Un Chaman Amazonien, dernier survivant de son peuple qui vit isolé dans la jungle dont la vie va être bouleversée par deux scientifiques venus à la découverte des peuplades autochtones et la recherche d’une plante sacrée. le Troiséme film du cinéaste Colombien en forme de superbe plongée – où passé et présent se confondent – au cœur d’une contrée dont de nombreux pans sont restés inconnus , mais confrontée aussi au pillage et à la violence coloniale …

Il semble impérial et magnifique ce jeune Chaman d’Amazonie au corps nu peint en voir et blanc à la musculature impressionnante vêtu d’un simple pagne autour du bassin. Plumes , bracelets et autres colliers comme signes extérieurs d’appartenance à une population tribale dont on apprendra qu’elle a été exterminée et qu’il en est le dernier survivant « devenu une coquille vide , dépourvu de souvenirs et d’émotions » , désormais relégué à la solitude dans les profondeurs de la jungle : un « chullachaqui » figure mythologique de l ‘Amazonie « toujours à l’affût d’une proie à berner« , dit-on. Ce dernier qui se nomme Karamakate , va nous entraîner , sollicité par deux scientifiques occidentaux ( un Allemand et un Américain ) auxquels il servira de guide , à un voyage spatio-temporel, où sont tout à tour convoqués les thématiques de la colonisation et de ses méfaits « l’un des plus terribles holocaustes que l’homme ait jamais connu » , dit le cinéaste dans le dossier de presse . Mais aussi à la découverte des peuplades indiennes inconnues qui vivent -ou ont vécu- retirées dans un territoire qui ne l’est pas moins « une terre de la taille d’un continent qui reste à raconter. Une terre jamais montrée par notre cinéma . Cette Amazonie là a disparu , mais le cinéma peut la faire revivre » , dit-il .

C’est le défi qu’il s’est lancé , avec son équipe . Un travail de titan qui a nécessité quatre années de travail : préparation et écriture , négociations et contacts avec les populations autochtones afin de les faire participer au film , mais aussi de les préparer au contact avec l’équipe de tournage et les comédiens étrangers. « pour raconter cette histoire nous avons dû acheminer près de 8 tonnes de matériel de toutes sortes : avions , canoës , radeaux tracteurs , camions-bennes (…) l’équipe a été impressionnée et intimidée par les paysages de l’Amazonie Colombienne . Ils ont étés choisis parce qu’ils appartiennent à une Amazonie que l’on ne connaît pas , en plus d’être les régions dans lesquelles les explorateurs qui ont inspiré l’histoire se sont retrouvés face à une grande richesse humaine et culturelle dont ils ont participé à faire connaître, l’histoire » , dit le cinéaste. Ce dernier en allant à sa découverte a souhaité aussi montrer une autre image d’un pays souvent réduit à des clichés ( trafics de drogue , violence , meurtres et conflits …) de la partie du territoire connu, et dont l’histoire et les cultures de l’autre moitié que constitue cette terre de la jungle Amazonienne , est resté totalement dans l’ombre. C’est par le prisme de la rencontre et découverte de ces territoires dont lé récit est inspiré les journaux des premiers explorateurs : l’ethnologue Allemand Theodor Koch-Grünberg ( Jan Bijvoet ) , et le Biologiste Américain Richard Evans Schultes ( Brionne Davis ) , qui ont servi de base au récit et au film.

