Aîné du «duo » mythique du cinéma Italien qui co-signait, la mise en scène de leurs films depuis leurs débuts dans les années 1960, Vittorio Taviani s’est éteint ce 15 Avril , à L’âge de 88 ans …

Je me souviens, et je mesure aujourd’hui la douleur ressentie par son frère Paolo, devenu orphelin du frère avec lequel il disait dans un entretien à l’historien spécialiste du cinéma Italien jean A. Gili : « le cinéma est toute notre toute leur vie, on le pratique comme un acte d’amour… » . Un acte d’amour qu’ils voulaient offrir au public…
Je me souviens que le « duo » en 1977 remporta la Palme d’Or du Festival de Cannes avec Padre Padrone auquel s’ajouta celui de la critique internationale ( FIPRESCI ) , et qu’en 1982 avec La Nuit de San Lorenzo , ils y décrochèrent le Grand Prix du Jury . C’est ensuite au Festival de Berlin en 2012 pour César doit mourir qu’ils remporteront l’ours d’Or . Dans leurs pays natal , ils seront distingués à deux reprises dans la catégorie Meilleur réalisateur et Meilleur film pour La Nuit de san Lorenzo , et César doit mourir …
je me souviens qu’en dehors de celui de l’enfance au sein de la famille dans la petite ville de San Miniato en Toscane , leur chemin commun vers le cinéma commença par leurs études à l’Université de Pise où ils choisissent de se spécialiser dans le domaine des arts. La littérature, le théâtre, le cinéma , la poésie la peinture, et la musque , dont on retrouve les influences dans leurs films . Et, bien sûr, le cinéma dont ils découvrent les films marquants dont ceux des cinéastes du néo-réalisme qui firent la notoriété du cinéma transalpin de l’après – guerre …

Je me souviens qu’ils disaient que c’est la découverte du film de Roberto Rossellini , Paisà ( 1945) qui déclencha leur passion-cinéma que l’on retrouve associée dans leurs films à celle domaines artistiques ci-dessus mentionnés , qui s’y retrouvent dans une sorte de « représentation » ( théâtrale ?) ) à la dimension allégorique et politique qui en est le moteur, et où la dimension de l’utopie et de la poésie s’insinuent comme une évidence …
Je me souviens que leur cinéma est également celui d’un « partage » dont Vittorio et son frère Paolo , reprennent et perpétuent le dialogue avec les traditions culturelles du passé , les répercutant aux présent dans la continuité de cette « osmose » fraternelle qui caractérise leur relation , et en prolonger le « partage » avec le public , tout en restant très, tout en restant très attachés à une « forme » dont , parfois, la radicalité de la mise en scène peut surprendre ..
Je me souviens que le premier long métrage réalisé par vittorio et son frère , le fut avec un troisième larron devenu leur ami , Valentino Orsini ( décédé en 2001) avec lequel une relation amicale et de travail s’installera : fondation d’un ciné-club , réalisations de courts métrages et expériences théâtrales où l’engagement était très présent ( le père des Taviani était un grand résistant antifasciste ) , en même temps que le désir d’un cinéma ayant une dimension politique et sociale. On la retrouve dans Un Homme à Brûler (1962 ) leur film réalisé en « trio » ,inspiré de l’historie d’un syndicaliste Sicilien assassiné par la Mafia pour avoir « incité » les paysans à manifester , en faveur du « partage » des terres …

