Présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes 2015 où il a fait sensation , censuré au Maroc pour « outrage grave aux valeurs morales et à la femme Marocaine » le film du cinéaste de Mektoub et de Les Chevaux de Dieu, qui décrit le quotidien de quatre prostituées de Marrakech , est en vérité, un magnifique plaidoyer pour la liberté . Il fustige l’hypocrisie et le mépris d’une société qui condamne désirs et pulsions , et se cache derrière les préjugés dont film dénonce sans ambiguïtés , le déni et les violences de l’humiliation.
Un film fort, à voir…

Elles se nomment Noha ( Loubna Abidar ) , Randa ( Asmaa Lazrak ), Soukaina (Halima Karouane ) et Hlima ( Sara Elmhamdi Elalaoui ) et elles sont inséparables, vibrantes d’énergie pour faire face à leur quotidien dont on va découvrir ce qui se cache derrière le strass et les paillettes qui les habillent pour s’en aller vendre leurs corps dans ces soirées qui leur permettent de subvenir aux besoins de leurs familles et d’éloigner la misère. Comme les habits qu’elles portent pour se « marier vingt fois par jour » et donner du plaisir à leurs clients, elles s’habillent aussi d’une carapace protectrice qui prend la forme d’une d’inébranlable vitalité et d’une liberté non dénuée d’une certaine ironie distante sur leur propre sort ( les belles séquences où elles se racontent les avatars de leurs soirées tarifées , et les transforment en moments d’anthologie épique !) offrant le miroir de la protection nécessaire à leurs souffrances silencieuses, comme l’explique le cinéaste dans le dossier de presse « Elles ont du courage , la rage au cœur des combattantes . L’idée n’était pas de tomber dans le pathétique , le tragique ou le misérabilisme . Ces femmes ne sont ni blâmables , ni formidables , ce sont des femmes , maîtresses de leur destin et que l’on doit regarder comme telles », dit Nabil Ayouch . Et c’est ce regard qui ne cherche pas à manipuler le spectateur , mais donne à voir et à entendre , qui fait le prix de son film dont les magnifiques séquences illustrent un vécu , dont on va mesurer ce qu’il entraîne comme humiliations et ce qu’il révèle d’une société qui préfère se cacher derrière le « miroir des valeurs morales » plutôt que d’y regarder son vrai visage . Comme l’illustre la magnifique scène du riche Saoudien, qui , confronté à son homosexualité en refuse la réalité, et renvoie sa rage et sa violence sur cette prostituée destinées à lui servir d’alibi …

Donner à voir une réalité avant tout, c’est ce qui porte d’un bout à l’autre le récit du cinéaste dans les destinées de ces prostituées qu’il nous propose de suivre « Je ne veux en aucun cas être moralisateur (…) je cherche simplement à dire . Dire c’est montrer . Montrer ce qu’est la vie de ces prostituées , montrer leurs rapports aux hommes , leurs rapports entr’elles , à la société , à l’hypocrisie sociale et à la famille censée être un pilier qui les soutient et qui représente davantage en réalité un monde cruel . J’avais envie de cette réalité , loin des mythes. Sans retenue , sans concessions ni fausse pudeur . Lever le voile sur cette économie , c’est mettre chacun face à ses responsabilités , à ce qu’il refuse de voir » , explique le Cinéaste . Et de ce point de vue , le regard du monde extérieur est largement aveuglé … celui des clients par leur argent avec lequel ils croient pouvoir tout se permettre , celui des familles qui ferment les portes par peur des « on dit » mais qui acceptent « l’argent sale » qu’on leur apporte, celui des policiers corrompus qui se font payer des « services » prétendument protecteurs , mais cèdent encore plus facilement à ceux des « prédateurs » qui peuvent ainsi laisser libre – court à leurs pulsions et à ce « tourisme sexuel » dont une scène magnifique réunissant nos prostituées et leurs amis « homos » et ( ou ) « trans », autour d’un verre en terrasse, nous donne à voir par le témoignage d’un petit garçon , le visage d’une autre prostitution , celle de la pédophilie, qui attire de plus en plus des prédateurs ( de toutes nationalités ) assurés d’un certain laisser -faire « ces salauds qui méritent qu’on les enferme pour 70 ans !» , dira la rage au ventre une de nos prostituées.

