, exploratif, Thierry Vincent, Tombés du ciel. Non,  je n’en fait pas un peu trop, reportez vous à mon article sur sa comédie Azerty ou les mots disparus. A ce propos, le mot exploratif est  aussi un mot disparu, il figure dans le Grand Larousse édition d u XIX siècle.

Mais d’abord, qu’est-ce qu’une comédie jardinière ? Depuis une quinzaine d’années, la compagnie BAL (Bal d’ Arts légers) de Thierry Vincent  présente son répertoire original hors des salles de spectacle, dans des décors naturels. La compagnie a inventé un genre inédit : la comédie jardinière. Au demeurant, l’expression « théâtre hors les murs » me révulse. Y avait-il des murs à Epidaure ? Les murs, c’est bon pour enfermer. Mais je m’égare.
Et puis, ce titre. Est-ce une allusion au film de Philippe Lioret, à la chanson de Jacques Higelin ? Croire en ces allusions ne serait qu’une illusion ? Quoique…
Les dieux sont tombés du ciel, et demandent l’hospitalité aux hommes. D’habitude, c’est nous qui les prions. Mais voilà tout change. Leur paradis est devenu inhabitable. Et la terre est encore belle. Que vont-ils faire de nous ? N’ayons crainte, les Olympiens n’ont plus les moyens d’un déluge : Zeus n’a plus de batterie, alors gaspiller pour se venger…
En échange de notre hospitalité, Iris, Prométhée, Hermès et Hèra vont nous conduire à travers leurs légendes. Celle de Phaéton qui, brûlant de conduire le char du soleil, dévasta tout autour de lui, celles des paysans de Lycie qui choisirent de salir l’eau plutôt que de la partager. Saurons-nous en prendre de la graine, et nous métamorphoser comme nous y invite Ovide ?
Ovide. C’est là qu’il fallait chercher. Et je pense que la filiation avec Thierry Vincent. Ce dernier est un amoureux invétéré des mots et de l’éloquence,  Azerty ou les mots disparus le prouve à l’évidence. Or, l’œuvre majeure d’Ovide Les Métamorphoses, dans laquelle Thierry Vincent s’est profondément imprégné, sont, comme l’écrit René Pichon dans Histoire de la littérature latine non seulement une œuvre grecque mais alexandrine, c’est-à-dire de science et d’érudition
Ovide compose les Métamorphoses au tout début du 1er siècle, sous le règne de l’Empereur Auguste. Les Métamorphoses sont rédigées alors qu’Ovide est déjà un poète reconnu. L’œuvre n’est pas totalement terminée quand il est exilé à Tomis (l’actuelle Constanta en Roumanie) sans doute à cause de son précédant ouvrage L’art d’aimer où le poète se permet de critiquer le régime en place
Le contexte n’est pas seulement politique, il est aussi littéraire. Ce Ier siècle est marqué par des œuvres majeures de la littérature latine comme L’Eneide  de Virgile qui s’inspire des mythes hellénistiques pour créer un poème fondateur dans la culture romaine. Cette réécriture de la matière grecque est omniprésente chez Ovide qui s’inspire de l’Iliade et de l’Odyssée. On comprend mieux pourquoi René Pinchon parle d’une œuvre non seulement   grecque mais alexandrine, c’est-à-dire de science et d’érudition.
Donc les dieux grecs sont littéralement « tombés du ciel », dans la transposition vincentienne. Mais ils ne sont pas descendus en simple mortels, mais en tant que mythologies. Déchus peut-être mas avec dignité !  Et la dignité, c’est les masques. Ici les masques ne sont pas à ranger au magasin des accessoires. Ils sont signé François Guillaumet, ils ont une réelle prégnance.
Au demeurant, à un moment de la pièce, ils sont disposés en fond de scène, chacun est suspendu à une sorte de pique. Ils paraissent être chacun un totem qui, rappelons-le, est un être mythique considéré comme l’ancêtre d’un clan et vénéré comme tel.  Le totem n’est que l’emblème, le symbole d’une force sacrée, anonyme et impersonnelle, émanant du clan et le dominant.
Les masques de François Gullemet – retenez ce nom-  ne sont pas dans l’ordre du signifiant –le masque que je vois représente Jupiter (le vrai, pas l’autre), Junon, Mercure…- mais renvoie au signifié- la représentation mentale du concept associé au signe. Ce que je vois dépasse la représentation de Jupiter, de Junon, de Mercure.
Je dirais même qu’ils sont un élément essentiel de la scénographie (Philippe Maurin) dans la mesure où celle nous indique que, tel un maelström, tout s’engouffre autour ce cette centralité qui va s’avérer être le paradigme dans lequel s’articule et s’ordonne toutes les temporalités.
Une autre temporalité, celle de l’instance musicale. Je dis instance car l’immatérialité de la notion de musique prend soudainement une matérialité et les musiciens sur scène ne sont pas seulement des musiciens sur scène mais des composantes de la dramaturgie, comme l’étaient les musiciens dans les représentations du théâtre grec. Quelque part, ils sont également le chœur antique, le coryphée étant Jean François Ruf-Costanzo, au double titre de sont statut de compositeur mais aussi de détenteur d’un instrument remarquable par sa taille ; le mandoloncelle*.
Zut de zut ! Thierry Vincent, à l’insu de son plein gré, aurait-il commis une tragédie grecque ?

Tombés du ciel, Avec Élise Clary, Élodie Tampon-Lajarriette, Laurent Prévôt, Thierry Vincent, Nadine Bentivolio [accordéon], Jean-Louis Ruf-Costanzo [mandoloncelle] musique Jean-Louis Ruf-Costanzo costumes Gigi Cazes scénographie Philippe Maurin masques François Guillaumet lumière Alexandre Toscani

Jacques Barbarin

*vous voyez ce qu’une mandoline ? Vous voyez ce qu’est un violoncelle ? Faites un mix des deux, vous obtenez un mandoloncelle.

Crédits photos :
Elodie Tampon-Lajarriette photo Claude Valenti
Thierry Vincent Photo Philippe Bertini

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