L’édition 2016 de la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes s’est achevée le vendredi 20 mai avec la diffusion du Palmarès. Retour sur une Quinzaine qui aura été, une nouvelle fois, d’un excellent niveau.
Dans l’un des éditoriaux du catalogue officiel, le réalisateur Bertrand Tavernier, président de la commission cinéma de la SACD, l’un des partenaires de la manifestation, déclarait : « Depuis ces dernières années, la sélection de la Quinzaine a su constamment nous surprendre, bouleverser toutes les prévisions en présentant des œuvres d’une éclatante diversité. Il y avait là tout un bouillonnement, une vie, une excitation, un refus des s’assagir qui rendent la Quinzaine incontournable, irremplaçable. »
l’Affiche de la Quinzaine des Réalisateurs 2016.
Des propos qui font écho à ceux d’Édouard Waintrop : «Formellement la Quinzaine des Réalisateurs est la plus libre des sections Cannoises. C’est-à-dire qu’en dehors de présenter au minimum des premières internationales sinon mondiales, ce qui est la moindre des choses pour une section importante à l’intérieur du plus grand festival du monde, elle n’est tenue par aucune obligation. Ses préoccupations sont de faire connaître de nouveaux talents, surprendre avec des aspects nouveaux et inconnus de talents reconnus, varier les plaisirs, en un mot, montrer ce qu’il y a de plus excitant dans le cinéma mondial et ce qui affleure de plus intéressant dans ses nouveaux courants ». Délégué général de la Quinzaine depuis 2011, son travail et celui de son équipe ne sont pas étrangers au renouveau de la manifestation. Comme nous le soulignions dans le précédent article, 2015 avait mis en évidence plusieurs films, comme Mustang de Deniz Gamze Ergüven (Label Europa) ou Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin (Prix SACD). Cette nouvelle édition de la Quinzaine des Réalisateurs aura été, cette année encore, d’un excellent niveau. Elle aura été fidèle à son double objectif de saluer les œuvres de cinéastes reconnus et de découvrir celles de jeunes auteurs. Sur ce dernier point, on soulignera notamment que sur les quatre premiers longs métrages sélectionnés, trois d’entre-eux ont été primés, dont Divines de Houda Benyamina, récompensé par la Caméra d’Or du premier film.
L’équipe de Divines de Houda Benyamina – Photo Philippe Prost.
Retour sur quelques films de la Quinzaine
L’une des particularités de cette année était la forte présence italienne, avec trois films symbolisant trois générations de cinéastes, Marco Bellocchio 76 ans, Paolo Virzi 52 et Claudio Giovannesi 37. C’est à Marcho Bellocchio qu’est revenu l’honneur d’ouvrir la Quinzaine 2016, avec Fais de beaux rêves (Fai bei sogni), qui réunit Valerio Mastandrea, Barbara Ronchi, Nicolò Cabras, Bérénice Bejo, Dario Dal Pero et Guido Caprino.
Turin en 1969. Massimo, un jeune garçon de neuf ans, par sa mère dans des circonstances mystérieuses. Quelques jours après, son père le conduit auprès d’un prêtre qui lui explique qu’elle est désormais au Paradis. Massimo refuse d’accepter cette disparition brutale. Année 1990. Massimo est devenu un journaliste accompli, mais son passé le hante. Alors qu’il doit vendre l’appartement de ses parents, les blessures de son enfance tournent à l’obsession…
Fais de beaux rêves de Marco Bellocchio – Crédit photo :Simone Martinetto.
Le roman très autobiographique de Massimo Gramellini (« Fais de beaux rêves, mon enfant ») qui est à l’origine du film, ne pouvait que toucher le réalisateur : « Cette histoire m’a beaucoup frappé, ému car elle évoque de nombreux thèmes déjà abordés dans mes précédents films… ».
Un film émouvant dans lequel le cinéaste revisite ses principaux thèmes parmi lesquels, la famille décomposée, la figure maternelle ou l’anticléricalisme. Grâce à sa mise en scène maîtrisée, il navigue sans encombre, du passé au présent, entre le drame individuel et la tragédie collective. Son (léger) défaut : une certaine longueur dans la deuxième partie.
Au générique de Fais de beaux rêves, Bérénice Bejo figurait également à celui de L’économie du couple dont elle partage la vedette avec Cédric Kahn. Bien éloigné de son précédent long métrage, Les chevaliers blancs, Joachim Lafosse signe ici un film intimiste sur un couple, Marie et Boris, en pleine séparation, après 15 ans de vie commune. Elle a acheté la maison dans laquelle ils vivent avec leurs deux enfants, mas c’est lui qui l’a entièrement rénovée. Comme Boris n’a pas les moyens de se reloger, ils sont obligés de cohabiter.
L’Économie du couple de Joachim Lafosse – Crédit photo: Les films du Worso-Fabrizio Maltesse.
« Dans un couple, commente le cinéaste, l’argent représente ce sur quoi on peut se disputer : il n’en est pas la cause. Ce n’est pas à cause de lui que Boris et Marie n’arrivent plus à s’aimer. Derrière le sujet de discorde qu’il représente, il y a la manière dont l’un est reconnu ou ne l’est pas, celle dont il a envie que l’on reconnaisse ce qu’il a fait ou ce qu’il n’a pas fait. Il n’y a pas d’effort uniquement économique ou financier. »
Le réalisateur se livre a une observation minutieuse d’un couple qui se dirige lentement vers le divorce. Il se glisse avec délicatesse dans leur intimité, le filme très souvent en plans serrés, dans ce qui est encore leur maison et dans la cour attenante. Sans prendre partie pour l’un ou l’autre, il capte avec justesse les différents niveaux de tensions et étapes de cette rupture. Ce quasi-huis clos doit beaucoup à la qualité de l’interprétation du duo Bérénice Bejo/ Cédric Kahn.