Il y a , ces soirées mondaines où les touristes venus des pays proches du moyen – orient ou de l’Europe , avec leur argent qui leur ouvre les portes pour satisfaire leurs désirs et qui se permettent tout, y compris , le recours à la violence si on refuse de s’y plier , comme le montrent de nombreuses scènes où la caméra de Nabil Ayouch se fait scrutatrice d’une promiscuité au cœur de laquelle les humiliations et la violence ne cessent de cohabiter et à tout moment de déraper . La rage elles l’ont, en effet , de voir chaque jour le spectacle de l’hypocrisie humaine et du rejet dans lequel elles se trouvent confrontées comme l’illustre une des plus belles scènes du film qui les montre toutes les quatre réunies dans une bel élan de solidarité, après l’agression de leur amie par l’homo refoulé Saoudien … qui a eu le culot de porter plainte ! . Cette marginalisation qu’elle vivent comme un rejet finira par leur donner une âme de combattantes encore plus forte, comme l’illustre leur réaction collective de ne pas renoncer en allant se chercher un « ailleurs » ( la scène finale ) pour tenter d’y reconstruire un avenir ..moins sombre (? ). Renoncer à lutter contre les tabous , c’est un peur renoncer à soi-même et à sa dignité. Au bout du compte, Nabil Ayouch, au long de son récit et des magnifiques plans-séquences qui le scandent , ne fait que décrire au cœur des rituels de ces soirées de soumission de corps , celui d’une autre soumission, reflet d’une certaine mondialisation économique prédatrice et dominatrice dont les figures emblématiques sont ces mâles en rut obligeant leurs pâtures à céder à tous leurs désirs ( la scène où elles sont contraintes de ramper littéralement pour ramasser les billets …) pour gagner leur argent. Argent et morale, en questions…

Nabil Ayouch nous offre les portraits sensibles de ces quatre prostituées dont on aura désormais du mal à se défaire et à les chasser de nos esprits. Cette beauté dont le titre original du film Zin Li Fik ( la beauté est en toi ), reflète si bien leur humanité . Celle de Noha avec sa famille et ses deux enfants à nourrir et qui se débat pour s’en sortir , courtisée par ce « client » amoureux ( beau personnage sincère , qui offre une image humaine qui tranche avec le troupeau des machos esclavagistes ) , ou celle, de Hlima venue de sa campagne qu’elle a dû fuir abandonnée par celui qui l’a mise enceinte, et qui, désormais se prostitue pour, elle aussi , survivre. Il y a également l’autre beau et mystérieux personnage masculin , celui de leur chauffeur de Taxi , Saïd (Abdelah Didane ) qui est un peur leur « ange gardien » . Nabil Ayouch , nous entraîne dans leur sillage , au delà de ces soirées , dans les rues de Marrakech pour nous y faire découvrir cette « ville de fous » ainsi nommée par Saïd, où les milieux sociaux s’entrechoquent. « relation d’amour et de détestation. Cette ville leur apporte leurs clients , et donc de quoi manger , mais aussi la furie , l’humiliation et l’agressivité… ». La plongée dans leurs univers où se côtoie violence , noirceur -mais aussi – émotion et drôlerie , est une sacrée immersion dans une réalité dont le cinéaste nous offre la belle dimension « vivante » de ces femmes , de ces battantes , qui demandent « juste un peur d’amour , qu’on les regarde juste un peu autrement » .
Tout cela mérite-t-il l’opprobre d’une interdiction et des menaces de mort ? . Celles dont le film , le cinéaste et sa comédienne Loubna Abidar, ont été l’objet.
Nous, on aime ce beau film et ses qualités cinématographiques , on vous conseille d’aller le voir et de juger par vous mêmes si ce qu’il dit constitue « un outrage à la morale et à la société Marocaine »?.
Faudra-t-il rappeler , encore et toujours , dans ces circonstances que toute œuvre artistique ambitieuse est forcément le reflet de la société et se doit de questionner et interpeller celle-ci . Much Loved a le mérite de le faire , quelles que soit les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui, le film de Nabil Ayouch , existe . Et Madame Anastasie , ne pourra pas l’empêcher de circuler sous les manteaux , ou, ici et là … à l’air libre !. Et c’est tant mieux!.
(Etienne Ballérini )
MUCH LOVED de Nabi Ayouch – 2015 –
Avec : Loubna Abidar , Halima Karouane , Asma Lazrak , Sara Elmhamdi Elalaoui,