Cinéma / LA BELLE ET LA BELLE de Sophie Fillières.

La thématique du « double » explorée de manière originale , via la  rencontre générationnelle d’une femme qui n’est autre qu’elle-même …face à son double de vingt ans de moins. La forme du conte fantastique et de la comédie , et des dialogues finement ciselés,  font le charme du film…

Dans les premières séquences, on fait la connaissance de Margaux ( Sandrine Kiberlain) , 45 ans professeur d’histoire-géographie à Lyon qui a pris un congé sabbatique , et de Margaux    ( Agathe Bonitzer ) jeune fille de 25 ans vivant dans la Capitale . C’est dans celle-ci que la rencontre a lieu au cours d’une soirée ou toutes deux sont invitées. Au fil du montage parallèle qui les présente on décèle chez les deux Margaux au delà de leurs différences certaines correspondances de comportements , et, notamment sur  l’angoisse ressentie au moment d’aborder des périodes charnières de leur vie . Celles consistant à faire un certain bilan pour la femme de 45 ans dont témoigne le congé sabbatique et l’envie de changement manifesté . Et qui sans doute , séparée désormais de son amour de jeunesse et mari, cherche à vaincre, l’âge aidant , la peur du lendemain et de la solitude . Et celle de fougue et de la jeunesse bouillonnante de la jeune Margaux emportée par le tourbillon de la vie papillonnant tous azimuts dans les soirées Parisiennes «  tu fais n’importe quoi » lui dira une amie qui s’inquiète de sa légèreté inconsciente . Pour la cinéaste « au delà de leurs singularités, c’est cette présence singulière au monde qui les réunit en une seule Margaux (…) constituée de son passé , de son présent et de son futur ». Le postulat ainsi décliné, il s’agit dès lors de s’y laisser porter , via le registre du fantastique , des situations cocasses et laisser       «  le vertige et le charme d’un certain sortilège » , s’installer …

La rencontre des deux Margaux ( Agathe Bonitzer et Sandrine  Kiberlain )- Crédit Photo : Memento film distribution-

Diplômée de la Fémis , la cinéaste nous a habitués – depuis son premier court métrage: Des filles et des chiens (1992) dans lequel jouait Sandrine Kiberlain qu’elle retrouve ici- à nous entraîner dans des aventures où un certain surréalisme s’invite, comme moteur du récit . Et surtout , comme élément naturel et irrationnel exprimant un ressenti , un besoin permettant de retrouver l’équilibre . A l’image d’Emmanuelle Devos choisissant, lors d’une ballade en forêt aux multiples disputes et rebondissements, de laisser filer son mari                 ( Mathieu Amalric ) et se « terrer » dans la forêt pour faire le point avec elle- même . Justement les deux Margaux en ont bien besoin de faire le point de leurs vies, et sans doute, après la méfiance de l’échange de la première rencontre , les mots qui font leur chemin  disent la nécessité de se retrouver et tenter d’apprendre de l’autre , de faire le  fameux « point » … avec soi- même. A cet égard la séquence qui renvoie , via le miroir qui leur fait face , l’image double de chacune, est magnifique . Ici, la belle idée du « double » réunissant la même personne dans la temporalité , permet d’introduire des jeux de pistes et des possibles , via lesquels la singularité de chacune se décline en même temps que le quotidien de l’autre en est forcément modifié par les échanges . Où les événements provoqués par les rendez-vous quotidiens qui s’intensifient , entraînant forcément des rencontres communes et des expérimentations qui finissent par « interférer » dans leurs vies. La maturité de l’une étant l’élément d ‘expérience et d’apport de l’autre et vice -versa…

Les deux  Margaux , Le face à face et le « flou » qui va s’estomper – Crédit Photo : Memento film Distribution .

Ce que va encore précipiter l’arrivée de Marc ( Melvil Poupaud ) et l’intrusion habile de l’amant qui deviendra le « lien » commun. Celui, qui fait son retour dans la vie de la Margaux d’hier et celui qui va s’insinuer dans la vie de la jeune Margaux d’aujourd’hui . Cet amant qui va réunir, encore un peu plus dans une jeu de complicité l’une et l’autre . Une complicité parfois teintée de rivalité , mais surtout de conseils proférés par la Margaux qui l’a aimé à celle qui l’aime aujourd’hui . «  Tu verras si c’est sérieux , il va t’emmener au ski ! » . Ce « lien amoureux » qui ne fait que sceller encore une peu plus la « fusion » entre les deux Margaux , comme une même entité. L’intrusion du romanesque via la présence de Marc dans le récit où le réalisme quotidien persiste comme élément d’ancrage, renforce encore l’idée de ce               » triangle amoureux  virtuel «  , que le récit propose , comme identification . Réalisme , fantastique et surréalisme réunis , participent dès lors à la conduite d’un récit où la logique n’est pas toujours au rendez-vous . Mais on l’a dit , la logique et la raison sont souvent malmenées , quand il s’agit des sentiments et des choix à faire . Le décalage, ici, proposé, en amplifie encore le poids lorsqu’il faut  pour les « Margaux »  en faire la part et en mesurer la persistance . Et la gravité se retrouve dès lors, au rendez-vous du récit de la cinéaste « Il y a quelque chose qui nous vient de nos désirs enfantins (…) savoir qui l’on est, s’accepter soi-même littéralement est une affaire assez sérieuse, et un peu bouleversante » , dit-elle …

de gauche à Droite : Sandrine Kiberlain, Melvil Poupaud , Agathe Bonitzer – Crédit Photo : Memento film distribution-

Le conte peut alors se décliner sous ses différents aspects stylistiques où l’imaginaire se retrouve au centre du défi du récit , dont le spectateur est invité à partager et à se laisser porter vers les possibles qui s’ouvrent : «  s’imaginer des choses vraies », comme le dit à sa meilleure amie , la jeune Margaux . Et le défi pour la cinéaste : «  les rendre possibles » . Le rebondissement final en est l’exemple concret , avec lequel elle clôt le film et sa mise en scène portée par les tonalités justes, des dialogues qui le sont autant et surtout une interprétation en osmose qui les porte , où notamment, le «  trio » parfait ( Sandrine Kiberlain , Agathe Bonitzer , et Melvil Poupaud ) se mettent au service , et se prennent au jeu de ces « possibles » , avec une subtilité qui  sert à merveille, cette vérité recherchée par la cinéaste . On vous invite à  vous laisser aller,  et vous prendre au sortilège…

(Etienne Ballérini)

LA BELLE ET LA BELLE de Sophie Fillières – 2018- Durée : 95 Minutes.
Avec : Sandrine Kiberlain , Agathe Bonitzer , Melvil Poupaud, Lucie Desclozeaux, Lauret Bateau, Théo Cholbi, Anthony Paliotti, Florence Muller …

LIEN : Bande -Annonce du film – La Belle et la Belle de Sophie Fillières.

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