Après Casse-tête chinois (2013 ) , retour au pays et ancrage rural dans le vignoble bourguignon pour le cinéaste , autour d’une fratrie réunie par la mort du père . Liens avec la terre ,liens familiaux , liens amoureux et patrimoine à pérenniser . La fiction et les sentiments, , les vendanges et le temps des saisons. La chronique chorale est un « bon cru », et fait mouche…
Le cinéaste découvert par le toujours « culte » Péril jeune (1994 ), est resté un très attentif décrypteur des sentiments dont il a exploré les multiples facettes au travers des personnages de ses films plongés dans des ancrages de lieux et contextes divers . Et le liens qui s’y tissent ( amicaux , amoureux ) , qui s’y font et ( ou ) se défont . De la même manière que les jeux de « Poupées Russes » ou ceux de « Chacun cherche son chat » , dans « l’auberge Espagnole » du cinéaste, les relations humaines y sont au cœur , comme elle l’étaient dans le cinéma de Claude Sautet dont il est l’héritier de cette forme chorale d’une mise en scène qui les enveloppe et les sublime. Ici , c’est autour du trio fraternel réuni par la mort du père ( Eric Caravaca ) , et le retour du fils, Jean ( Pio Marmaï ) qui était parti vivre ailleurs , parce que se sentant rejeté , que le cinéaste construit sa chronique familiale. Autour de laquelle viendront graviter quelques personnages emblématiques qui serviront de catalyseurs « pour réinventer leur fraternité et mûrir en même temps que le vin qu’ils fabriquent » , explique le cinéaste . Et c’est dans cheminement qu’il va les suivre , au fil des quatre saisons d’une année et des changements d’une nature dans laquelle ils s’inscrivent…

La symbolique du passage des saisons , comme celle du temps et de ses aléas, qui s’installe en ouverture du récit par les belles images au cœur desquelles , Jean , va venir s’inscrire pour s’y confronter à son passé , est une très belle idée . Le lien entre les saisons , du temps qui a passé ( les courts flash-backs) et cette absence -exil de dix ans , dont le deuil le ramène au pays natal , pour y renouer avec ses racines et y puiser aussi ce « deuxième souffle » qui pourrait remettre de l’ordre dans sa vie . Si ça commence mal avec cette dispute avec son frère cadet , Jérémie ( François Civil) et sa sœur Juliette (Ana Girardot ) qui lui demandent des explications sur ses longs silences ..sur sa « rupture » avec le père , et surtout sur son absence à l’enterrement de leur mère! . Cédric Klapisch en maintien le suspense et en fait le « fil rouge » du récit qui va finir par dévoiler les secrets et les vérités . C’est par ces non-dits ,au cœur desquels souvent les malentendu familiaux se cristallisent , que le cinéaste traduit magnifiquement cette « pudeur » qui empêche les mots de sortir de la bouche d’un père …ou d’une lettre à laquelle on les a confiés ,mais qu’on n’ose pas expédier!. De la même manière que Jean , va puiser dans le manque de cet éloignement avec sa compagne et son fils restés en Australie, une nouvelle approche de la vision de son couple . Dans la mise en scène de Cédric Klapisch où l’influence du lieu sur la psychologie des personnage est primordiale , ce dernier la renouvelle ici , en y insufflant un nouvel air, celui de la campagne …

Ce qui est passionnant, c’est justement ce que ce changement de décor ( de la ville à la campagne ) dans la filmographie du cinéaste, laisse percevoir de cet « air du temps » ( licenciements , chômage , prostitution, drogue , maladie ( Sida) … méfaits de la société de consommation , expérience Européenne …) qu’il a toujours su intégrer dans ses films urbains. Et ce que cette immersion au cœur du terroir et d’une fratrie , y révèle des changements de mentalités qui sont en train -insensiblement -de s’opérer dans les esprits concernant le rapport à l’environnement , aux modes de production et de consommation. Il y est symboliquement exprimé dans le rapport au terroir et dans le choix du type de viticulture et des méthodes de vinification . Méthode intensive ( avec pesticides ), et ( ou ) respectueuse des sols… et du consommateur. Avec l’aide de son co-scénariste , Santiago Amigorena ( spécialiste en matière de vins , et producteur de Résistance Naturelle de Jonathan Nossiter ) au scénario , Cédric Klapisch a choisi de suivre dans le sillage de la fratrie – en temps réel et sur une année- le travail de la vigne . Un travail quasi documentaire qui en renforce la crédibilité par la justesse des notations ( les vendanges et la fête , le travail des journaliers , les dégustations …) , à l’image de cette scène où la sœur , à l’ancienne , pieds nus dans le tonneau écrase les grappes de raisins …pour en extraire le jus .

Au delà des rivalités ( le beau- père notable, le voisin provocateur …et du spectre du choix de l’héritage à conserver …ou devoir vendre ) , c’est en miroir de l’avenir de la fratrie et du domaine, que Cédric Klapisch expose les nombreuses interrogations que le film soulève -au travers même de son titre « ce qui nous lie » , et son opposé « ce qui nous divise » – et qui en font son intérêt. La question liée aux choix de vie qui implique – aussi – des choix de gestions et de productions . La mort du père liée aux pesticides , est l’élément majeur qui a « orienté » la gestion du domaine vers une production respectueuse. Et lorsque l’avenir de celui-ci , pour des raison d’héritage et de droits de succession , sera remis en question , c’est toute une problématique très actuelle ( sur les droits de succession) que le film soulève . Et elle est au centre du film. Comment en effet sauver un héritage familial dont les droits de succession exorbitants obligent souvent … à devoir s’en déshériter !. L’interrogation sur l’avenir du patrimoine familial ( mais aussi , au delà , National ) que ces droits condamnent, est au cœur de la réflexion ( du film ) , et de la fratrie qui va chercher à le sauver …pour ne pas être contrainte de devoir le vendre aux prédateurs qui vont le dénaturer !. C’est cette prise de conscience et ce constat là , qui fait le prix du film parce qu’il interpelle sur des décisions politiques qui vont bien au delà des querelles familiales et ( ou ) de voisinage , voire même , des choix de production à faire …

C’est ce que, habilement, Cédric Klapisch au cœur de ce nouvel ancrage du territoire rural y inscrit comme prise de conscience . Une problématique qui était déjà au cœur de l’un de ses plus beaux films au titre emblématique Ma part du gâteau / 2011, ou cette mère de famille au chômage , prendra sa revanche sur le « trader » responsable de la faillite de l’entreprise dans laquelle elle travaillait !. Ici, c’est la fratrie qui va retrouver les fondamentaux qui vont lui permettre de faire front et renouer avec ce « lien » nécessaire à sa liberté . Servie par un trio de comédiens ( Pio Marmaï , Ana Girardot et François Civil ) en osmose , exprimant ces cicatrices et blessures, manques et autres fragilités … et qui finiront par s’en libérer ( la séquence où Jérémie s’engueule avec son beau -père ) , ils apportent au film , la belle note attachante et émouvante.
(Etienne Ballérini)
CE QUI NOUS LIE de Céric Klapisch – 2017- Durée : 1h 53 –
Avec : Pio Marmaï , Ana Girardot, François Civil , Jean -Marc Roulot , Maria Valverde , Yamée Couture, Karidja Trouré, Florence Pernel , Eric Caravaca et Jean -Marie Winling .
LIEN : voir ici , la Bande -Annonce du film CE QUI NOUS LIE de Cédric klapisch .
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