Autour de son personnage de déclassé de Léo , le cinéaste construit un magnifique plongée dans le milieu de la prostitution masculine et sa violence. Porté par un long travail documenté en amont, le film par son regard brut , fait mouche . Il offre à la quête éperdue -et à corps perdu – de son héros, la sublime et sauvage pureté . Un premier film coup de poing , à découvrir d’urgence …

Léo a 22 ans et il se présente dès les premières images à nous , dans ce qui fait son quotidien , le racolage de clients pour des « passes » dont il attend autre chose que de lui permettre , d’assurer sa survie . On ne saura rien de son passé , et des raisons qui l’ont amené là. C’est d’ailleurs une des volontés du cinéaste de ne pas les révéler , afin de nous permettre de vivre et ressentir , cet état « de sidération , de désorientation , lié à l’exclusion » auquel Léo , comme tous ceux qui y sont confrontés, va devoir s’adapter.
Squats et trottoirs sont souvent ses lits de fortune , et c’est parfois dans les poubelles qu’il glisse ses mains pour y trouver de quoi manger , ou, passant devant un étalage il y subtilise quelques fruits déclenchant la fureur de l’épicier . Cabossé par la vie, son corps porte déjà les séquelles de la mal nutrition et surtout des addictions ( alcool, drogue) qui lui permettent d’oublier . Léo va se laisser porter dans le tourbillon des excès, quitte à s’y brûler. Au cœur d’un monde qui n’offre que le rejet , sa quête d’amour est semblable à celle de Don Quichottte , « rêvant un impossible rêve » , à la recherche de sa dulcinée . D’ailleurs il vit chaque « passe » comme une possibilité de partager quelques moments de tendresse et de douceur . Et , il lui arrive de se laisser aller à embrasser un client et rompre la « distance » , c’est bien ce que lui reprochent ses collègues « tapins » . Léo brisant les codes d’une profession au cœur de laquelle, c’est l’argent qui est le moteur des rapports humains,
, lui, il n’en fait pas sa priorité !..

Alors, c’est de sa quête d’amour insolite, dont le cinéaste fait de Léo le porteur emblématique d’un constat de solitude , de manque d’amour et d’une souffrance insupportable qui vient encore un peu plus enfoncer ces marginaux et délaissés de la société dont la misère sexuelle renvoie à la misère sociale de leur condition . En ce sens , le film revêt une dimension politique évidente s’inscrivant dans le sillage du regard que portait jadis- sur une certaine jeunesse de la banlieue Romaine- Pier Paolo Pasoiini dans ses romans ( Les ragazzi , Une vie violente ) et films de ses débuts. On y retrouve -ici- le même regard à la fois respectueux , chaleureux et dénué de jugement. Celui dont le cinéaste s’attache à nous montrer les désirs et contradictions du parcours de chacun, et la violence qui s’y attache . C’est en suivant le parcours de Léo , que nous découvrons les facettes d’une réalité, en forme de constat accablant , dont le final nous donne à prendre la mesure du désespoir que constitue le geste de « renoncement» à la main tendue , à laquelle Léo ne peut que répondre par le refus. Le compromis ne pouvant s’accommoder pour lui , avec les sentiments.
Celui -ci en dit long , sur une certain besoin d’attention, de bienveillance, de solidarité et d ‘amour , face à l’indifférence du rejet, et toutes autres formes de réflexes de mains non tendues pour répondre à la désespérance . Mais également à la misère sexuelle (sans oublier les dérives auxquelles pour des raisons multiples ,celle-ci peut conduire ), dont sont porteurs ceux qui font appel à la prostitution. Autant d’éléments rendant, le quotidien insupportable …

