Nahid ,femme divorcée vit seule avec son enfant de 10 ans dont le père – à qui revient la garde de l’enfant selon les lois du pays – a accepté de le lui confier à condition qu’elle ne se remarie pas. Premier film passionnant de la jeune( née en 1979) réalisatrice Iranienne , pointe l’hypocrisie d’une législation qui ne fait que « marginaliser » les femmes divorcées contre laquelle son héroïne va tenter de s’affranchir…

Dans Une séparation (2011) son confrère Iranien Ashgar Farhadi évoquait , lui , avec acuité le problème d’un couple confronté à une situation relationelle dont le divorce ne pouvait être que l’issue . Ici , c’est un peu la suite et les conséquences de celui-ci vécues par Nahid ( Sareh Bayat , déjà héroïne de La Séparation de Farhadi ) , qui s’y retrouve confrontée , mais dans la situation cette fois-ci du divorce prononcé et des conditions auxquelles il est soumis dans un pays où la femme n’est valorisée qu’en tant que « femme au foyer » . Et dont la situation se complique lorsqu’elle va entretenir une liaison secrète avec un homme, très amoureux d’elle et qui lui propose une vie stable et bourgeoise ( il est directeur d’un hôtel ) et se retrouve confrontée à des « choix » qui ne lui conviennent pas comme celui du recours au « mariage temporaire », cette substitution hypocrite qui permet de détourner la Loi , en instituant la possibilité d’avoir une relation légale sans courir le risque de perdre la garde de l’enfant !. Comme le souligne la réalisatrice qui précise dans le dossier de presse « Bien que le mariage temporaire soit inscrit dans la loi de l’Islam Chiite , les Iraniens portent un regard presque unanimement négatif sur les femmes qui y recourent . C’est une pratique taboue , considérée comme un instrument d’exploitation des femmes . Cette loi permet de contracter sans limites de mariages ce type, d’une heure ou plus … », dit-elle . Et c’est donc au cœur de cette situation dont les premières images du film, nous plongent . Définissant magnifiquement une situation dans laquelle les concernés se retrouvent ( les images de la plage et de l’hôtel ) , est montrée comme une prison ( les caméras de surveillance de l’hôtel ) dans laquelle ils sont des « enfermés » , contraints au secret « nous sommes enfermés ici depuis plusieurs mois » , dira Nahid à Massoud ( Pejman Bezeghi ), qui ne peut accepter la bague et la demande en mariage …

Très belle ouverture du film dont les caméras de surveillance de l’hôtel se font le reflet symbolique des regards de tout un environnement sociétal ( le regard des proches et celui des autres, ainsi que celui des institutions , via le dossier soumis au législateur …) dont le récit va poser d’emblée les éléments des différentes enjeux. Celui du malaise ressenti par le couple en situation d’attente dont la dynamique relationnelle va se retrouver d’autant plus compromise que le mari divorcé de cette dernière, découvrant cette liaison va se servir des moyens que lui permet le jugement de divorce pour faire pression et revenir sur la décision de la garde de l’enfant à laquelle il sait que le Tribunal de la justice civile et révolutionnaire sera favorable !. Et le fils , Amir Reza ( Milad HoseinPour ) en question, va devenir une sorte « d’otage » d’une situation qui se fait d’autant plus inextricable que les familles concernées de l’ancien couple vont s’en mêler et chercher à peser, encore un peu plus sur les choix de Nahid contrainte de trouver des parades à ces pression qu’elle en supporte plus , et qui va finir par se muer , pour s’y soustraire, à une révolte d’autant plus subtile qu’elle va jouer de cette situation pour la retourner en sa faveur, et y trouver la possibilité d’une liberté émancipatrice … à la barbe de tous. Et dans cette démarche au cours de laquelle elle va devoir se montrer roublarde pour déjouer les pièges des une et des autres , la jeune cinéaste qui ne fait pas de celle-ci une héroïne sans reproches et modèle , a le bon goût de lui opposer des personnages masculins qui , eux non plus , ne sont pas réduits à des caricatures . C’est incontestablement la belle idée du film qui , dès lors, lui permet par les nuances qui s’y inscrivent ( « nul n’est parfait » est-il dit dans le plan clin-d’oeil final de Certains l’Aiment chaud de Billy Wilder …) , de faire de son constat, le point fort de son film. Celui dont une des phrases du dialogue final « laisse là décider », vient apporter la seule et vraie réponse à la situation dans laquelle se débat Nahid , celle de la liberté de pouvoir choisir sa vie et son destin …