Second film italien, Folles de joie (La Pazza Gioia) de Paolo Virzi, avec un autre duo au générique, celui constitué par Valeria Bruni Tedeschi /Micaela Ramazzotti.
Beatrice, une mythomane qui se prend pour une comtesse milliardaire, et Donatella, une jeune femme tatouée, introvertie et même déprimée, souffrent de troubles mentaux. Elles se rencontrent dans l’établissement psychiatrique où elles sont soignées et décident de prendre ensemble le chemin de la liberté.
Folles de Joie de Paolo Virzi – Crédit photo: Paolo Cirelli.
« La folie est un sujet qui fait peur mais grâce à de bons acteurs, auxquels j’ai associé des personnes souffrant réellement de problèmes mentaux, j’ai compris qu’il fallait plutôt avoir peur de ceux qui ont peur de la folie » commente le réalisateur.
L’ « équipée sauvage » de Beatrice et Donatella évoque immanquablement Thelma et Louise de Ridley Scott. Une référence assumée pour ce conte de deux folies ordinaires, une amitié entre deux femmes que tout oppose, mais guidées par la recherche de l’amour, celui de son ancien amant pour l’une et de son fils pour l’autre. Une comédie douce-amère qui repose là aussi sur la prestation du duo formé par les deux actrices, bien que Valeria Bruni Tedeschi donne parfois l’impression d’en faire un peu trop. Folles de joie sort le 8 juin.
C’est encore une rencontre improbable qui est au cœur du second long métrage de fiction de Rachid Djaïdani dont le premier, Rengaine, avait été découvert à la Quinzaine en 2012. Avec Tour de France, il réunit le rappeur Sadek et Gérard Depardieu.
Far’Hook est un jeune rappeur de 20 ans. A la suite d’une embrouille avec un rival, un excité de la gâchette, il est obligé de quitter Paris pour quelques temps. Son producteur, Bilal, lui propose alors de prendre sa place, et d’accompagner son père Serge, ancien ouvrier et peintre du dimanche, dans un tour de France, sur les traces de Joseph Vernet, un peintre du XVIIIe siècle…
Tour de France de Rachid Djaïdani – Crédit photo : Quinzaine des Réalisateurs .
Malgré le choc des générations et des cultures qui sépare Far’Hook, le rappeur, et Serge, le prolo aigri et raciste, le tandem Sadek/Depardieu fonctionne plutôt bien. Difficile de ne pas rester insensible à ce « road trip » qui va permettre à deux personnages, à l’opposé l’un de l’autre, de se connaître, mais la mise en scène est maladroite par moments et trop inégale pour que l’on puisse véritablement apprécier cette deuxième fiction.
Troisième film italien, Fiore de Claudio Giovannesi, avec Daphne Scoccia et Josciua Algeri. Daphné est emprisonnée pour vol dans un centre pour mineurs. Bien que voisins, les quartiers des filles et des garçons sont séparés. Daphné tombe amoureuse d’un jeune détenu, Josh, originaire de Milan. Mais en prison, ils ne peuvent se rencontrer. A la privation de la liberté s’ajoute l’interdiction des sentiments. L’amour leur est interdit.
– l’affiche du Film Fiore de Claudio Giovannesi .
Outre la qualité de la prestation des deux jeunes interprètes, même si l’un et l’autre ne sont pas professionnels, l’intérêt du film réside en grande partie dans la façon dont Claudio Giovannesi a abordé et traité son sujet. L’univers carcéral pouvait être l’occasion d’en « rajouter ». Mais ici pas de matons pervers ou de codétenues sadiques, de règlements de comptes ou de trafics de drogue. Grâce à son expérience du documentaire, le réalisateur trouve d’emblée le ton juste, la bonne distance pour raconter avec pudeur cette histoire d’amour ente deux ados qui se développe malgré les obstacles.
L’enfance (ou l’adolescence) aura été l’un des thèmes récurrents de cette édition et de Ma Vie de Courgette, film d’animation de Claude Barras avec les voix de Gaspard Schlatter, Sixtine Murat et Paulin Jaccoud.
Courgette n’a rien d’un légume, c’est un vaillant petit garçon. Il croit qu’il est seul au monde quand il perd sa mère. Placé dans un foyer pour enfants, il commence une autre vie et va faire des rencontres. Comme lui, Simon, Ahmed, Jujube, Alice et Béatrice ont tous leurs histoires et elles sont aussi dures qu’ils sont tendres.
Ma Vie de Courgette de Claude Barras – Crédit photo : Quinzaine des Réalisateurs .
De l’humour et de la mélancolie, mais aussi beaucoup d’émotion et de tendresse pour ce premier long métrage du cinéaste, réalisé image par image, en animation en volume (ou « stop motion »). Malgré son sujet grave, l’enfance maltraitée, le film est ouvert au plus large public. Sortie dans les salles le 19 octobre 2016.
Le Palmarès de la Quinzaine :
Label Europa Cinemas:
Mercenaire de Sacha Wolff
Prix SACD
L’effet aquatique de Solveig Anspach
Mention spéciale
Divines de Houda Benyamina
CICAE Art Cinema Award
Wolf and Sheep de Shahrbanoo Sadat
Prix Illy du court métrage
Chasse Royale de Lise Akoka et Romane Gueret
Pour revenir sur la Quinzaine des Réalisateurs 2016, sa sélection et ses temps forts, rendez-vous sur le site officiel.
Philippe Descottes