C’est au cœur de celui-ci sur les pas de Léo que Camille Vidal- Naquet nous invite à en être les témoins et à en mesurer les dégâts. Ceux dont sont victimes ceux pour qui le recours à vendre son corps devient , une nécessité de survie . Une autre forme de mendicité tout aussi humiliante , modifiant totalement le apport à l’autre ,et à la société . Léo , qui s’en démarque, refusant comme cité ci-dessus de se « plier » à la règle , il en prolonge le constat sur toutes les dérives qui s’y greffent avec les rivalités que cela suscite au sein du groupe de prostitués sur les territoires ou les tarifs , objets de conflits parfois violents , attisés par le refuge dans la drogue, et aussi le « repli sur soi» de chacun ayant ses propres raisons , pour tenter de se sortir de l’impasse. Le tableau est complété par les comportements des clients dont les exigences multiples doivent être satisfaites , comme le relatent les nombreuses scènes « crues » de sexe , toujours justifiées par ce qu’elle révèlent , à la fois des demandes des clients cherchant à satisfaire certaines de leurs perversions . A l’image de celle du jeune couple homo contraignant Léo à une soumission Sado-maso, aussi violente qu’humiliante. Cette violence subie que Mihal le prostitué Bulgare , voudra retourner, à son tour envers un client dans le but de le voler , entraînant avec lui , Léo . Un engrenage dans lequel Léo refuse de se laisser emprisonner. Mais comment en sortir ?, c’est dans l’exploration de cette perspective que le film devient passionnant.

Incarné par l’intensité rare d’un comédien prodigieux : Félix Maritaud qui se met à nu physiquement et psychologiquement , le récit atteint à une ampleur dramatique et réaliste, inégalée. On a dit la quête d’amour dont Léo cherche à investir les interstices possibles des rapports tarifés par le geste d’un baiser. Cette pulsion( désir ) , de tendresse et d’amour impossible à réprimer , y compris , dans ces instants . Un manque lancinant qui le harcèle plus encore que les douleurs de son corps meurtri , celle du cœur qui se manifeste , pourrait-on dire par le « aimer a en perdre la raison » . Amoureux de Ahd ( Eric Bernard, excellent lui aussi) prostitué comme lui, qui se refuse à lui pour tout rapport sexuel, se disant « prostitué , mais pas homosexuel « . Léo qui insiste, et finira même par perde le soutien de Ahl qui avait l’habitude de l’aider dans la difficulté . Léo qui , dès lors , va se laisse aller (les moments de solitude et de blues au dessus du pont de la voie ferrée ) et penser au Suicide . Lorsque Ahl inscrivant son avenir dans le sillage d’un homme riche , l’invite à faire comme lui, et en guise d’adieu lui dit : « c’est ce qui peut nous arriver de mieux a des gens comme nous » . L’espoir envolé , oubliés pour Léo les beaux et bouleversants moments de partage que lui ont procurés certaines belles personnes . Comme ce vieil intellectuel veuf,qui dit: « ne croire plus en rien et n’avoir plus d’envies.. » , et le laisse se blottir tendrement contre lui . Et surtout cette doctoresse qui lors d’une visite médicale ,se montre si inquiète de sa santé et si prévenante en conseils, qu’elle lui chavire le cœur , et la serrera longtemps dans ses bras…de reconnaissance!. Mais Léo le coeur brisé désormais , face au vide fuyant les compromis plus que jamais « sauvage » et libre dans sa fuite poétique sublimée , trouvera-t-il un jour l’ épaule sur laquelle sa tête pourra se reposer?. Une fois encore, comme hier, il tentera tout, fidèle à lui même . C’est magnifique ! . On est en empathie , et on voudrait qu’il réussisse! . C’est d’ailleurs celle-ci que le film et le comédien suscitent envers Léo et ses frères laissés à la dérive et à la marge . Ce n’est pas son moindre mérite…
– Le film a été sélectionné à la Semaine de la critique au dernier Festival de Cannes -( Prix de la Révélation Masculine pour Félix Maritaud).
( Etienne Ballérini )
SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet – 2018- Durée : 1h 39
AVEC : Felix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla, Philippe Horel, Mehdi Boudina, Pavle Dragas, Air Mustafic, Moorrad Hamar , Camille Mûller…
LIEN : Bande -Annonce du film , Sauvage de Camille Vidal-Naquet
[…] 3 à 21h05 (Le film est suivi à 23h25 d’un débat : 30 ans de lutte contre le VIH) – Sauvage de Camille Vidal-Naquet (2018 – 1h35).Léo, 22 ans, se vend dans la rue pour un peu […]