Cinéma / DIAMANT NOIR d’Arthur Harari

Premier long métrage  du jeune cinéaste qui s’est distingué dans le court.  Il fait ici une incursion dans le polar dont il dynamise la forme par la description d’un milieu fermé et rarement exploré, celui des diamantaires d’Anvers,  où va se jouer la tragédie de la vengeance . Un beau travail d’atmosphère où le réalisme , le mélodrame, la légende , l’honneur et la filiation cohabitent …

l'Affiche du Film.
l’Affiche du Film.

Le film s’ouvre sur le gros plan d’un œil fermé qui s’agite et s’ouvre pour se brouiller par une larme , et le «  flou » qui s’installe est celui qui va s’inscrire dans un récit où la vérité va devoir trouver sa place , entre ce qui a est de l’ordre du souvenir et de la transmission qui peuvent venir brouiller une réalité dont il va falloir résoudre l’énigme . La séquence suivante qui montre deux hommes dans une pièce, près d’une machine de travail de diamants , dont l’un va avoir la main coupée sous les yeux de son frère qui n’intervient pas pour lui porter secours. Cut . Des années plus tard Pier Ulmann ( Niels Schneider) fils du mutilé , vit dans la capitale française où il est devenu malfrat et vit de boulots provisoires et de larcins en compagnie de son père de substitution , Rachid ( Abdel Hafed Benotman ) , et va être rattrapé par le passé . En effet son vrai père qu’il n’a pas revu depuis longtemps , et qui , après l’accident a été banni de la riche famille de Diamantaires, après une longue déchéance est devenu clochard . On annonce à Pier qu’il a été retrouvé mort dans la rue . Marqué par la souffrance du bannissement qu’il porte en héritage et du sentiment de vengeance transmis par la père , Pier après le coup de « blues » qui remet en mémoire les blessures, va accepter l’invitation de son cousin Gabi (August Diehl ) qui le contacte pour lui proposer de venir travailler sur la rénovation des bureaux de l’agence toujours prospère de la famille de Diamantaires. Occasion rêvée offerte, et inattendue , de pouvoir réaliser sa vengeance …

Pier ( Niels Schneider ) face à Rachid ( Abdel Hafed Benotram )
Pier   de  dos ( Niels Schneider ) face à Rachid          ( Abdel Hafed Benotram )

Tout est mis en place, dès les premières séquences , pour plonger le spectateur dans la thématique du polar et du suspense ( comment celle-ci va-t-elle se décliner ? ) et lui permettre d’en pénétrer les méandres , dont le cinéaste , amateur du genre va l’inviter à suivre le parcours de son héros qu’il va saupoudrer de notations et variations qui vont l’enrichir tout au long. Dès lors,  le parcours de celui-ci porté par la haine , et qui, pour venger son père , va devoir pénétrer un milieu qu’il ne connaît pas ,  va se retrouver confronté au delà des « codes » du polar , à ceux de la mythologie et de l’histoire ( de la ville ), ainsi qu’à la réalité quotidienne d’un univers , celui des tailleurs de diamants , dont il va devoir apprendre à connaître et à maîtriser les codes. C’est cet aspect qui , au delà des codes du genre cinématographique dans lequel il s’inscrit , donne au film sa belle énergie qui offre à la destinée de Pier , la dimension qui se fait le reflet la légende de la fondation de la ville d’Anvers dont l’histoire de la main coupée est le mythe fondateur , et dont la découverte par le réalisateur et ses collaborateurs au moment du tournage, n’a fait que conforter l’idée du drame Universel dans lequel ils avaient voulu inscrire leur récit .  « nous cherchions quelle pouvait être la souffrance originelle du père transmise à son fils (…) ce n’est que sur place que nous avons découvert la légende de la fondation d’Anvers . Jadis , sur les bords de l’Escaut , le géant Druoon Antigoon exigeait un droit de passage et tranchait la main des mauvais payeurs. Le soldat Romain Sylvius Brado, tua le géant trancha sa main et la jeta dans le fleuve . Cette main devint l’ïle sur laquelle fut construit le premier château d’Antverpen (Anvers) , nom qui signifiait «  jeter la main » . le mythe fondateur d’Anvers est donc une histoire d’injustice réparée … » , explique le cinéaste dans le dossier de Presse .

