Cinéma / LA VILLA de Robert Guédiguian & Entretien avec Gérard Meylan

Présenté à la Mostra de Venise, à Toronto et à San Sebastian, La Villa, le 20e long métrage de Robert Guédiguian sort sur les écrans français. Le réalisateur demeure fidèle à ses thèmes, à une région et, bien sûr, à ses comédiens fétiches, sa famille…

LA VILLA ARTE MARE
Au balcon de La Villa ( Crédit photo : Diaphana Distribution )

Dans son précédent film, Une histoire de fou, sorti en novembre 2015, Robert Guédiguian s’intéressait à la cause arménienne à travers trois moments clés : le génocide arménien, la lutte armée dans les années 1980 et la fin de l’Arménie soviétique. Un sujet qu’il avait déjà abordé dans L’Armée du crime et Le voyage en Arménie. Avec La Villa, son 20e long métrage depuis Dernier été, co-réalisé en 1980 avec Frank Le Wita, il revient à ce cinéma humaniste, politique (mais pas militant) qui est le sien depuis plus de trente ans et à ces thèmes que le grand public a découvert en 1997 avec Marius et Jeannette. Un retour accompagné par sa belle équipe, Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Yann Trégouët, cette famille qui s’est agrandie au fil du temps (Robinson Stévenin, Anaïs Demoustier) et que l’on retrouve avec un immense plaisir.
Dans une calanque près de Marseille, au creux de l’hiver, Angèle (Ariane Ascaride), Joseph (Jean-Pierre Darroussin), et Armand (Gérard Meylan), se rassemblent autour de Maurice (Fred Ulysse) leur père vieillissant. Le patriarche est victime d’un AVC et il a bien peu de chances de sortir de la paralysie dans laquelle il est plongé. C’est le moment pour ses trois enfants de mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal qu’il leur a transmis, du monde de fraternité qu’il avait bâti dans ce lieu magique, autour d’un restaurant ouvrier dont Armand, le fils aîné, continue de s’occuper tant bien que mal.

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La Villa – Un théâtre à ciel ouvert ( Crédit photo : Diaphana Distribution)

Dans La Villa, le réalisateur évoque un monde ouvrier disparu et dont le souvenir est lui aussi sur le point de disparaître en même temps que les anciens qui l’ont connu. Il filme avec amour ces décors naturels, la mer, omniprésente, les calanques, le petit port, le viaduc sur lequel passent les trains, les cabanons du village et les collines environnantes malgré les mauvaises herbes envahissantes. Un théâtre à ciel ouvert à l’intérieur duquel ses comédiens fétiches vont se déplacer comme au cœur d’un huis clos. La Villa démarre comme un mélodrame. Ils avaient jadis des idées et des rêves bien précis. Angèle, la cadette, est montée à Paris pour devenir comédienne et Joseph avait l’intention de changer le monde et a cru à l’engagement politique. Armand, lui, avait décidé de rester afin de reprendre le restaurant ouvrier. Aujourd’hui le constat est amer. Ça fait vingt ans qu’Angèle n’est pas revenue dans cet endroit où elle a perdu sa fille unique dans des conditions dramatiques et sa vie sentimentale a été un échec par la suite. Ce sont les circonstances qui la contraignent à ce retour. Le libéralisme et la mondialisation ont eux raison des idéaux de Joseph, viré de son poste sans ménagement. Il a encore le don d’inventer des proverbes chinois (ou d’ailleurs), comme « Au bord du précipice seul le rire nous empêche de sauter », et garde toujours des traits d’humour, mais il déprime, ce qui commence à agacer « sa jeune fiancée », Bérangère (Anaïs Demoustier). Pour Armand, les affaires ne vont pas forts. La clientèle se fait rare. C’est peut-être dû à la mauvaise saison, mais plutôt à la désertification. Dans le village, de plus en plus de cabanons sont fermés. Les habitants sont partis. Martin (Jacques Boudet) et Suzanne (Geneviève Mnich), un couple d’amis de leur père, ne peuvent plus payer le loyer qui a été augmenté mais ils refusent pourtant l’aide financière que leur propose leur fils médecin, Yvan (Yann Tregouët). Depuis la mer, en bateau, agents immobiliers et acheteurs potentiels s’intéressent au lieu…

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Gérard Meylan, Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin ( Crédit photo : Diaphana Distribution )