Alors il faut se laisser aller à déguster cet « embrouillamini » dans lequel la jeune réalisatrice offre à la matière de son film , les réponses d’une mise en scène qui permet d’offrir au spectateur tous les points de vues et de voir des personnages aux motivations si diverses être confrontés à leurs préjugés ou à leurs manques, et qui se retrouvent prisonniers ou démunis pour y faire face. Et dont on peut comprendre les hésitations comme les mensonges derrière lesquels ils se réfugient ou cachent leurs obstinations ou faiblesses. Et de cette situation humaine à laquelle ses personnages se retrouvent confrontés , la cinéaste nous en offre un portrait de groupe et de société , qui , n’en est que plus fort et plus efficace . Ce que confirme sa volonté affichée et donc réussie selon nous à la vision de son film , en évitant les clichés et la caricature de » faire évoluer l’image que nous avons dans notre pays de ces femmes , au moins du point de vue culturel (…) lors de ces cent dernières années le monde a vécu des mutations structurelles et l’Iran n’y a pas échappé (…) mais les lois parce qu’elles sont figées marquent un décalage avec la société qu’elles réglementent .. Celà provoque une confrontation entre les classes sociales , entre les ethnies , entre les sexes , qui deviennent malgré eux des adversaires ( …) comme dans beaucoup de tragédies modernes , l’anti-héros c’est la société , les individus sont innocents « , explique la cinéaste .

On peut goûter, dès lors, au cœur de ce point de vue que son film tient de bout en bout des multiples séquences au cœur desquelles il se retrouve illustré dont témoigne le final de son film , que l’on vous laissera découvrir . Mais, que celles qui reflètent les changements d’humeur et les tentatives de retrouver sa dignité et sa liberté de Nahid sont belles , et surtout subtilement suggérées . A l’image de ces changements de vêtements , de lunettes, de coiffures ou de meubles , faisant échos à ses sentiments en osmose -ou en révolte- par rapport à son vécu du moment . Nahid qui ne s’en laisse pas compter, ni par son logeur , ni par son fils en révolte « tel fils , tel père! » , qui vit mal une situation dans laquelle il se retrouve ballotté . Nahid qui doit faire face aussi aux pressions familiales comme celle de son frère cherchant à interférer dans sa vie privée et voudrait la voir « obeïssante » et soumise . De la même manière , les séquences qui décrivent qui décrivent les « errements » de son ex- mari , Ahmad ( Navid Mohammdzadeh) cherchant à se sortir de l’addiction à la drogue ( qui a provoqué le divorce ) et dont les efforts pour s’en défaire , ainsi que de cette violence qu’il a faite jadis subir à Nahid, a quelque chose de pathétique qui engendre une certaine empathie à son égard . Sans oublier son possible futur (?) , mari « temporaire » compréhensif et patient mais qui peut se révéler aussi, menteur.
On vous laissera également découvrir les autres manifestations subtiles des caractères et réactions de chacun, que la cinéaste a souhaité « envelopper dans une forme visuelle et une atmosphère adéquate… », permettant à la fois de refléter celle « grise et nuageuse de la ville, et l’intériorité des personnages (…) faire en sorte qu’un style propre , reflète la personnalité de chacun dont les contrastes entre les intérieurs chauds ou froids selon le cas permettait de les caractériser… », explique-t-elle. Et la réussite du film est là , dans le choix qui est fait des plans ( fixes) , de l’utilisation de la video- surveillance citée , des mouvements de caméras ( travellings ) et des cadrages ou autres astuces ( ellipses ) adaptées aux différentes situations , comme celles des fausses- pistes qui s’inscrivent , en miroir du récit , comme éléments de la quête de liberté de l’héroîne .
(Etienne Ballérini )
NAHID de Ida Panahandeh –2014 , sortie Française , 2016- Iran-
Avec : Sareh Bayat , Pejman Bazeghi , Navid Mahammad Zadeh , Milad Hossein Pour , Pouria Rahimi , Nasrin Babei …