Au début du Siècle dernier , les clowns « Footit et Chocolat » révolutionnent avec leur « duo » improbable de l’Auguste et du clown blanc, l’art clownesque . Le comédien- cinéaste jouant sur l’ambiguité du regard et du rire ( raciste ) dans une société française encore sous influence coloniale , lui offre un bel éclairage dans ce « biopic » dont la forme classique , sert l’émotion et rend un bel hommage, au premier clown noir … Omar Sy et James Thierrée , remarquables , y font merveille .

Le souvenir du Clown Chocolat ( Omar Sy) , qui a eu un énorme succès au début du siècle dernier , dont le film de Roschdy Zem raconte la destinée , a le mérite de rappeler au public d’aujourd’hui qui va au cirque et qui retrouve les numéros toujours très attendus, ce que le personnage de l’auguste du Noir souffre-douleur qu’il incarna -avec succès – aura apporté à l’Art du clown , et aussi de ce qu’il reflète comme symbolique d’une époque. Chocolat ( né Joseh Padilla en 1825 ou 1828 , et mourut à Bordeaux en 1917) ce fils d’esclaves de Cuba, dont la destinée ( vendu par une vieille Cubaine à qui ses parents l’avaient confié ) passa par l’Espagne où il vécu de petits boulots ( domestique, cascadeur , chanteur de rue …), puis se fait remarquer en jouant des rôles de « sauvage » ( nommé » bamboula ») dréssant une mule , avant d’être associé en France au spectacle du célèbre clown blanc , George Footit ( James Thiérrée ) qui eut l’idée de monter un « duo » comique sur le thème du clown blanc autoritaire face à un « Auguste » Noir souffre -douleur . Une association qui va imposer , succès aidant , ce qui deviendra désormais l’incontournable numéro de clowns de la Piste aux étoiles dont la « mécanique » de la comédie des « claques » fait écho à celle des « jets » des tartes à la créme du cinéma. L’une des scènes du film y fait écho , où le succès aidant du « duo » attire le regard la curiosité des Frères lumière ( Bruno et Denis Podalydès ) venus enregistrer avec leur caméra les images ( on les retrouve au générique final ) de leur numéro empreint de cette « mécanique » du rire qui faisait fureur auprès des spectateurs du cirque et des salles de cinéma , qui en étaient friands …

Le « duo » qui repsoe sur cette mécanique comique dont il va checrher à enrichir le vocabulaire , intégrant à la gestualle , des dialogues et aussi en mettant en scène des sketches faisant référence à la légende ( Guillame Tell) ou à l’actualité ( Chocolat Aviateur ) . Mais ce qui fait avant tout le succès auprès du public , c’est cette mécanique ambigüe des stéréotypes racistes déclanchant le rire flattant les bas instincts , reflet d’un époque dont les relans Colonialistes ne manquent pas de revenir à la surface. Si « bamboula » est devenu » chocolat » , celà ne change pas grand chose à la symbolique du rapport des forces : le « botté » qui reçoit les coups , sans pouvoir réagir c’est toujours lui !. L’une des belles idées du film c’est de traduire ce « ressenti » du malaise qui finit par envahir Chocolat au vu des réactions de certaines personnes du cirque qui jalousent sa réussite , ou de ces affiches du spectacle et de ces caricatures de presse qui ne trouvent rien de mieux que de reprendre les clichés nauséabonds qui le représentent avec le « cliché » éculé de la figure Simiesque, celle à laquelle on renvoie le « nègre » . Où , encore , lorsqu’il découvre que son salaire …est inférieur à celui de Footit , générant une certaine défiance dans l’harmonie du duo , dont les rapports amicaux vont cependant rester solides . Et puis , Chocolat « jouissant » de son succès qui se laissera aller ( les femmes , les voiutres , le jeu …) à mener la belle vie et qui ne verra pas forcément venir le danger . Une dénonciation et un contrôle d’identité , le sans-papier se retrouve en prison …où les coups, et les humiliations qui sont toutes autres que celles du cirque , font remonter les souvenirs douloureux de l’enfance . Sorti de prison par son employeur ( Olivier Gourmet ) et Footit , mais enhardi par les échanges avec son compagnon de céllule ( un militant politique Noir/ Alex Descas ) , il ne sera plus le même . Refusant de contineur à être l’Auguste souffre -douleur du blanc , il ne laisse même pas le temps à Footit de trouver une solution pour modifier leur numéro …provoquant la rupture ( belle scène ) il voudra suivre sa propre voie , celle du théâtre et d’un rôle ( celui d’Othello , le Maure de Venise ) toujours tenu par des comédiens blancs , qu’il veut être le premier à l’incarner, avec sa vraie couleur de peau! …

