Opéra / Rigoletto à Nice : une éclatante mise en scène

Si vous parlez à qui que ce soi de cet opéra de Verdi, il  y a de grandes chance que l’on vous dise : « Ah oui ! La donne e mobile… »

Le Rigoletto de Nice échappe et de loin à ce simplisme. J’y en ai déjà vu 2  : le premier était dans l’asservissement à la nausée aux codes (décors, costumes, manquait pas un bouton de guêtre), le deuxième un asservissement aux « lectures », qu’elle soit politique, psychanalytique, sociologique… bref le grand écart.
Ici, c’est la mise en scène qui est reine, le seul sens donné est la conception théâtrale de l’œuvre.  Et c’est la même personne qui signe mise en scène, scénographie, lumières, costumes. Pas étonnant de la part d’Ezio Toffolutti.
Ce scénographe, costumier, metteur en scène et peintre a étudié la scénographie et la peinture à l’Académie des Beaux Arts de Venise. Après l’obtention du diplôme, il a travaillé comme concepteur et architecte à Urbanistik (domaine interdisciplinaire de la recherche consacrée à la découverte et la description des villes). En 1971, il  a travaillé  à la Volksbühne de Berlin. De 2002 à 2007 il a enseigné la mise en  scène à la Faculté nouvellement créé de design e Arti de l’’Université d’Architecture de Venise. En 2004, il a tenu une master class à la Fondation Gulbenkian à Lisbonne.
Et, comme dans la magnifique « Flûte enchantée » mise en scène par Numa Sadoul* tout commence à signifier dés l’ouverture, dont la musique très sombre nous oriente vers une lecture tragique du drame à venir. Un rideau de scène sur lequel est écrit, comme des graffitis, « Rigoletto ». Un homme entre, massif à l’excès, revêtu d’un vêtement tenant de la blouse, couleur grise. Effrayé par les inscriptions, il essaye, en vain, de les effacer. Et l’allure, l’habit, la peur, la tentative d’effacement nous évoque Peter Lorre dans M. le Maudit. Ce n’est rien qu’une image, une notation, mais elle est pertinente.
La filiation perdure avec le second tableau du premier acte, devant la masure de Rigoletto, qui semble tout  à fait issue d’un film expressionniste : s’augmente l’impression d’un déterminisme, d’une croissance dans le sentiment tragique. Curieusement, le décor du troisième acte, une auberge délabrée, nous mène à l’univers de Dickens. Mais le mélange, la confrontation dans les deux architectures de lignes verticales, brisées… nous suggère le constructivisme russe.
Deux pans de l’opéra,  le premier tableau du premier acte et le deuxième acte, se déroulent dans le salon du duc de Mantoue. Et là, la scénographie s’installe dans un immense espace où  est peinte comme une gigantesque fresque murale, mais renversée, donnant l’illusion d’un gigantesque trompe- l’œil, renversement des valeurs, renversement des attitudes. Et cette fresque n’est pas peinte, mais se constitue d’arabesques, ne sont présents comme couleur que le noir et le blanc. Dans le premier tableau est  introduite sur scène une immense boule, dont l’utilité n’est que ludique : nous sommes dans une fête, la finalité de cette boule est de la faire rouler vers les participants, les dérangeant, voire les faisant tomber. On la retrouve sur scène au deuxième acte, poussée par Rigoletto. Là, elle est noire, à l’instar d’un œil-de-bœuf dans le haut du décor qui, soudainement, s’obscurcit : métaphore d’un « trou noir » dans lequel vont s’engouffrer les composantes du drame à venir ?
Et nous en venons à la charte graphique : les courtisans sont en fracs noir et chemises blanches, le noir étant justement celle des fracs et redingotes des hommes du pouvoir,  s’opposant à la blancheur des chemises marquant la richesse. L’habit « civil » de Rigoletto – quand il ne revêt pas son ample chemise bariolée de bouffon – est gris. Et c’est comme s’il attirait vers cette nuance aussi bien le chromatisme du décor de sa demeure ainsi que celui de l’auberge, mais aussi, dans le troisième acte, la vêture du duc de Mantoue et du spadassin, Sparafucile. Le gris est considéré, avant tout, comme la couleur du malheur, avec une utilisation récurrente dans des expressions tel « un ciel gris », « des nuages gris », pour signifier le désarroi.
A contrario,  le duc, au second acte, est revêtu d’une ample robe de chambre jaune-or : En occident, le jaune est la couleur la plus valorisée  lorsqu’il s’agit du  jaune de l’or ; en Chine, c’est la couleur du pouvoir et de la richesse. Maddalena, la sœur du spadassin,  qui attire dans les rets de ses charmes le Duc de Mantoue, porte une robe rouge, couleur qui  conserve sa symbolique de couleur chaude et excitante, forte et saillante, en représentant le présent, la chaleur et la vie.
Une très forte idée de mise en scène est l’apparition de Monterone, au premier acte : arrivant du fond de la salle, en son centre marchant le long d’un couloir de lumière, on l’entend d’abord, puis on voit son ombre grandir, avant de l’apercevoir physiquement. Cela rappelle ce travail sur les ombres portées dans le cinéma expressionniste, j’ai en tête l’ombre sur le mur de Nosferatu dans le film éponyme. Et, pour rester sur le film de Murnau, lors de la scène dans la chambre de Gilda, qui apparait comme un écran de cinéma, une chambre blanche, Gilda revêtue d’une robe de chambre blanche, et le duc, vêtu de gris et surgissant de l’espace entre le lit et le mur, cette scène appelle celle entre Ellen et Nosferatu.
En maîtrisant scénographie, lumières, costumes, en les faisant œuvrer dans le la même direction, en leur donnant sens, le metteur en scène Ezio Toffolutti  a agi en véritable chef d’orchestre. Il a cherché dans l’art ce que pouvait lui susciter, lui inspirer l’œuvre. De toutes ces nourritures, il en a tiré sa propre composition – au sens musical comme pictural-  qui respecte le chef d’œuvre de Verdi et de Piave et l’éclaire d’un jour nouveau, lui donne sa propre tonalité sans la déformer, sans « tirer à soi la couverture ».  Bravissimo, maestro !

Jacques Barbarin

Rigoletto, de Verdi, Opéra de Nice 4-6 rue St François de Paule, Nice – Locations renseignements :   04 92 17 40 49 http://www.opera-nice.org/fr
10 mai 2017 à  20:00,  12 mai 2017  à  20:00, 14 mai 2017  à  15:00, 16 mai 2017  à  20:00
Pour plus de renseignements,  notamment pour un résumé de l’œuvre,  voir l’article de Gérard Dumontet  dans ciaovivalaculture « Rigoletto de Verdi pour terminer la saison »

*voir http://www.lafauteadiderot.net/Mise-en-scene-et-opera-La-flute

Crédit photo Dominique Jaussein

 

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