Dès lors Ciro Guerra , dont c’est le troisiéme long métrage , a pu développer au long de cette rencontre entre le Chaman et les deux explorateurs dont les « fils » de l’intrigue s’entremêlent habilement dans cet « espace temporel » voulu comme choix de récit emblématique permettant d’offrir à la quête mythologique ( la recherche de la plante rare connue pour ses vertus curratives et hallucinogènes ) , faisant miroir à celle d’un choc de civilisation et culturel qui renvoie à la fois à la conquête et à la violence Coloniale …. et à une quête existentielle et identitaire dont le Chamane se fait l’écho. Deux façons de voir le monde et de l’apréhender avec cette « perceprion et notion différente du temps » par le monde Indien , qu’un écrivain » a décrit , comme le temps sans temps, ou l’espace sans espace dont j’ai fait le lien avec cette idée des aventuriers qui mentionnaient le fait que , bien souvent , lorsque l’un d’eux revenait 50 ans après le passage d’un autre , l’histoire du premier avait déjà pris la forme d’un mythe . Comme si l’idée d’un seul homme , d’une seule vie , d’une unique expérience vécue à travers de nombreuses personnes était profondément ancrée » . Au Travers des multiples péripéties décrites par les différentes séquences qui retracent les parcours et les rapports vécus sur plusieurs années d’écart entre le Chaman Karamakaté et les deux explorateurs , la mise en scène inventive de Ciro Guerra , nous donne à en vivre le ressenti . Avec une belle intensité dramatique au coeur de laquelle se glissent , défis , trahisons, et intérrogations sur soi et sur l’autre, sur la violence et la spiritualité , sur la quête de soi et de l’autre , et les tourments de l’âme et des sentiments ….

Le voyage au coeur de cette Amazonie là , est un voyage incantatoire et énigmatique à la fois violent et magnifique , en immersion aussi, au coeur d’une certaine folie . La référence est faite d’ailleurs par le cinéaste aux arres oeuvres ( le roman Au Coeur des Ténèbres de Joseph Conrad , et au film Fitzcarraldo de werner Herzog ) qui en ont décrit la dimension que l’on rertrouve au coeur de nombreuses scènes fortes de son film. A l’image par exemple de celle qui fait écho à la violence quotidienne subie par les indiens et métis esclaves exploités ( et pardois , torturés ou tués pour désobeïsance ) par les colons exploitants du caoutchouc auxquels le gouvernement Colombien a cédé au début du XX ème Siécle les centres de stockage . Ou celle évoquant les peuplades ( celle de Cohiuano ) exterminées et décrivant aussi les violences subies par les indiens ( traites ) travaillant pour les blancs. Celle encore qui nous plonge au coeur de la mission catholique des orphenlins soumis aux régles strictes chargées de les protéger des Tentation des démons barbares . Ou encore , celle décrivant la folie de ce « méssie » auto-proclamé retiré au fond de la jungle ( on pense au Marlon Brando d’Apocalypse Now de Francis Ford Coppola ), s’adonnant avec ses fidéles à un festin cannibale !. Le voyage est saisissant servi par une superbe photographie en noir et blanc ( signée David Gallego ) qui le sublime , lui offrant cette dimension éssentielle voulue par le cinéaste , via son film , de faire revivre et prolonger la trace des récits de ces scientifiques qui ont « fait découvrir un monde qu’on ne pouvait pas même imaginer » et en perpétuer le souvenir dans la mémoire collective …
Une expérience dont le cinéaste souhaite, par ailleurs , offrir au spectateur la possibilité et l’envie d’en savoir plus , suscitée par son film , et qui permette aussi » de respecter ce savoir et de comprendre qu’il est important dans le monde d’aujour’hui (…) il ne s’agit pas de folklore ni de cultures mortes , mais d’un savoir lié à une recherche actuelle de l’homme. A savoir , comment trouver un équilibre avec la nature en puisant dans les ressources disponibles sans les saccager , comment trouver une harmonie , non seulement entre l’homme et la nature , mais aussi entre les différentes communautés qui composent l’humanité …« , déclare pour conclure le cinéaste qui ouvre son récit et son film , à la réflexion et au débat actuel , sur la préservation de l’harmonie nécéssaire à la survie de notre planète. Un beau film , à voir et à méditer …
L’ETREINTE DU SERPENT de Ciro Guerra – 2015- Présenté à la Quinzaine des réalisateurs , Cannes 2015-
Avec : Jan Bijvoet ( Théo ) , Brionne Davis (Evan) , Niblo Torres( Karamakate Jeune ) , Antonio Bolivar ( Karamakate vieux ) , Yauenki Miguee ( Mancusa )….