On the Milky Road, son 9e long métrage de fiction, marque le retour d’Emir Kusturica, dix ans après Promets-moi. « Un conte de fée moderne » et une histoire d’amour impossible sur fond de guerre fratricide dans les Balkans.

Dix ans se sont écoulés depuis la présentation à Cannes de Promets-moi, le long métrage de fiction d’Emir Kusturica, et neuf après celle de son documentaire Maradona ! Depuis ces deux dates, différents projets ont été évoqués avant que ne commence enfin, mi-juin 2013, le tournage de “Love and War” qui devient “Le long de la voie lactée”, puis, finalement, On the Milky Road. Le tournage s’éternise et les derniers plans sont réalisés durant l’hiver 2015.
Avec Papa est en voyage d’affaires (1985) et Underground (1995), Emir Kusturica appartient au cercle très fermé des cinéastes qui ont obtenu deux Palmes d’or au Festival de Cannes. La piste cannoise semblait alors la plus probable pour une première mondiale en mai 2016. Le film, encore en post-production, est recalé par le Comité de sélection et c’est la Mostra de Venise qui l’accueille finalement en septembre de la même année ! Le 12 juillet 2017, On the Milky Road sort enfin sur les écrans de cinéma de l’Hexagone ! L’attente était grande (trop peut-être ?) et le film ne convainc pas totalement. Il laisse notamment une impression de « déjà vu », semble trop long à certains moments, mais en même pas assez à d’autres. Ainsi, parfois, surtout dans la première partie, des scènes paraissent manquer et on repense alors à cette hypothèse d’un autre montage, celui d’une version de trois heures, évoquée lors de la production. Cependant, tout n’est pas aussi simple…

Avec son 9e long métrage, le cinéaste nous ramène dans les Balkans, dans une Bosnie-Herzégovine en proie à une guerre fratricide. Sous le feu des balles, Kosta (Emir Kusturica), un laitier également musicien, traverse chaque jour sur le dos de sa mule la ligne de front aau péril de sa vie pour livrer ses précieux vivres. Malgré le conflit, profitant de trêves éphémères, la communauté villageoise se prépare à célébrer un double mariage, celui de Kosta avec la fantasque et dynamique Milena (Sloboda Micalovic), et celui du frère de celle-ci, l’officier Zaga (Predrag Manojlovic), de retour d’Afghanistan, avec la belle et douce Nevesta (Monica Bellucci), une réfugiée italienne. Mais Kosta et Nevesta tombent amoureux l’un de l’autre. Pour autant, leur histoire d’amour semble impossible…

Qui dit mariages, dit fête et Kusturica s’y entend pour la célébrer avec excès à l’écran. Alors on boit beaucoup, on chante et on danse jusqu’à l’épuisement, comme dans les précédentes fictions du cinéaste. Dans un entretien accordé aux « Inrocks » en septembre 1998, Emir Kusturica déclarait : « Ma principale influence n’a jamais été le cinéma, mais la vie elle-même toutes ces célébrations que je voyais sur les collines de Sarajevo, les mariages, les bals, les fêtes, toutes ces choses gaies et lumineuses. Je n’ai jamais tenté de reproduire dans mes films ce que j’aimais dans les films des autres, parce que je suis trop occupé à montrer la vie telle que je la vois moi-même, c’est-à-dire à la fois banale et surprenante, magnifique. » Très récemment, la veille de la sortie du film, devant la caméra de « Par ici les sorties », il soulignait : « Mon problème avec le cinéma d’aujourd’hui est qu’il devient de moins en moins artistique et de plus en plus explicite, direct, or moi j’aime créer des métaphores ». Presque 20 ans séparent ces propos, mais ils tracent les contours de son Cinéma, en même temps qu’ils illustrent sa fidélité à un univers.

Dans On the Milky Road, on retrouve en effet tout ce qui a fait l’originalité et la qualité de sa réalisation auparavant, ce merveilleux bric-à-brac avec, entre autres, des personnages déjantés, ces trouvailles, le fruit d’une imagination toujours aussi fertile, comme cette horloge géante et déréglée d’une gare où ne passe aucun train, ou encore ce bestiaire particulièrement riche dans lequel on croise, pêle-mêle, des oies blanches, un faucon pèlerin amateur de musique, un serpent avide de lait, un ours, une poule qui glapit devant un miroir, des chèvres, des moutons. Le film jongle en permanence entre le drame et la comédie, il est à la fois réaliste et poétique, lyrique, baroque, débordant d’énergie et exubérant.
Elément du dossier de presse, la note d’intention du réalisateur précise enfin : « Pour moi, le cinéma a souvent dialogué avec d’autres arts comme la littérature, la peinture, etc. Cette fois, je n’ai pas hésité à réaliser un film au langage purement cinématographique ». On ne peut qu’être d’accord. Emir Kusturica ne se renouvelle peut-être pas, mais On the Milky Road est un véritable feu d’artifice visuel et sonore avec une bande originale toujours aussi soignée comme à l’accoutumée (confiée ici, non pas à Goran Bregovic mais à Stribor Kusturica, le fils musicien et acteur). Du vrai Cinéma. Malgré quelques réserves déjà évoquées, il serait dommage de passer à côté.
On the Milky Road d’Emir Kusturica (Comédie dramatique. Serbie, Royaume-Uni, Etats-Unis, 2016 – 125 mn), avec Monica Bellucci, Emir Kusturica, Sloboda Micalovic, Predrag « Miki » Manojlović.
Un site très complet sur Emir Kusturica
La bande-originale du film (Wild Bunch Distribution).
Philippe Descottes