Cinéma / VISITE ou MEMOIRES ET CONFESSIONS de Manoël De Oliveira.

Le cinéaste Portugais a réalisé en 1982 ce film -testament, qui selon sa propre volonté ne devait être montré qu’après sa mort. Confidences sur sa vie , sa famille, son désir de cinéma , le rapport avec la culture et la politique de son pays.On le découvre donc aujourd’hui, avec émotion …

l'Affiche du Film.
l’Affiche du Film.

Les premières images nous invitent à rentrer dans une demeure , accompagnés par les voix -off d’un homme et d’une femme , le portail franchi on y découvre un beau jardin et ses arbres , puis on entre dans la demeure du cinéaste où après nous avoir fait visiter , entre ombres et lumières choisies , les différentes pièces meublées de la maison , et leur décoration dont les nombreux portraits de familles et tableaux ,  bibelots ou autres pièces -souvenirs, sont installées avec amour et entretenues avec soin . On découvre ensuite le   » lieu » de travail du cinéaste  rempli de livres et autres documents ,et sa table de travail près de la fenêtre. Assis à son bureau il commence commence à s’adresser au spectateur , puis se lève et montre des  extrais d’images inédites illustrant son parcours familial , les images de quelques lieux de son enfance ou de son adolescence. La construction de cette maison qui représente toute sa vie et dont il est contraint de se séparer pour cause d’endettement dont il n’a pas réussi à trouver les moyens financiers pour la garder . Un crève- coeur . On est en 1982 et Manoël De Oliveira ( qui est décédé en Avril 2015 à l’âge de 106 ans) , avait alors 73 ans . Avait-il le sentiment, alors , que la mort dont il dit «  qu’elle ne lui fait pas peur » pouvait alors être proche ? . Sans doute pas , resplendissant encore de santé et l’esprit vif et clair , il avait sans doute envie de se confier et faire le point – pour la postérité- sur une période de sa vie ( et de créativité ) qui prend fin avec cette maison qu’il va devoir quitter … et poursuivre , ensuite une carrière dont il ne pensait sans doute pas , alors , qu’elle lui permettrait de réaliser quelques-uns de ses films dont les projets alors n’avaient pas abouti , comme cette Affaire Angelica qui pourra, en 2011 , voir le Jour…

une vue de l'extérieur de la maison
une vue de l’extérieur de la maison

Les amateurs de l’oeuvre du cinéaste qui aura marqué l’histoire du cinéma de son pays ne voudront pas manquer ce « testament » qu’il a décidé de leur offrir , où il se raconte face caméra. Lui, le pudique se laissant aller aux confidences intimes sur l’histoire de sa famille , confidences illustrées par des documents filmés par lui -même avec les caméras super 8 de l’époque , où appariassent les membres de sa famille et ceux de sa femme Maria Isabel à qui le film est dédié ,( que l’on voit entretenir se rosiers ) et qui raconte brièvement comment elle a aidé son mari à pouvoir entretenir sa passion du cinéma dans les moments difficiles . Les détails sur cette vie familiale abondent en anecdotes      ( le parcours d’entrepreneur de son père , dont Manoël a tenté de garder l’entreprise jusqu’au bout…) et sur la généalogie ( enfants et petits-enfants ) et les différents personnages ( fondateurs ) qui l’ont marquée .Il y parle des rapports avec son père et son frère, des deuils qui ont marqué son parcours . L’artiste y dévoilant sa vie quotidienne familiale avec l’orgueil qui peut s’y attacher , en même temps que cette nostalgie sur le passé et cet amour envers les êtres chers , les joies , les peines et les difficultés traversées… un très belle dimension s’installe alors au travers de ces « confessions » entre le cinéaste et le spectateur , qui oblige le cinéaste , pas habitué à cet exercice, à « réinventer » une forme d’écriture , où les souvenirs et le réel se télescopent…

