Dans les années 90 je voyais, à la MJC Gorbella à Nice, une pièce de théâtre montée par une jeune compagnie, le Théâtre à Rebours : « Un jour les vieux » d’un auteur scandinave dont je ne me souviens plus du nom, mais je sais que c’était un contemporain. Cela a été mon premier article de théâtre. J’ai suivi l’itinéraire de certains d’entre eux : Claude Boué, Bruno Abraham Krémer…. Et Jean Jacques Minazio.
Et, pour parler de lui (puisque après tout c’est l’objet de cet article), je crois que vous en aurez une idée avec cet extrait d’un interview qu’il m’avait accordé en mars 2014:
Le théâtre, une fois la création bouclée, se confronte au public. Mais avant même que cela soit un échange avec le public, c’est une confrontation – tout ce qu’il y a de plus amicale, bien sûr- avec une équipe, avec différents corps de métiers… Bien sûr pour chacun d’entre nous il y a une part qui se fait seul, mais après ce qui est intéressante c’est l’échange. Après, quant aux formes de théâtre, quant au répertoire que je peux aborder, je suis très instinctif : je n’ai pas de règles, de méthode… Je peux tout aussi bien déclencher une idée, une envie, un projet sur un auteur, sur une personne, sur un personnage, sur un lieu, car j’aime beaucoup travailler en fonction des lieux.
A rebours des sentiers balisés, c’est bien le parcours de Minazio. Il a une passion pour la littérature, cela se ressent, se transpire dans nombre de ses créations: Diderot (Jacques le fataliste et son Maître), Boulgakov (Cocktail Boulgakov) Manuel Vasquez Montalban* (Pepe Carvalho) Voltaire (Candide)…
Au demeurant, il a consacré tout un cycle à Pepe Carvalho : Pepe Carvalho, Une petite plaisanterie culturelle, L’assassin c’est l’auteur, Pan con tomates. Mais il n’y a pas que Montalban qui le fascine, aussi le natif de Stratford-Upon-Avon, William S. Il ne va pas s’agir de mettre en scène telle ou telle pièce, mais, comme pour le catalan, de formes spectaculaires nées d’un travail sur des œuvres, des auteurs ou des personnages : Tea Time, Le cabinet de curiosités, Muséeum Teatr et … Sleeping point.
Ici, il va s’agir de l’œuvre de Shakespeare vu par le prisme d’un personnage singulier et imaginaire, vu par le petit bout de la lorgnette, un personnage qui tient à la fois du gardien des décors et de l’accessoiriste, accessoirement d’intervenant, un stage keeper (gardien de scène). Mais qu’est-ce que ce « sleeping point » ? Quand, derrière le rideau de scène, au temps du théâtre élisabéthain, les acteurs s’apercevaient que les spectateurs s’assoupissaient un peu, ils disaient : « sleeping point, sleeping point ! », et ils envoyaient sur scène un accessoire afin de raviver l’intérêt et la curiosité des spectateurs.
Dans le « Sleeping point » de Minazio, un soir de représentation, un accessoiriste de théâtre shakespearien joue à se transformer en un autre nostalgique, une ombre du passé qui ne cesse de revenir. En faisant parler les autres à travers lui, en faisant revivre les fantômes, il revient à la source du théâtre. Dans ses déambulations depuis son placard à accessoires, en coulisse, jusqu’aux lumières du plateau, il emprunte les parcours de tous ces personnages sans bouger de la scène de sa propre vie.
Et ce qui est touchant dans ce spectacle, c’est que « l’accessoire » -au sens substantif comme qualificatif – endosse la qualité de l’essentiel : le crâne, l’épée, la couronne quittent leur statut d’objet pour acquérir celui de sujet, se métonymise, en quelque sorte. Il y une donnée tchékhovienne chez ce personnage sensible, humain, éperdument amoureux du théâtre. Alors, oui, Jean Jacques, comment peut-on être shakespearo-tchékhovien ?
Sleeping point était dans le festival « Shake Nice » au TNN la saison passée, il y avait sa place pleine et en entière. Ne loupez pas sa reprise au Théâtre de la Semeuse.
« Sleeping point » d’après les œuvres de William Shakespeare et des extraits du texte de Philippe Avron « Le fantôme de Shakespeare« . Ecriture et mise en scène Régis Braun et Jean Jacques Minazio, Interprétation Jean Jacques Minazio
Théâtre de la Semeuse 2, montée Auguste Kerl Vieux-Nice (prolongement rue du Château)
04 93 92 85 08 – vendredi 5 & samedi 6 mai, 20h30
Jacques Barbarin
*Manuel Vázquez Montalbán (1939 – 2003) est – entre autre- un romancier espagnol (plus exactement catalan), surtout connu pour ses romans policiers ayant pour héros Pepe Carvhalo, un detective privé catalan et gastronome. Personne inclassable, Montalban se définissait lui-même comme un « journaliste, romancier, poète, essayiste, anthologiste, préfacier, humoriste, critique et gastronome », ou plus simplement comme « un communiste hédoniste et sentimental »