Cinéma / SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet.

Autour de son personnage de déclassé de Léo , le cinéaste construit un magnifique plongée dans le milieu de la prostitution masculine et sa violence. Porté par un long travail documenté en amont, le film par son regard brut , fait mouche . Il offre à la quête éperdue -et à corps perdu – de son héros, la sublime et sauvage pureté . Un premier film coup de poing , à découvrir d’urgence …

l’affiche du film

Léo a 22 ans et il se présente dès les premières images à nous , dans ce qui fait son quotidien , le racolage de clients pour des « passes » dont il attend autre chose que de lui permettre , d’assurer sa survie . On ne saura rien de son passé , et des raisons qui l’ont amené là. C’est d’ailleurs une des volontés du cinéaste de ne pas les révéler , afin de nous permettre de vivre et ressentir , cet état «  de sidération , de désorientation , lié à l’exclusion » auquel Léo , comme tous ceux qui y sont confrontés, va devoir  s’adapter.
Squats et trottoirs sont souvent ses lits de fortune , et c’est parfois dans les poubelles qu’il glisse ses mains pour y trouver de quoi manger , ou, passant devant un étalage il y subtilise quelques fruits déclenchant la fureur de l’épicier . Cabossé par la vie, son corps porte déjà les séquelles de la mal nutrition et surtout des addictions ( alcool, drogue) qui lui permettent d’oublier . Léo va se laisser porter dans le tourbillon des excès, quitte à s’y brûler. Au cœur d’un monde qui n’offre que le rejet , sa quête d’amour est semblable à celle de Don Quichottte , « rêvant un impossible rêve » , à la recherche de sa  dulcinée  . D’ailleurs il vit chaque « passe » comme une possibilité de partager quelques moments de tendresse et de douceur . Et , il lui arrive de se laisser aller à embrasser un client et rompre la « distance » , c’est bien ce que lui reprochent ses collègues « tapins » . Léo brisant les codes d’une profession au cœur de laquelle, c’est l’argent qui est le moteur des rapports humains,
, lui, il n’en fait pas sa priorité !..

Léo ( Félix Maritaud ) en quête de client – Crédit Photo: Pyramide Distribution –

Alors, c’est de sa quête d’amour insolite,  dont le cinéaste fait de Léo le porteur emblématique d’un constat de solitude , de manque d’amour et d’une souffrance insupportable qui vient encore un peu plus enfoncer ces marginaux et délaissés de la société dont la misère sexuelle renvoie à la misère sociale de leur condition . En ce sens , le film revêt une dimension politique évidente s’inscrivant dans le sillage du regard que portait jadis- sur une certaine jeunesse de la banlieue Romaine- Pier Paolo Pasoiini dans ses romans ( Les ragazzi , Une vie violente ) et films de ses débuts. On y retrouve -ici- le même regard à la fois respectueux , chaleureux et dénué de jugement. Celui dont le cinéaste s’attache à nous montrer les désirs et contradictions du parcours de chacun, et la violence qui s’y attache . C’est en suivant le  parcours de Léo , que nous découvrons les facettes d’une réalité, en forme de constat accablant , dont le final nous donne à prendre la mesure du désespoir que constitue le geste de « renoncement» à la main tendue , à laquelle Léo ne peut que répondre par le refus. Le compromis ne pouvant s’accommoder pour lui , avec les sentiments.
Celui -ci en dit long , sur une certain besoin d’attention, de bienveillance, de solidarité et     d ‘amour , face à l’indifférence du  rejet, et toutes autres formes de réflexes de mains non tendues pour répondre à la désespérance . Mais également à la misère sexuelle (sans oublier les dérives auxquelles pour des raisons multiples ,celle-ci peut conduire ), dont sont porteurs ceux qui font appel à la prostitution. Autant d’éléments rendant, le quotidien insupportable …