A gauche , Gabi ( August Diehl ) et Jospeh ( Hans Peter Cloos )
A gauche , Gabi ( August Diehl ) et Jospeh ( Hans Peter Cloos )

L’idée de l’œil , et de la larme qui en coule, qui ouvre le film , fait référence à cette caméra-oeil dont le cinéaste avant-gardiste Soviétique  Dziga Vertov  dans les années 1920 prônait la nécessité d’un cinéma destiné à «  montrer la vie en elle- même » . Arthur Harari cinéphile,  y a sans doute pensé en ouvrant son récit qui dans la continuité des références citées ( la tragédie , la légende et la littérature ) y inscrit celle du cinéma dont son film regorge de clins- d’œils  ( polar, gore, mélodrame, classicisme et spectacle ) dont il s’approprie les formes et les atmosphères pour nous en offrir une vision personnelle dont le magnifique travail sur la stylisation , les contrastes et les couleurs sont très réussis . « A mes yeux il n’y a aucune opposition entre une certaine inspiration réaliste et la stylisation la plus osée », dit-il . C’est la belle idée de mise en scène qui offre à son film à la fois l’intensité dramatique voulue ,et cette originalité narrative qui font mouche. La manière dont il « irrigue » son récit de ces références a quelque chose de léger et à la fois lyrique qui lui permet de faire le grand écart , et imposer à la puissance de la tragédie tout en jouant sur les artifices narratifs .

Peir ( Nils Schneider ) au coeur de la salle des Diamants
Pier ( Nils Schneider ) au coeur de la salle des Diamants

Dès lors le cadre porteur dans lequel l’histoire du héros , Pier , se déroule rempli de cette présence en toile de fond, ne fait qu’amplifier le « marquage » de son parcours par les multiples références à la tragédie Grecque ou Shakespearienne , mais aussi à tout un « habillage » de connotations qui s’y ajoute , qui font de son parcours , un vrai parcours à obstacles qui va devoir régler des comptes avec son clan ( familial , communautaire ) mais aussi avec lui- même , lorsqu’il doit braver les « lois » de la communauté pour s’y intégrer afin d ‘assouvir sa vengeance , puis , s’y découvrant  une passion ( le travail du diamant ) qui finit par remettre en questions ses objectifs . Surtout lorsque ses certitudes basculent confrontées aux évidences  de  ses accusations ( fausses ? ) envers son oncle. Ou encore , lorsqu’il supplante la « confiance » de son cousin en s’immisçant dans ses affaires ( la séquence de la vente ) et dans sa vie privée ( en tentant de gagner le cœur de sa compagne ) , se mettant en porte – à -faux,  et défiant les codes de l’honneur. Dès lors son parcours prend la double dimension d’une immersion, dont la désir de vengeance finit par devenir une quête de soi et d’une nécessaire libération régénératrice . A l’image de cette lumière qui traverse les diamants,  et en révèle la complexité des facettes, et la nature de leur beauté . Celle de Pier a besoin de se frayer son chemin , pour survivre…

A cet égard ,  la citation ci-dessus faisant référence à la stylisation et à la représentation réaliste, trouve son accomplissement dans l’habileté avec laquelle  il fait cohabiter les deux choix de narration,  en offrant à la dimension  de la tragédie cet ancrage réaliste et pointilleux du  milieu ferme dans lequel elle se joue. Celui-ci,  décrit avec force détails à la fois dans le travail artisanal en atelier de taille du diamant , mais aussi ,  le fonctionnement  de cette aristocratie Diamantaire . On retrouve d’ailleurs cette même volonté réaliste et de détails , dans la manière dont est filmée la séquence du « casse ». Réalisme , romanesque et spectacle s’y côtoient , et tout à coup la distribution des cartes prend toute son ampleur métaphorique , et offre au dilemme auquel Pier est confronté sa vraie dimension humaine et obsédante , servie par une belle interprétation toute en intensité intériorisée de Niels Schneider .
Un premier long métrage plein de belles choses et de promesses futures , qui vaut le détour …
( Etienne Ballérini )

DIAMANT NOIR d’Arthur Harari – 2016-
Avec : Niels Schneider, August Diehl , Hans Peter Cloos, Abdel Hafed Benotman , Raphaele Godin ….

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