Dans ce contexte, la réunion familiale est propice à l’évocation des souvenirs, à la mélancolie et à la nostalgie, ce qui fait dire à Joseph : « C’est horrible tous ces bons souvenirs » ! Pas plus que le passé, le présent n’engendre à l’optimisme. Signe du temps, une embarcation avec à son bord des migrants s’est échouée. A la recherche de survivants, des militaires patrouillent régulièrement dans le cadre de l’état d’urgence. La génération de Maurice est en train de s’éteindre et celle de ses enfants est désabusée. En dépit de la noirceur ambiante, les lueurs d’espoir apparaissent et c’est la jeunesse qui les porte. Elle peut prendre le relais. Bérangère et Yvan sont attirés l’un vers l’autre et Angèle va rencontrer Benjamin (Robinson Stévenin), un jeune pêcheur passionné de théâtre. L’irruption dans sa vie et celle de ses deux frères aînés de trois orphelins réfugiés va bouleverser leurs réflexions. Comme un nouveau départ, elle va peut-être leur apporter des jours meilleurs et pourquoi pas donner naissance à de nouvelles utopies ? La vie est là.
Philippe Descottes

La Villa de Robert Guédiguian. Drame – 107 minutes. Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin, Yann Tregouët, Geneviève Mnich.

La Villa a été présenté lors de la Soirée de clôture de la 35e édition d’Arte Mare à Bastia en octobre dernier. Gérad Meylan était venu accompagner le film de Robert Guédiguian.

Arte Mare 2017 - Gérard Meylan & Denis Parent
Gérard Meylan (et Denis Parent) sur la scène du Théâtre de Bastia – Arte Mare 2017 (Crédit photo : Novellart-2b)

Cette Villa c’est la chronique d’un temps qui est passé. Un regard nostalgique…
Gérard Meylan :
« Un regard nostalgique, mais pas désespéré. Le film est quand même aussi l’histoire d’une fratrie, qui se cherche et se retrouve malgré tout, puis d’une autre à travers les trois petits migrants, avec la sœur, qui du coup est l’aînée, et ses deux jeunes frères et il y a un petit côté d’espoir, sur le devenir justement, quand la petit fille déclare « Ma mère me dit que quand on meurt à un endroit, on va s’enraciner ». Et ça c’est ce que propose toujours Robert à la fin . Il faut dire que c’est quand même un mélodrame, mais ce n’est pas un film triste, il est chargé d’espoir malgré tout à travers ce phénomène de migration qui est un espoir de partage de cultures, d’humanité dans notre monde qui se gâte, justement par le manque d’humanité. C’est plutôt un regard sur le passé qui doit servir pour l’avenir. »

Il y aussi ce train qui passe sur le viaduc qui compte le temps…
G.M. :
« Comme un métronome ce train passe sur l’arche… Ces arches magnifiques d’ailleurs qui ont été construites par la grande migration italienne des années 1920. Italienne et arménienne… On n’en parle plus d’ailleurs des émigrés italiens, ils sont insérés, inclus dans notre monde. Aujourd’hui peut-être, d’autres vont venir enrichir par leur patrimoine culturel notre patrimoine qui continue à s’enrichir… mais qui peut s’appauvrir aussi, donc il faut faire attention et savoir accueillir les richesses du monde entier… »

et rejeter les extrêmes :
G.M. :
« …et rejeter les extrêmes, bien sûr ! »

Vous êtes un peu le sage de cette famille…
G.M. :
« Peut-être, oui. Mais Robert me prête toujours ce côté chargé d’humanité. Il me prête des silences et à travers ces silences on peut comprendre beaucoup de choses. C’est aussi une respiration dans le film. C’est le personnage qui parle le moins mais qui a un regard très humain au fond sur ce qui se passe dans le monde. Effectivement, il a peut-être fait de ce personnage celui qui est le Sage de l’histoire. »

Anaïs Demoustier, Robinson Stévenin ont rejoint la famille. N’êtes-vous pas un peu jaloux ?
G.M. :
« Non, pas jaloux, bien au contraire ! Mais j’aime bien quand on dit « famille ». On a souvent eu tendance à dire que Robert avait su créer une troupe de cinéma… cependant, une troupe ça se sclérose alors qu’une famille ça s’ouvre. Il y a les anciens qui s’en vont, il y a des nouveaux qui arrivent et on est très heureux au contraire d’accueillir tous ces jeunes-là qui vont donner du sang neuf à notre regard du passé… »

Propos recueillis à l’issue de la projection par Dominique Landron de France Bleu Corse Frequenza Mora/RCFM, le samedi 14 octobre. Arte Mare / Théâtre de Bastia.

A voir :
La bande annonce (Diaphana Distribution)
Entretien avec Robert Guédiguian, Ariane Ascaride et Jean-Pierre Darroussin (Mostra de Venise 2017 – VF – 12mn30).

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