Un courrier inattendu va bouleverser le quarante-cinquième anniversaire de mariage d’un couple. Autour des petits et grands secrets que l’on ne confie pas à l’autre , le cinéaste construit un récit tout en nuances et passionnant sur ces non-dits , dans lequel tout un chacun peut se retrouver …porté par deux comédiens prodigieux…

Les premières images tranquilles dans la campagne Anglaise où une dame accompagne la promenade quotidienne de son chien , un Berger Allemand . A leur retour dans la maison feutrée , elle prend le courrier dans la boîte à lettre , l’une d’elle est destinée à son mari. La lecture de celle-ci apporte un nouvelle inattendue : la femme disparue dans un accident de montagne dans Les Alpes lors d’une randonnée commune a été retrouvée, la fonte des glaces ayant fait apparaître son corps au grand jour !. Surprise et étonnement de Geoff ( Tom Courtenay ) le mari de Kate ( Charlotte Rampling ) pour lequel la lettre fait resurgir à lamémoire , ce drame vécu il y a une cinquantaine d’années…au cœur des préparatifs de l’anniversaire de leur mariage déjà reporté il y a cinq ans pour des raisons de santé ( un pontage) de Geoff , voilà que la nouvelle apporte la perturbation d’autant que Kate découvre l’existence de cette Katya dont son mari ne lui avait jamais parlé !. Soumis aux questions de Kate sa femme qui veut savoir les raisons de cet « oubli » et la place qu’avait eu jadis cette femme disparue dans la vie de son mari , ce dernier bouleversé , finit par dévoiler les raisons pour lesquelles il avait voulu enfouir dans l’oubli (le déni ) la douleur et les souvenirs qui s’y attachent … A la fois pour se protéger ,mais aussi pour protéger l’harmonie de sa nouvelle vie de couple construite depuis . Mais Kate qui découvre un Geoff qu’elle n’a jamais vu aussi perturbé et abasourdi s’interroge sur ce silence et veut savoir la place tenue -jadis- par cette femme dans la vie de ce dernier….

Adapté d’une nouvelle d’Eddie Constantine, le nouveau film réalisateur Anglais qui fut assistant de Ridley Scott et remarqué par son long métrage ,Week-End ( 2011) qui s’intéressait aux relations d’un couple d’homosexuels , et par la série TV , Looking réalisée pour HBO ) , poursuit son exploration des relations humaines dont son nouveau film constitue un prolongement au cœur d’un vieux couple hétéro « je n’ai pas pas voulu me limiter à un « genre » de cinéma , ce qui m’intéresse c’est la complexité des relations humaines ( …) ici ce que je voulais explorer , c’est comment une relation humaine se forge et dans quelle mesure les débuts la définissent . C’est le cas ici avec beaucoup de non-dits et le film traite de ce qui se passe quand toutes ces choses arrivent à la surface. Le film explore la lutte de ces deux personnages pour comprendre ce que leur amour signifie » , explique le cinéaste dans le dossier de presse. Et cette lutte il l’ illustre avec une infinité de détails et de comportements qui s’y attachent , venant « perturber » l’harmonie d’un quotidien construit justement sur ces non-dits. Une magnifique scène de « confidences sur l’oreiller , s’en fait l’écho . Un soir , au cœur des souvenirs échangés et remémorés évoquant les années de bonheur communes, la réflexion de Kate surgit « il y a des choses que l’on garde pour soi , par peur de blesser l’autre » , à propos d’une confidence ( doulouresue ) qu’elle n’avait jamais faite , à Geoff. Et puis, la question qui la turlupine finit par sortir de ses lèvres « … si Katya n’était pas morte l’aurait-tu épousée ? », le « oui » qui y répond sonne comme un couteau qui perce la plaie , encore un peu plus au cœur d’une Kate ,abasourdie …

