Théâtre / la révélation Samia Orosemane

Une découverte (pour moi) un talent admirable : Samia Orosemane

Moi, vous m’connaissez ? Lecteur de Télérama et auditeur de France Inter, je n’ai que peu d’intérêt pour ce qu’on appelle les « seuls en scène ». J’ai l’impression que ce ne sont que des machines à déclencher le rire, comme un reflexe pavlovien. Je ne dis pas avoir changé de point de vue, mais j’ai vu au Théâtre de la Cité, à Nice, un « seule en scène » qui m’a fait relativiser les choses, celui de Samia Orosame. Mais avant que de vous parler du spectacle, je vous la présente, sa biographie est un bon indicateur afin de comprendre son spectacle.
Samia Orosemane est née à Paris et a grandi Clichy sous bois. Elle tombe amoureuse du théâtre au collège, avec l’étude d’œuvres de Molière, ce qui l’incite à devenir comédienne. Elle étudie le théâtre à l’école puis après l’obtention de son bac, elle intègre le Conservatoire national supérieur d’Art Dramatique  de Paris.
Elle y reste deux ans. Elle épouse « un Antillais converti » rencontré dans un atelier théâtral. Elle renonce à la scène, supposant que le voile, qu’elle décide de porter à l’âge de 21 ans, la privera d’opportunités artistiques, et commence à travailler comme nourrice. Néanmoins, la passion du théâtre la pousse à reprendre la recherche de nouveaux talents pour le spectacle, Samia et les 40 comiques qu’elle monte en 2009. Depuis elle se produit seule sur scène. Elle y porte un turban et un col roulé, ainsi que des costumes haut en couleurs.
Et en voyant l’habit qu’elle revêt, on se dit véritablement qu’il s’agit bien  là d’un véritable costume de théâtre et non de la robe de ville qu’abordent les « seules en scène ».  Moyen de métamorphose, le costume est un des signes visibles du théâtre. Il est à la fois réel et irréel : réel par ses liens avec le vêtement d’une époque, irréel parce qu’il est chargé d’une signification plus forte, celle d’un véritable code vestimentaire (Encyclopédia Universsalis) C’est à la vérité un personnage de théâtre  qui apparait sur scène, le costume le montre à l’évidence. Et ce n’est pas parce qu’elle est seule en scène que ce qu’elle propose n’est pas du théâtre. D’ailleurs, seule sur scène, elle ne l’est pas. Il y a tout ce que son imaginaire apporte, qu’elle rapporte de son vécu et qu’elle nous envoie.
Au demeurant, elle dit, dans une interview mardi 10 avril par Samba Doucouré pour www.saphirnews.fr : … Je ne regrette pas [mon passage au Conservatoire] parce que c’est là que j’ai appris les bases, la diction, l’occupation de l’espace… Je n’ai pas décidé d’être comédienne en claquant des doigts parce que je faisais rigoler mes copines 1; j’ai une formation, je fais de la scène depuis que j’ai 12 ans et je continue d’apprendre.
De ce qu’elle nous ramène de son vécu, elle en tire sa vis comica et n’oublie pas elle-même d’y passer par son filtre : elle exprime son désir de vouloir être noire en se laissant grossir la partie la plus charnue de son individu (les vocabulairistiquement corrects diront, s’agissant d’une femme : de sa individue), mais en même temps –comme dirait l’autre- « tout le reste a poussé » en montrant la générosité de ses formes, générosité qu’elle sollicite quand elle se transmute en une femme noire ayant langue à partir avec le chauffeur de l’autobus qu’elle emprunte. Pour être récemment « monté » à Paris et m’étant souvent déplacé en autobus, je vois très bien la scène.
Et comme elle est musulmane, qui dit musulmane dit voile et on n’est pas loin du djihadisme, sans nul doute. Ce voile qu’elle a commencé à porter à l’âge de 22 ans par amour pour un homme, fait désormais partie intégrante de ce qu’elle est. Une Française musulmane qui ne se reconnait absolument pas dans ces « cinglés, ces malades mentaux  qui se prétendent islamistes juste pour commettre leurs méfaits ». C’est en ces termes qu’en 2014 (avant même les attentats de janvier 2015) elle s’adresse aux djihadistes dans une vidéo hilarante qui se répand sur la toile comme une trainée de poudre.²
Pour en revenir au Théâtre, à un moment elle revient sur ses années de conservatoire et dit quelques vers du rôle de Dorine dans Le Tartuffe. Or le ton relativement neutre qu’elle adopte envoie vers une coloration tragique d’un personnage que l’on qualifie de comique. Samia en profite donc pour nous donner une  leçon de théâtre : ce qui sépare le comique du tragique, ce n’est que le point de vue où l’on se place
Outre une parfaite diction, un parfaite phonation, un sens du placement dans l’espace – on aimerait connaître ses professeurs – elle travaille son rythme pour les passations d’images d’un personnage à l’autre, d’une émotion à l’autre (les dits professeurs ont dû lui parler de la jonglerie chez Dario Fo, et je pense que Le gai Savoir de l’acteur, dudit Dario, fait partie de ses livres de chevet)
J’aimerai d’ailleurs qu’il existe un autre mot que « humoriste » parce que cela devient un vaste fourre-tout. N’importe qui montant sur scène et sortant trois blagues est honoré du titre d’humoriste. Cela me rappelle un dadaïste du début du siècle dernier qui disait : je ne descends plus dans la rue, il n’y a que des artistes. Enfin, passons…
Quoi qu’il arrive, je ne représente que moi-même. Cette phrase de Samia Oresame la définit à merveille. C’est elle qui est sur scène, c’est elle qui offre elle-même aux spectateurs, et toujours avec un sourire à désarmer un djihadiste.

Jacques Barbarin

1C’est moi qui souligne
² https://www.youtube.com/watch?v=TIXa3VtlHgU

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