Manoël De Oliveira à son burau
Manoël De Oliveira à son burau

Jouant sur cet aspect , des moments où le réel et l’imaginaire ou l’illusoire  s’immiscent, le réalisateur pour lequel le cinéma était l’expression même du « Regard et de l’esprit » , nous invite avec une certaine malice, post-mortem avec ces «  mémoires et confessions » , à une relecture de son œuvre  et des thèmes qui les traversent ,via la « représentation » sur la pellicule par l’objectif de l’appareil , révélateur de l’âme des individus . Dès lors , ici , c’est le cinéaste face caméra qui s’y révèle. C’est passionnant , tant dans le cadre de la vie privée qui prend la dimension de la vie publique et politique. La vie publique et celle de sa passion , le cinéma dont il évoque les rencontres et les moments d’échanges avec les cinéastes ou artistes d’autres pays , et ses admirations comme celle du cinéma de son compatriote Pedro Costa . Il raconte évidemment les difficultés pour imposer son cinéma et monter ses projets. D’ailleurs à l’époque de ce tournage , Manoël De Oliveira est à un moment charnière de son parcours, comme le souligne dans le Dossier de Presse Jacques Parsi qui fut le « conseiller littéraire » sur tous les films du cinéaste depuis Amour de Perdition           ( 1978), qui explique : «  en faisant de son film une oeuvre posthume , Oliveira poursuit sa réflexion sur le cinéma . Après Amour de Perdition et Francisca et juste avant Le soulier de Satin (1985) et Mon cas ( 1986), Visite ou Mémoires et confessions  , se trouve à un moment décisif de la maturation esthétique du réalisateur . A l’époque son analyse l’avait amené à nier la nature propre du cinéma , qu’il définissait comme   un simple «  procédé audiovisuel de fixation » , une sorte de satellite du théâtre . Avec Mon cas , il approfondit sa réflexion en établissant une distinction matériel / immatériel entre ces deux expressions artistiques. Visite ou mémoires et confessions va implicitement plus loin . Au «  je ne suis pas là » , immatériel , consubstantiel de la nature de l’ouvre cinématographique, Oliveira substitue «  je ne suis plus là » . Si le spectateur voit à l’écran Manoël De Oliveira , du moins son image , c’est qu’il n’est plus là , du moins plus de ce monde . C’est son fantôme que nous voyons . Mais la vie continue , comme le suggèrent les lumières qui s’allument à l’étage , alors que les visiteurs prennent congé de la maison ».

La femme du cinéaste , Maria Isabel dans on jardin...
La femme du cinéaste , Maria Isabel dans on jardin…

Dès lors ce décalage , offre aux mots du cinéaste qui évoque son rapport au cinéma et les thèmes de ses films   ( la mort , la religion , le sacré, les femmes …) et  son esthétique , une dimension nouvelle par cette « présence » qui la rend si tangible …et non plus l’expression du regard (  ou interprétation )  extérieur . C’est cette « intimité »  qui fait le prix du film , et de ces « confessions » qui au delà  , nous dévoilent le citoyen et l’artiste aux prises avec la société de son temps et très attaché à la culture , ( ses influences littéraires et picturales ). lorsqu’il évoque ses rencontres artistiques et son rapport au monde du cinéma.   Ou , lorsqu’il aborde ses démêlés avec la censure et le régime dictatorial de Salazar et raconte l’aventure de son arrestation et le traitement subi en prison. Ou encore lorsqu’il évoque la révolution du 25 Avril et l’espoir qu’elle ouvrait … puis cette réflexion sur l’histoire de son pays , inspirée par le travail qu’il est en train de faire sur un des projet – Non ou la vaine gloire de commander – du moment ( qui ne verra le jour qu’en 1990 ) qui lui inspire quelques réflexions sur le rôle de son pays qui s’est vu « grand » en relevant le défi de la conquête coloniale. La puissance et la gloire , la politique et la vanité qui s’y attache…

Le rendez-vous posthume avec ses « mémoires et confessions » que le cinéaste a voulu offrir à ses admirateurs a quelque chose d’une « présence » intemporelle qu’il a voulu créer entre lui et son public , comme un rendez-vous qui se perpétue avec lui et son cinéma au delà de la mort …

(Etienne Ballérini)

VISITE ou MEMOIRES ET CONFESSIONS de Manoël De Oliveira – 1982–
interprètes : Manoël De Oliveira , Maria Isabel Brandao De Meneses De Almeida Carvalhais, Manuel Casimiro De Oliveira , José Manuel de Oliveira , Adelaïde Maria Trepa , Isabel Maria De Oliveira , et les voix de Teresa Madruga et Diogo Doria …

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