Présenté en Compétition au Festival de Cannes 2015, le film a valu un Prix d’interprétation on ne peut plus mérité à Rooney Mara qui y est extraordinaire face à Cate Blanchett, dans un rôle de femme libre au coeur de l’Amérique profonde et moraliste des Années 1950 . De celle-ci , le réalisateur en poursuit en effet le portrait en forme de trilogie après le superbe Loin du Paradis ( (2002 ) qui l’avait révélé au yeux du grand public, et la non moins remarquable série TV , Mildred Pearce (2011 ) . Au delà d’un magnifique mélodrame social , Carol est tout simplement un très grand film à Voir …

On le disait à chaud à l’issue de la projection Cannoise du film : Todd Haynes a ravi nos paupières de cinéphiles et notre passion du cinéma avec son style inégalable et reconnaissable désormais avec lequel il construit les lignes élégantes d’un récit servi par une mise en scène qui le transcende . Inscrit au cœur de l’Amérique des années 1950 , il revisite avec un talent admiratif – en même temps qu’il y inscrit son propre style et regard- la forme des mélodrames des grands cinéastes ( Douglas Sirk , Vincente Minnelli, Georges Cukor …) qui ont décrit cette période des années du rêve Américain triomphant qui a souvent occulté des aspects sombres d’un forme de puritanisme ambiante qui a broyé des vies qui sortaient des normes. Il leur apporte , avec le recul de la modernité , son regard incisif décryptant les barrières , les codes et les lois hypocrites qui n’ont d’autre objectif que de « faire rentrer dans la norme » les rebelles et les déviants de tous poils . Souvenez-vous de son Loin du Paradis(2002 ) racontant le déclenchement de haine que suscite une relation amoureuse entre une femme blanche et un homme noir . Il revient avec Carol ( adapté du roman de Patricia Highsmith ) sur cette période sombre de l’ Amérique de Mac Carthy et de la Chasse aux sorcières , qui traquait toutes les oppositions et reléguait les choix de vie différents au rang de « crimes » contre la société. C’est ce qui va arriver dans le New-York de cette année 1952 à une jeune employée d’un magasin , Thérese (Rooney Mara , sublime et bouleversante ) qui fait la connaissance d’une cliente chic et distinguée, Carol ( Cate Blanchett, tout aussi épatante), venue dans le magasin où elle travaille pour y acheter , un cadeau …un train électrique. Une paire de gants oubliés en partant , et un colis que Carol se fait livrer à son adresse . Les remerciements téléphoniques de cette dernière à la jeune femme fille qui lui a retourné , les gants oubliés , avec le colis …

Quelque chose , lors de cette rencontre a troublé Carol , et ce gant , discrètement et volontairement oublié , en témoigne… Carol qui, on le découvrira très vite , traverse une période difficile , en rupture avec un mari macho et intransigeant qui refuse de lui laisser la garde de leur enfant dont elle n’a obtenu , qu’un droit de visite. Carol est une femme blessée qui veut se défaire de la dépendance masculine et veut changer de vie . Elle ne supporte plus les misérables attitudes et rapports de force d’un mari qui lui impose sa loi. Elle a besoin de trouver un équilibre affectif . Eblouie par la beauté et la fragilité de cette jeune fille du magasin , elle a envie de la revoir pour la remercier et l’invite dans un luxueux restaurant . Les rencontres qui se succèdent laissant entrevoir une complicité de jeu et de confidences complétée par un sentiment profond d’affinités , qui semblent lier leurs deux natures féminines en quête d’un bonheur, où le poids du conventionnel de femme au foyer et soumise, serait absent .

Les circonstances vont précipiter les choses . Lors du rendez-vous pour la conciliation de séparation d’avec son mari , voilà que Carol se voit opposer à la demande de garde de l’enfant une « réserve de moralité ». Son riche et puissant mari qui la traque depuis longtemps et refuse de ressortir du conflit qui les oppose «comme le mauvais mari», a tout mis en œuvre et va pernicieusement utiliser le sous-entendus concernant les rencontres entre les deux femmes, La rumeur comme argument qui pourrait retourner l’opinion en sa faveur !. Carol, furieuse décide de prendre de recul et veut partir loin pour se changer les idées, elle demande à son amie de l’accompagner dans son voyage , Thérèse qui saisit l’occasion pour se débarrasser de ce jeune homme amoureux d’elle Richard ( Jake Lacy ), qui la colle et veut à tout prix la marier ! . Cette échappée ne fait qu’amplifier le soupçons d’immoralité , auprès du tribunal … la chape de plomb s’abat sur les deux amies ( surveillées par des détectives) qui vont devoir se séparer sous le poids de la traque dont elles ont fait secrètement l’objet, via ces témoignages approximatifs révélateurs d’une forme de « Paranioia » de l’ordre moral en route , que la loi en question va permettre de déchaîner …laissant sourdre, en miroir , le terrible constat d’un inconscient collectif..

Todd Haynes décrit magnifiquement ces moments là, servis par une superbe reconstitution d’époque et une photographie splendide ( de Ted Lachman ) , et pointe son portrait au vitriol de l’Amérique puritaine, en le doublant d’un regard sur une histoire d’amour entre deux femmes qui sont issues de milieux sociaux différents. Il laisse entrevoir par toute une série d’indications et de notations furtives, les premiers pas d’un refus des interdits, annonçant et faisant écho aux futures éclosions d’une révolte féminine qui tente , ici , de se libérer des frustrations et de la tyrannie du modèle masculin, en défiant les tabous et la norme. La scène finale au tribunal , en forme de réquisitoire contre Carol est aussi exceptionnelle que révélatrice . De la même manière que le sont les scènes où Todd Haynes capte le trouble qui s’installe dans une liaison qui défie les codes et finit par libérer les deux femmes de leurs réserves , se laissant aller à leurs émotions. « Elles trouvent le courage d’être elles-mêmes en s’aventurant dans des territoires inconnus » relève dans le dossier de presse, la productrice du film , dont le scénariste Phillis Nagy a construit , en compagnie de Todd Haynes, un magnifique scénario d’adaptation.
Par ses plans et séquences enrichis de furtives notations et de détails, par le superbe travail sur les nuances de couleurs , par son organisation de l’espace à l’intérieur de ceux-ci , par la fluidité de ses travellings et autres plans-séquences magistraux ( à l’image de celui qui ouvre le film partant d’une bouche d’aération pour aboutir au salon de thé où se retrouvent nos héroïnes ) , Todd Haynes construit un magnifique hymne à l’amour dont le parfum de scandale qu’il revêtait hier, est sublimé, par ce dernier via un final où le cynisme d’hier ( et d’aujourd’hui… ) sont renvoyés en miroir, et d’un revers de plan ( cet échange de regards, entre Carol et Thérèse , qui en dit long ) , à l’évidence d’une vérité dont le courage d’une liaison , acceptée et assumée envers et contre tout et tous ( ordre moral , préjugés sociaux ) , se fait l’écho . Opposant dès lors , sa propre lumière à cet obscurantisme , qui voudrait l’enfermer . La vie est là qui dit non, et qui résiste …
(Etienne Ballérini )
CAROL de Todd Haynes – 2105-
Avec : Cate Blanchett , Rooney Mara , Sarah Paulson, Kyle Chandler, Jake Lacy, Carrie Brownstein…
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