Léo ( Félix Maritaud – Cédit Photo : Pyramide Distribution –

C’est au cœur de celui-ci sur les pas de Léo que Camille Vidal- Naquet nous invite à en être les témoins et à en mesurer les dégâts. Ceux dont sont victimes ceux pour qui le recours à vendre son corps devient , une nécessité de survie . Une autre forme de mendicité tout aussi humiliante , modifiant totalement le apport à l’autre ,et à la société . Léo , qui s’en démarque, refusant comme cité ci-dessus de se « plier » à la règle , il en prolonge le constat sur toutes les dérives qui s’y greffent avec les rivalités que cela suscite au sein du groupe de prostitués sur les territoires ou les tarifs , objets de conflits parfois violents , attisés par le refuge dans la drogue, et aussi le « repli sur soi» de chacun ayant ses propres raisons , pour tenter de se sortir de l’impasse. Le tableau est complété par les comportements des clients dont les exigences multiples doivent être satisfaites , comme le relatent les nombreuses scènes « crues » de sexe , toujours justifiées par ce qu’elle révèlent , à la fois des demandes des clients cherchant à satisfaire certaines de leurs perversions . A l’image de celle du jeune couple homo contraignant Léo à une soumission Sado-maso, aussi violente qu’humiliante. Cette violence subie que Mihal le prostitué Bulgare , voudra retourner, à son tour  envers un client dans le but de le voler , entraînant avec lui , Léo . Un engrenage dans lequel Léo refuse de se laisser emprisonner. Mais comment en sortir ?, c’est dans l’exploration de cette perspective que le film devient passionnant.

Léo ( Félix Maritaud ) , Seul face )à l’avenir …( Crédit Photo : Pyramide  Distribution )

Incarné par l’intensité rare d’un comédien prodigieux : Félix Maritaud qui se met à nu physiquement et psychologiquement , le récit atteint à une ampleur dramatique et réaliste, inégalée. On a dit la quête d’amour dont Léo cherche à investir les interstices possibles des rapports tarifés  par le geste d’un baiser. Cette pulsion( désir ) , de tendresse et d’amour impossible à réprimer , y compris , dans ces instants . Un manque lancinant qui le harcèle plus encore que les douleurs de son corps meurtri , celle du cœur qui se manifeste , pourrait-on dire par le «  aimer a en perdre la raison » . Amoureux de Ahd ( Eric Bernard, excellent lui aussi) prostitué comme lui, qui se refuse à lui pour tout rapport sexuel, se disant « prostitué , mais pas homosexuel « . Léo qui insiste, et finira même par perde le soutien de Ahl qui avait l’habitude de l’aider dans la difficulté . Léo qui , dès lors , va se laisse aller (les moments de solitude et de blues au dessus du pont de la voie ferrée ) et penser au Suicide . Lorsque Ahl inscrivant son avenir dans le sillage d’un homme riche , l’invite à faire comme lui, et en guise d’adieu  lui  dit : «  c’est ce qui peut nous arriver de mieux a  des  gens comme nous » . L’espoir envolé , oubliés pour Léo les beaux et bouleversants moments de partage que lui ont procurés certaines belles personnes . Comme ce vieil intellectuel veuf,qui dit: « ne croire plus en rien et n’avoir plus d’envies.. » , et le laisse se blottir tendrement contre lui . Et surtout cette doctoresse qui lors d’une visite médicale ,se montre si inquiète de sa santé et si prévenante en conseils, qu’elle lui chavire le cœur , et  la serrera  longtemps dans ses bras…de reconnaissance!.   Mais Léo  le coeur brisé désormais , face  au  vide fuyant  les  compromis plus que jamais « sauvage » et  libre  dans sa  fuite poétique sublimée , trouvera-t-il un jour l’ épaule  sur laquelle  sa  tête pourra se  reposer?. Une fois encore, comme hier,  il tentera  tout,  fidèle  à lui même . C’est magnifique ! .  On  est en empathie  , et on voudrait  qu’il réussisse! . C’est d’ailleurs celle-ci  que le film et le comédien suscitent envers Léo et ses frères laissés à la dérive et à la marge . Ce n’est pas son moindre mérite…

–  Le  film a été sélectionné à  la Semaine de la critique au dernier  Festival de Cannes -( Prix   de la Révélation Masculine  pour Félix Maritaud).

( Etienne Ballérini )

SAUVAGE de Camille Vidal-Naquet – 2018- Durée : 1h 39

AVEC : Felix Maritaud, Eric Bernard, Nicolas Dibla, Philippe Horel, Mehdi Boudina, Pavle Dragas, Air Mustafic, Moorrad Hamar , Camille Mûller…

LIEN : Bande -Annonce du film , Sauvage de Camille Vidal-Naquet

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