Roschdy Zem offre au « défi » de Chocolat , le cheminement de la tragédie qui renvoie à celle du Maure Shakespearien dont la destinée marquée elle aussi par le rejet ( la tirade finale d’Othello ) fait écho à celle du clown devenu comédien défiant le public. Mais , surtout une société d’alors qui ne le voyait et ne l’acceptait que dans le rôle qui lui était définitivement dévolu « de monstre de foire et de divertissement », comme le souligne et le lui renvoie la belle séquence ( du jeune noir exposé au public qui l’interpelle et lui demande secours …) lors de la viste de l’exposition Coloniale . Le Comédien – Cinéaste , qui avait su trouver les images et les mots justes pour aborder le sujet du racisme et ses dérives ( dans le couple juif-arabe de Mauvaise Foi/ 2006) ou celui d’un fait de société ( meurtre ) conduisant à un procès et un verdict contesté ( Omar m’a Tuer / 2011 ), en explore ici – sous un autre angle et contexte d’époque – les conséquences sur la destinée de Chocolat qui y est confronté, et qui finira par sombrer dans la déchéance et l’oubli . Avec Chocolat c’est la France coloniale de la fin du XIX ème et du début du XX ème , dont Roschdy Zem , restitue avec une jolie habileté le revers de la médaille de la » belle époque » par une reconstitution minutieuse , soignée et distanciée de sa mise en scène, laissant sourdre sous les apparences , le racisme ordinaire qui trouve son défouloir naturel de ses bas- instincts dans l’arène du cirque . Autre belle idée de récit qui inscrit – au coeur des numéros du « duo » et les magnifiques séquences qui l’illustrent , complétées par celle de la représentation théâtrale – la « mise à nu » des réactions des spectateurs . Dans les deux cas ( rires ou sifflets ) , ils sont le reflet ambivalent , mais significatif d’un même comportment de rejet …

A cet égard , les scènes réunissant le « duo » autour des numéros proposés , l’illustrent parfaitement . James Thiérrée, qui les a travaillées et chorégraphiées , y intégre habilement tous les éléments destinés à susciter la réaction d’un public conditionné à qui l’on offre le spectacle attendu . Puis , transformant habilement son personnage en faire valoir de Chocolat, il le met en avant et le propulse au statut de Star Noire dans une société blanche!. Le génie du créateur est là, renversant imperceptiblement la donne , qui se tient à l’écart et laisse vivre et exister sa crétaure . Superbe scène ou il avouera cependant » ne pas avoir assez insisté pour développer le personnage de chocolat dans le sens de la révolte « . Mais ce qu’il apporte dans ces numéros de « duo », est tout simplement exceptionnel ( on a envie de les revoir pour y décéler toutes les nuances des significations qui s’y glissent … ), et ce qu’il a chorégraphié pour Omar Sy , l’est tout autant . il le fait jouer de son corps comme jamais , et lui laisse la piste et la lumière des projecteurs . James Thiérrée, enfant de la balle( fils de Victoria Chaplin et de Jean-Baptiste Thiérrée ) et petit-fils de Charlie Chaplin, est devenu un grand créateur , et ceux ( dont nous sommes ) qui ont vu ses spectacles au théâtre ( La Symphonie du Hanneton , Au Revoir Parapluie , La Veillée des Abysses , Tabac Rouge …) en sont sortis retournés , par la force , la beauté , la poésie , l’inventivité et la créativité stupéfiantes , qui s’en dégagent . Le Cirque et l’art du mime chevillé au corps , comédien et acrobate hors-pair , ici, il déploie toute son énergie pour traduire ce que porte comme humanité bléssée ce « duo » clownesque dont Chocolat est le héros . Le film habité par ce « duo » lui doit beaucoup et Roschdy Zem , ne s’est pas trompé en lui confiant le rôle de Footit face à Chocolat . Leur face à face est un vrai régal …
( Etienne Ballérini )
CHOCOLAT de Roshdy Zem – 2016-
Avec : Omar Sy , James Thiérrée, Clotilde Hesme , Olivier Gourmet , Frédéric Pierrot …