(Tom Courtenay et Charlotte Rampling ).
Le regard du cinéaste sur cette déchirure au cœur couple , prend alors une sorte de dimension chirurgicale qui s’installe , toute en nuances , dans leur quotidien qui en est parasité à chaque instant. Ils ne se regardent plus de la même manière, l’une épie l’autre ( la visite dans le grenier et la fouille dans les objets et souvenirs de Geoff ) et se morfond dans la sidération silencieuse d’une liaison commune dont le sens n’est plus le même. Au delà de Bien de la crise traditionnelle du couple et de la jalousie d’être rejetée au profit d’une autre liaison . Car , celle-ci , qui revêt la dimension d’une morte dont le fantôme resurgit , est plus qu’insupportable pour Kate déboussolée , anéantie qui voit tout ce qu’elle avait construit s’écrouler , se laissant envahir par le ressentiment, par la haine . Mais Kate qui est une battante va se rendre compte que son nouveau combat est de reprendre sa place occupée provisoirement par le souvenir que la lettre a fait resurgir dans le coeur de Geoff. Se rendant compte « avec le passage du temps que la vie du couple est une quête permanente vers l’autre et qu’une part de son mystère est (reste ) impénétrable ». Alors elle se fera charmeuse , tentera de focaliser l’attention de son Geoff sur cet anniversaire de mariage tant souhaité sur lequel il faut se concentrer . Une annulation ne serait pas comprise par la famille et les amis qui veulent fêter le couple ! . Et Kate va s’aventurer même – refusant d’admettre d’avoir été jusque là « un amour de substitution » – à la reconqûête de sa place dans le coeur de son Geoff ( belle scène de danse , sur l’air de musqiue qui a scéllé leur première rencontre ) , retrouvant les gestes et les mots d’hier pour le séduire et le faire céder ( la belle scène d’amour … qui conclut son entreprise ) . Charlotte Rampling dans cet exercice est tout simplement sublime et magistrale…

Et dans le rôle de Geoff , Tom Courtenay , l’est tout autant . Grand comédien de théâtre qui connut son heure de gloire au cinéma dans les films ayant marqué la période du « free cinéma » des années 1960 /1970 et qui deviendra star internationale , mais sa passion de théâtre l’éloigna des écrans et y devint trop rare . On le retrouve ici avec un grand plaisir . Offrant toute la sensibilité et la vulnérabilité à son personnage envahi par ce qui lui arrive , qui perd pied submergé par ce passé , se sentant coupable et luttant contre lui-même ,tentant lui aussi, de recoller les morceaux . Lui, qui avait mis sa souffrance en sommeil , ne sachant plus comment affronter le présent et ce qui le submerge , il vacille dans ses certitudes ( comment passer à la rpochaine étape ?) , confronté à un nouveau déni de sa souffrance réveillée . La question des « choix » que la vie nous oblige à faire ( est- ce les bons ? , peuvent-ils en changer le cours ? ) , lui est devenue obsédante , comme il l’évoque d’ailleurs dans le beau discours final de la cérémonie d’anniversaire . Réussissant , enfin, à habiller de ses mots la quête permanente du couple « dont la remise en question quotidienne est nécessaire qui permet de continuer à faire le chemin vers l’autre , et savoir le réinventer lorsque les obstacles s’y glissent en sachant qu’au cœur de celui-ci , un part de mystère y subsiste toujours« …
La force du film, et sa gravité empreinte de cruauté, est de dire tout celà en faisant sourdre l’intensité des sentiments qui prennent le pas sur la raison , au cœur d’une mise en scène qui les inscrit dans une sorte d’atmosphère ( la maison , la nature …) paisible dans laquelle ils bouillonnent. C’est aussi d’offrir aux spectateurs , sans parti pris , le ressenti intime des deux individualités concernées, en respectant les douleurs et les tourments de chacune . Même si le récit est mené du point de vue de kate , choix assumé du cinéaste « beaucoup de livres et de films parlent beaucoup de la crise existentielle masculine , j’ai voulu présenter un regard différent », dit-il. Et son choix rend le film d’autant plus passionnant, par ce qu’il révèle du foctionnement du couple – dans ce cadre et d’un certain ancrage social qui le détermine – par ces non-dits qui s’y installent .
(Etienne Ballérini )
45 ANS d’Andrew Haigh- 2015-
Avec : Charlotte Rampling , Ton Courtenay , Géraldine James , David Sibley ….