Le rideau s’est baissé dimanche soir sur Cinelatino les 29e Rencontres de Toulouse. Une édition marquée par le focus intitulé « Caliwood, hier, aujourd’hui, demain » qui aura permis de découvrir ce mouvement et sa dynamique subversive né à Cali dans les années 1970 et de voir son évolution jusque dans les années 1990.
Mais Cinelatino ne s’est pas limité à la seule ville de Cali et au cinéma caliño. L’édition 2017 aura aussi été l’occasion d’un coup de projecteur sur le cinéma colombien d’aujourd’hui et dans son ensemble. Bien entendu, comme tous les ans, grâce aux fictions et aux documentaires des sections Compétition et Découvertes les spectateurs auront eu également la possibilité de prendre le pouls de la création cinématographique en Amérique latine.

Du côté de la Compétition Fiction, douze longs métrages étaient en lice avec neuf premiers ou seconds films. Le Chili était représenté en force avec quatre titres. Venaient ensuite le Brésil et la Colombie (2), l’Argentine et, fait rarissime, Saint-Domingue.
La perte de repères des adolescents, leur désarroi, leur abandon par la société, la violence, notamment celle subie par les communautés indigènes, la difficulté à communiquer ou d’aimer, mais aussi la possibilité d’un rapprochement entre deux êtres qui, a priori, n’ont rien en commun, tels sont les principaux thèmes abordés cette année, dans cette section.
Retour sur les neuf premiers ou seconds films de la Compétition longs métrages de fiction
El Cristo ciego de Christopher Murray (Drame – Chili/France – 2016 – 1h22)
Michael est mécanicien dans un village chilien de la pampa désertique de Tamarugal. Depuis une révélation qu’il a eue enfant, il ressent une fois intime : Dieu ne parle pas dans les églises, il est en nous. Michael se sent élu, peut-être un sauveur, mais il doute et certains le méprisent ou le prennent pour un fou. Quand il apprend qu’un ami d’enfance a eu un accident dans un hameau éloigné, il entreprend le voyage pour le guérir.

Second long métrage. Le film a été présenté en compétition officielle à la Mostra de Venise 2016. « Une vie de Jésus » un peu particulière, dans laquelle le réalisateur, par l’intermédiaire de son personnage principal, Michael, s’oppose à toute médiation de l’Église, soutenant que chaque individu doit chercher seul un rapport avec Dieu et avec lui-même. Le film est à la fois un voyage initiatique et le portrait d’un « fanatique » religieux. Remarquable travail sur l’image par le directeur de la photographie Inti Briones qui a travaillé sur une quarantaine de films chiliens.
Jesus de Fernando Guzzoni (Drame – Chili/France/Allemagne/Colombie/Grèce – 2016 – 1h26)
Jesus, 18 ans, habite avec son père, souvent absent, à Santiago du Chili. Avec ses copains il passe son temps entre les compétitions de K-pop (pop coréenne), le visionnage de snuff movies, la recherche du sexe et les soirées alcoolisées. Une nuit, dans un parc, Jesus et ses amis dérapent en tabassant un jeune homosexuel. La victime est dans le coma. La police cherche à retrouver les agresseurs.
Second long métrage de fiction du réalisateur. Le portrait peu reluisant d’une certaine jeunesse. Un côté Larry Clark mais moins « trash ». Un film et une réalisation peu convaincants malgré le soin apporté à l’image et à la lumière (clair-obscur).
Jazmin et Toussaint (La Caja vaca) de Claudia Sainte-Luce (Drame – Mexique/France – 2016 – 1h41 – Sortie en France le 29 mars)
A 60 ans, Toussant doit s’installer à Mexico chez sa fille Jazmin en raison de sa santé fragile. D’origine haïtienne, Toussaint n’a jamais été capable de prendre racine nulle part. Il n’a pas été un père aimant et reste un inconnu pour sa fille. Malgré la maladie et les troubles psychiques, il tente de recomposer le puzzle de son passé, sous le regard sévère ou bienveillant de Jazmin.
Une histoire humaine et attachante. Un portrait évocateur, honnête et sensible d’une fille et son père, blessés et à la dérive. Bien des choses les séparent. Ils ont du mal à s’accepter l’un et l’autre, mais ils ont aussi des raisons de se rapprocher. Le second long-métrage de la réalisatrice mexicaine Claudia Sainte-Luce également interprète du film avec Jimmy Jean-Louis.
Los Nadie de Juan Sebastián Mesa (Drame – Colombie – 2015 – 1h24)
Cinq amis, qui veulent élargir leur horizon et rompre avec le monde des adultes et un quotidien trop étriqué, rêvent de voyager en Amérique du Sud et se préparent à cette expérience initiatique. Quelques jours avant leur départ, ils parcourent cette ville plutôt hostile et chaotique. Les arts de la rue, les graffitis, les tatouages et la musique sont leur trait d’union, leur refuge, leur culture punk.
Los Nadie est le premier long métrage de fiction de Juan Sebastian Mesa. Il a été sélectionné par la Semaine de la Critique au Festival de Venise en 2016. Inspiré du poème du journaliste et écrivain Eduardo Galeano. Le « noir et blanc confère un certain réalisme et pose une ambiance à la fois poétique et quasi documentaire », mais aussi une impression de « déjà vu », notamment en 2016, toujours à Cinelatino, avec Días extraños de Juan Sebastián Quebrada, un autre premier film colombien qui avait obtenu une mention.
Mala Junta de Claudia Huaiquimilla (Drame – Chili – 2016 – 1h29)
Tano, 16 ans, et ses copains pillent une station service. Mais il n’a pas le temps de s’enfuir. Arrêté par la police, il risque d’être interné dans un centre de rééducation. Il est expédié dans le sud du Chili chez son père qu’il n’a pas vu depuis des années. Entre l’ennui de la vie à la campagne et le ressentiment pour son père, une amitié va naître entre l’ado rebelle et Cheo, un garçon timide et maladroit harcelé en raison de ses origines indigènes. Alors que la communauté mapuche doit faire face à de fausses accusations et affronte la violence policière, Tano découvre des facettes de Cheo qui vont forcer son respect.

