Cinéma / PAULA de Christian Schwochow .

Après avoir signé le remarquable De l’autre côté du mur ( 2014), le cinéaste Allemand se penche sur la destinée de sa compatriote la peintre avant-gardiste, Paula Modersohn – Becker, tentant d’imposer son art contre le conformisme ambiant et gagner sa liberté et son indépendance. La Peintre a fait l’objet en 2016 d’une exposition au Musée d’Art Moderne de Paris, qui a permis de redécouvrir son œuvre, restée longtemps méconnue y compris dans son pays …

l'Affiche du Film.
l’Affiche du Film.

La scène d’ouverture de Paula ( cliquer pour voir la bande-annonce), nous immerge aussitôt dans la colonie d’artistes indépendants de Worpswede près de Brême , qu’elle fréquenta dès son plus jeune âge a la fin des Années 1800 ,  qui prônaient un retour à la nature et aux valeurs simples. On l’y voit contester leur manque d’audace et s’insurger envers les réflexions qui sont faites contre sa peinture refusant l’académisme , tentant d’imposer son propre regard . Malgré les sarcasmes, Paula ( Carla Juri, remarquable ) fait face et se rebelle contre le fondateur de Worpsewede , appuyée par Otto Modershon (Albrecht Abraham Schusch ) qu’elle y rencontre , peintre veuf et père d’une petite fille , qu’elle épousera. Mais le temps passant , les désillusions qui s’ensuivent confrontée au conformisme et au machisme ambiant qui ne cesse de la pointer , et envers un mari qui lui refuse une vie sexuelle  ( elle souhaitait avoir un enfant) de femme épanouie  . Cette dernière malgré son soutien décidera finalement de le quitter et rejoindre le couple formé par le peintre Rainer Maria Rilke ( Joel Baseman) et Carla Westhoff ( Rosane Duran ) qui juste après le mariage sont partis vivre auprès de l’intelligentsia artistique Parisienne. C’est là qu’elle découvrira , malgré les difficultés liées à sa situation, tout un contexte qui va lui permettre de s’épanouir en se consacrant à ce qui est pour elle, vital : pouvoir s’exprimer par son art . L’avant-garde artistique ( elle y croisera: Gauguin,  Cézanne ou Rodin pour lequel son amie Clara travaillera …) de laquelle elle pourra s’approcher, lui ouvrant un monde qui lui est proche, lui en offrant la possibilité…

Paula ( Carla Juri ) Photo: Martin Valentin Menke.
Paula ( Carla Juri ) Photo: Martin Valentin Menke.

La soutien de son amie Carla dans un double apprentissage de la vie et de l’Art qu’elles partagent, – insuffle au récit au delà de leur complicité une belle énergie empreinte de cette liberté conquérante qui  les singularisent, explorant la liberté de leurs corps, au cœur d’une époque où il n’est pas courant de le faire . Leurs sorties et leurs trajectoires qui se rejoignent donnent cette force au portrait des deux femmes revendiquant leur indépendance . Clara finalement délaissée par Rainer Maria Rilke, se laissera tenter par les aventures, et son art la rapprochera de Rodin . Tandis que Paula s’aventure aussi au libertinage avec la rencontre du jeune Français, Georges ( Stanley Weber ) qui deviendra son amant et l’ouvrira aux plaisirs des sens . Et cette nouvelle liberté conquise, lui permettra de se consacrer avec encore plus de conviction à son art . Comme s’il y avait urgence . Désormais elle fera ses choix , et ne manquera pas de dire leurs quatre vérités à ceux qui voudraient la brider . C’est l’investissement dans une quête personnelle par le miroir révélateur de la peinture qui la porte . Sa manière de peindre ( étalant fiévreusement la peinture avec ses doigts ou frappant la toile d’un geste brusque avec son pinceau , la fendant même ou la coupant ) est révélatrice, d’un insatiable besoin de traquer la vérité de ses sujets dont la diversité de son travail témoigne. Plus d’un millier de dessins, Sept cent toiles et de nombreuses estampes. Une diversité de sujets … et des influences ( cubisme , impressionnisme, art japonais ou renaissance Allemande ) qui lui servent de moteur pour inventer et composer ses propres formes…

Paula (Carla Juri ) et Georges ( Stanley Weber ) - Photo: Martin Valentin Menke.
Paula (Carla Juri ) et Georges ( Stanley Weber ) – Photo: Martin Valentin Menke.