Je me souviens que le « trio » poursuivra la collaboration avec Les hors -la -loi du mariage (1963 ) où Annie Girardot est associée à Ugo Tognazzi . le film y abordant la thématique de la loi sur le divorce objet de revendications , celui-ci n’étant alors, pas autorisé en italie …le divorce se fera – à l’amiable et sans rancune – avec Valentino Orsini , les frères Taviani réaliseront désormais en duo, tous leurs films …
Je me souviens que c’est en 1969 avec Sous le signe du scorpion que le cinéma de Vittorio et Paolo Taviani prendra une dimension plus allégorique , où la dévastation d’une île et l’émigration sont prétexte à une fable où la violence , le langage et la communication sont au cœur d’un cheminement vers le progrès . Que poursuivra dans Saint Michel avait un Coq ( 1971 ) , le récit consacré à un anarchiste italien du XIX ème siècle dont l’expérience du parcours de combattant ne trouvant plus écho , le conduira au suicide. Suivi en 1974 par Allonsenfan ( Mastroianni, Mimsy Farmer , Laura Betti et Léa Massari …au générique! ) au cœur de la période mouvementée de la Restauration ( 1816 ) , où secte révolutionnaire et paysans en colère , confrontés à arrestations , trahisons et autres malversations entraînant le massacre de paysans par l’armée …

Je me souviens, aussi , que la série des quatre films qui suivront et verront l’art des Taviani à leur sommet, avec des récits dont l’immersion dans les régions italiennes et les thématiques abordées, vont trouver un écho international . Padre Padrone ( Palme d’or Cannes 1977 ) donne le tempo avec la superbe adaptation du Roman de Gavino Ledda , sur l’itinéraire éducatif d’un jeune berger de Sardaigne dans les années 1940 . Le Pré ( 1979 ) racontant les déboires d’un étudiant en droit de Toscane . La nuit de San Lorenzo ( 1982 , Grand Prix du jury , Cannes ) où la population d’une petite ville de toscane se retrouve aux dernières heures de l’occupation Allemande otage au cœur d’un combat opposant , alliés , allemands et résistants . La Sicile et les Contes de Kaos (1984) inspirés de Luigi Pirandello, magnifiquement servis rencontreront le succès et seront suivis d’un Kaos 2 ( 1998) .
Je me souviens du bel hommage au cinéma qu’est Good Morning Babylon (1986) , et des enfants du maître maçon Toscan partis tenter leur chance aux Usa , y découvrant Hollywood et les fastes des décors studios et des tournages auxquels ils participeront . Je me souviens de Le soleil Même la nuit ( 1989) adaptation de Tolstoï , de Fiorile (1992 ) racontant la légende des frères maudits sous l’occupation Napoléonienne , et aussi de Les affinités électives ( 1997) librement adapté de Goethe., à l’esthétique très travaillée …

Je me souviens que Vittorio Taviani et son frère se tourneront dans les années 2000 vers la télévision ( films et séries ) , et feront un retour sur le grand écran avec un nouveau très grand film qui leur permettra de renouer avec le cinéma militant de leur débuts avec César doit Mourir ( 2012, Ours d’Or à Berlin ) . Magistrale immersion au cœur de la prison romaine de Rebibbia , en forme de docu-fiction et suivant les pas d’un metteur en scène de théâtre dans un quartier de haute sécurité, pour y diriger la mise en scène du Jules César de Shakespeare avec les détenus …qui finissent par se prendre au jeu, et seront transformés par l’expérience . Les contes italiens ( 2015 ) adaptés du Décameron de Boccace est leur dernier film sorti sur les écrans français…
La presse italienne s’est rapidement fait l’écho de la disparition de Vittorio qu’elle savait malade depuis plusieurs mois , et salue l’œuvre accomplie en commun avec son frère . Parmi les réactions nombreuses des personnalités on retiendra celle de l’écrivain Gavino Ledda dont Vittorio et son frère ont adapté Padre Padrone qui a déclaré : « J’ai perdu un ami , c’était une personne généreuse , passionnée , affectueuse et cultivée …avec lui c’était un plaisir de discuter de n’importe quel sujet , de cinéma, de musique . je me souviens de quelqu’un toujours prêt à donner des conseils et des encouragements . Je me souviens que juste après la sortie du film ( NDLR : Padre Padreone ) à Rome, j’eus un petit souci de santé que je lui confiais. Lui et son frère Paolo se précipitèrent en compagnie de leur médecin pour me soigner et restèrent à mes côtés jusqu’à ce que je soit remis.Voilà , pour moi au travers de geste , c’est toute la générosité et l’altruisme de Vittorio qui s’est manifesté » …
(Etienne Ballérini )