Premier long métrage de Claudia Huaiquimilla, réalisatrice d’origine mapuche. Malgré son classicisme, interprété par des non-professionnels et des comédiens professionnels, Mala Junta rappelle que le cinéma est aussi une ouverture sur le monde en sensibilisant le spectateur à la situation et aux violences dont sont victimes les Mapuches.
Não devore meu coração ! de Felipe Bragança (Drame – Brésil / France / Pays-Bas – 2017 – 1h48)
Frontière naturelle entre le Brésil et le Paraguay, le Rio Apa est témoin depuis des siècles de vives tensions entre ses riverains. Alors que l’armée brésilienne y perpétra un véritable génocide indigène, aujourd’hui, fermiers et Guaranis s’y disputent encore les terres avoisinantes. Joca, jeune brésilien, y croise la fille alligator, Basano, jeune paraguayenne, reine du Rio Apa. Elle lui vole son cœur, il l’aimera à jamais. Son frère Fernando fait partie d’une bande de motards, menée par le terrible Telecath. Les destins sont scellés, rien ne pourra les changer
Premier long métrage. Un Roméo et Juliette en Amérique latine. Un film dans lequel « se croisent », parfois maladroitement, « le réalisme magique, la violence de l’Histoire » (notamment à l’encontre de la communauté guarani, « et le film de gang ».
Pariente de Iván Gaona (Drame – Colombie – 2016 – 1h55)
Dans un village rural où la vie quotidienne des habitants est marquée par la violence du conflit armé vieux d’un demi siècle. Willington essaie de récupérer l’amour de son ex-fiancée Mariana qui est sur le point de se marier avec René (son cousin). Cette histoire d’amour perdu se mêle à des épisodes violents commis par des paramilitaires qui refusent la démobilisation et continuent de sévir dans les campagnes colombiennes.
Un premier long métrage sur dans la période de négociation des accords de paix et la transition, qui pose le difficile problème du retour à la normalité dans un pays si longtemps ravagé par la guerre. L’histoire d’un triangle amoureux, perturbée par l’histoire de la Colombie, aux accents de western (« southtern »). Plutôt classique.
Rey de Niles Atallah (Expérimental, Drame – Chili/France/Allemagne/Pays-Bas – 2017 – 1h31)Vers le milieu du XIXe Siècle, l’avocat Orélie-Antoine de Tournens, originaire de Dordogne, part pour l’Amérique du Sud et avec l’intention de réunifier les tribus Mapuche, fonder le royaume d’Araucania et devenir le roi.

Rien à voir avec un biopic sur un aventurier utopiste. Le peu d’archives, en dehors des minutes de son procès, conduit le cinéaste à réaliser un collage psychédélique fait de masques de papier mâché, d’images d’archives, de pellicule grattée et de supports filmiques en décomposition. Un voyage sensoriel singulier et un film expérimental surprenant.
Santa y Andrés de Carlos Lechuga (Drame – Cuba/Colombie/France – 2016 – 1h45)
Cuba, 1983. Près d’un petit village de l’est de l’île, Andrés vit reclus comme un paria, maintenu à l’écart par le gouvernement pour ses « problèmes idéologiques » : il est écrivain et homosexuel. Un forum politique international a lieu dans la zone et Santa, paysanne révolutionnaire, a pour mission de le surveiller étroitement pendant trois jours afin d’éviter qu’il ne commette un acte dissident.
Deuxième long-métrage. Une rencontre forcée entre deux êtres blessés, lesquels, malgré leurs différences ont aussi bien des points communs. Une réflexion sur les thèmes de la tolérance et de la morale imposée, de la liberté de création et de l’embrigadement. Une mise en scène classique mais une interprétation de qualité (Lola Amores et Eduardo Martinez).
A Voir :
Le site officiel de Cinelatino
La bande annonce de quelques films primés :
Los Nadie de Juan Sebastian Mesa
Rey de Niles Atallah
Santa y Andres de Carlos Lechuga
A lire :
Le N° 25 de la revue annuelle Cinémas d’Amérique Latine : « Cinéma colombien – Caliwood ».
(à suivre)
Philippe Descottes