Christian Schwochow montre bien à la fois cette nécessité et cette urgence créatrice nécessaire à Paula, ce besoin qu’elle avait , dit-il : «  de vivre pleinement , y compris une vie sexuelle . Son besoin de découvrir et d’embrasser le monde. Elle voulait exprimer ses sentiments à travers ses œuvres . Les vieux peintres de Worpswade proclamaient qu’une femme ne peut pas créer d’art , seulement des enfants. s’en fichait , et à 17 ans elle peignait déjà bien plus brillamment qu’eux tous . A ce niveau elle peut servir aujourd’hui de modèle à toutes les femmes (…) elle nourrissait le désir d’un vie brève heureuse et intense : elle répétait que la vie devait être une célébration ». Et c’est cette intensité et cette urgence qui font les plus belles scènes du film . Sa rébellion peut se montrer parfois tranchante et égoïste se sentant réfreinée dans sa créativité par ce moralisme ambiant d’une société dont un certain art conformiste perpétue les valeurs  ( sexisme , nationalisme ), que l’on retrouve parfois dans les comportements de ceux qui s’en sont pourtant détachés …

Paula ( Carla Juri ) montrant son portrait à Rainer Maria Rilke ( Joele Basman ( de dos) -Photo: Martin Valentin Menke
Paula ( Carla Juri ) montrant son portrait à Rainer Maria Rilke ( Joel Basman- de dos) -Photo: Martin Valentin Menke.

A cet égard , sont significatives les séquences où règne cette ambivalente dualité et complexité, chez les hommes ou artistes qu’elle a croisés . A l’image de son séduisant amant Georges assez macho et  qui au -delà des plaisirs , ne semble pas se soucier beaucoup des problèmes de Paula , ni de son Art . Mais il y a surtout ceux , plus passionnants et complexes de Rainer Maria Rilke et de son mari . Rilke d’abord qui reflète cette complexité ( la belle scène où Paula lui montre son portrait… ) et à qui elle en veut d’avoir abandonné et de ne plus se soucier de son amie Clara et de l’enfant qu’elle a eu de lui ! . Mais ce dernier qui se révélera  un soutien sans failles pour cette dernière en la soutenant contre ses détracteurs et en défendant son art. Enfin Otto son mari , et la complexité de leurs rapports qui se font le miroir de leurs aspirations contradictoires , en même temps qu’ils reflètent un amour profond de l’un envers l’autre. La raison essentielle de la rupture du couple tient au désir non assouvi de Paula par son mari hanté par la crainte qu’il conduise à un accouchement qui tournerait mal… D’ailleurs il la soutiendra financièrement lors se ses séjours à l’étranger et aussi contre la fronde de ses proches de la Worpswede … qui lui conseillent, ni plus ni moins que de la faire interner !. Et Paula qui reviendra vers lui , pour y conclure ( final magnifique…), une destinée tragique dont il avait eu la prémonition …

Une courte destinée ( 1876 – 1907) pourtant riche de magnifiques œuvres dont le film suscite l’envie de la découverte, via un portrait passionnant de l’artiste dont le cinéaste a surtout voulu privilégier l’intensité dramatique d’une courte vie d’artiste rebelle , dont la modernité précoce et revendiquée  de son art , aura contribué à changer les regards et les mentalités liés au passé .

(Etienne Ballérini)

PAULA de Christian Schwochow -2017- Durée : 2h 05 –
Avec : Carla Juri , Albrecht Abraham Schuch , Roxane Duran, Joel Basman , Stanley Weber, Niki Von Tempelhoff…

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